« La Nuit Venue » : un film noir – et sociétal - au cœur du Paris interlope

« La Nuit Venue » : un film noir – et sociétal - au cœur du Paris interlope

15 juillet 2020
Cinéma
La Nuit Venue
La Nuit Venue Jour2fête - Koro Films
Venu du documentaire, Frédéric Farrucci raconte les coulisses de son premier long métrage où il nous entraîne dans les pas de deux amants : un chauffeur de VTC et une stripteaseuse, incarnés par le débutant Guang Huo et Camélia Jordana.

Film noir, histoire d’amour impossible, plongée dans la communauté chinoise de Paris, portrait très sociétal des esclaves des temps modernes, balade nocturne dans les rues de notre capitale au volant d’un VTC... La Nuit venue est tout cela à la fois. Quelle est l’étincelle qui lui a donné naissance ?

Frédéric Farrucci : Tout part d’un de mes coscénaristes  - et ex- journaliste - Nicolas Journet (Vandal) qui, après une aventure malheureuse avec une strip-teaseuse, décide d’enquêter sur le quotidien de ces jeunes femmes. Il découvre alors que la plupart sont aussi call-girls et ont toutes un taxi attitré qui vient les chercher à l’issue de leurs effeuillages pour leur sécurité. De là naît son envie de développer un scénario sur une histoire d’amour entre une strip-teaseuse et un chauffeur de taxi. J’étais moyennent attiré par l’idée de la romance mais très intéressé par celle du taxi de nuit.

Pour quelle raison ?

Car pour avoir pas mal bourlingué la nuit à Paris, j’ai pu y voir comment les marges s’y mêlent avec la norme. La nuit, la société est bien moins clivée que le jour. Et le chauffeur de taxi allait pouvoir m’offrir un point de vue sur cette nuit parisienne. Avec Nicolas, on s’est donc mis à enquêter auprès de plusieurs d’entre eux. Ils nous ont raconté une sorte de légende urbaine selon laquelle la mafia chinoise équipait de faux taxis. Là, je savais que je tenais mon film ! Il allait pouvoir mêler l’atmosphère du film noir – un genre que j’adore -, le mystère lié à cette communauté chinoise qui se protège beaucoup vis-à-vis de l’extérieur mais aussi un thème plus social qui me tient à cœur : l’esclavagisme moderne, la façon dont ces immigrés traversent la moitié du monde, arrivent en France fragilisés, y sont mal accueillis et finissent par tomber sous la coupe de mafias intercommunautaires. Puis, au fil de l’écriture, les VTC sont apparus et ont remplacé les taxis dans notre scénario. Ils me permettent de parler d’un des symboles de la société ultralibérale : donner l’illusion à des jeunes gens qu’ils vont faire fortune en devenant auto-entrepreneurs alors qu’ils vont tout juste gagner le SMIC en travaillant 60 heures par semaine !

Comme vous le dîtes, la communauté chinoise est par nature très secrète. Comment s’est déroulé votre travail d’investigation ?

J’ai réalisé plusieurs documentaires : L’offre et la demande, Suis-je le gardien de mon frère ?, Sisu et Entre les lignes. Donc tout ce travail d’investigation constitue un aspect essentiel à mes yeux, y compris dans une fiction. J’ai travaillé avec une chercheuse du CNRS, spécialiste dans l’immigration chinoise et elle-même native de Chine, qui m’en a vraiment raconté les coulisses, notamment ces dettes que contractent les arrivants sans savoir ensuite jamais vraiment quand elles sont entièrement remboursées. On s’est appuyés sur cette base documentaire pour créer de la fiction autour du milieu des VTC, en rencontrant en parallèle énormément de membres de la communauté chinoise pour confronter ce qu’on écrivait à la réalité. Dès que ça tiquait, on supprimait la scène. Là encore, le documentariste était aux commandes ! Enfin, l’apport d’un troisième scénariste, Benjamin Charbit, a été essentiel alors que nous étions sans doute à bout de souffle et que le film qu’on avait imaginé était un peu long et trop atmosphérique. Avec son œil neuf, il nous a aidés à structurer le récit, à enlever des scènes redondantes.

Filmer Paris la nuit est une gageure car on a en tête énormément de films et de gestes de cinéastes. Comment avez-vous construit le vôtre avec votre directeur de la photo Antoine Parouty (Les Invisibles) ?

On a d’abord regardé le travail cinématographique et photographique d’autres personnes pour préciser ce vers quoi nous voulions aller. La source esthétique qui m’attirait spontanément était celle de Taxi Driver pour l’opacité des noirs avec des trouées de néons. On a donc travaillé là-dessus dès les repérages. Car Paris n’est pas une ville aussi lumineuse que New- York. On a donc pris du temps pour imaginer les parcours que ce chauffeur de VTC allait faire dans la nuit parisienne afin que la lumière puisse arriver dans sa voiture. Sachant que ce parcours allait être aussi guidé par les gens qu’il allait pouvoir y croiser. J’avais envie de faire un film de points de vue donc ce qu’on allait voir de Paris allait correspondre à ce qui pouvait attirer le regard de ce personnage central, précaire, qui voit des choses qu’un fêtard ne verrait pas.

Comment avez-vous trouvé celui qui l’incarne, Guang Huo ?

On a commencé par chercher des comédiens français d’origine chinoise mais ça ne fonctionnait pas. Il y avait quelque chose de trop occidental dans leur manière de s’exprimer comme de se déplacer. On a donc vite convenu qu’il fallait faire jouer des natifs de Chine. On a alors débuté un casting sauvage dans la rue, via des associations ou WeChat, une application très utilisée par la communauté chinoise. Guang a répondu à une annonce et il s’est vite imposé pour ce rôle avec son côté très magnétique et ténébreux qui correspondait pile à ce dont j’avais envie pour le personnage. Il n’avait jamais joué – si ce n’est une figuration – donc tout mon travail en amont avec lui a consisté à lui donner des réflexes de comédien.

Camélia Jordana constitue l’autre figure forte de votre casting. Quand est-elle arrivée sur le projet ?

Après Guang. J’aime beaucoup la chanteuse, la comédienne mais aussi le personnage public avec ses prises de position politiques, son désir d’être citoyenne. Mais ce qui m’intéressait aussi ici était de décaler ce qu’elle peut être - une femme ultra-contemporaine, féministe - en lui donnant un rôle de femme affirmée, sexy et consciente de l’être, presque archétypale.

Ce côté sexy et affirmé passe notamment par des scènes essentielles de strip-tease. Comment les avez vous construites ?

On a travaillé avec une formidable chorégraphe, Marion Lévy, qui avait déjà collaboré avec Camélia. On voulait obtenir une danse qui joue le jeu du strip-tease tout en apportant une forme de modernité dans le mouvement. Elles ont donc commencé à travailler ensemble puis je me suis joint au duo. Camelia a fourni un sacré boulot avec enthousiasme et sans fausse pudeur. Et elle a été très généreuse avec Guang, l’aidant dès les répétitions à gommer sa timidité par rapport à elle mais aussi à la caméra et à l’équipe technique en lui donnant d’emblée énormément de confiance.

L’envoûtement que procure ce film naît aussi d’un autre personnage esssentiel à votre récit, sa bande originale composée par le musicien électro Rone. Qu’est-ce qui vous a incité à l’inviter dans cette aventure ?

Je suis un grand admirateur de Rone. Sa musique est extrêmement cinématographique, envoûtante et atmosphérique. Alors quand mes productrices m’ont demandé qui je souhaitais pour la musique, j’ai instantanément proposé son nom. Honnêtement, je n’y croyais pas beaucoup. Mais j’ai vécu une sorte de conte de fée. Quatre jours après, je déjeunais avec lui. Il avait adoré le scénario et on avait les mêmes références musicales en tête : Millennium Mambo mais aussi la BO de Vangelis pour Blade Runner. Il y a donc eu instantanément, entre nous, un langage commun, au point que j’ai rajouté dans le scénario la scène de concert qui n’existait pas, afin qu’il puisse appaître à l’écran.

La Nuit venue, qui sort mercredi 15 juillet au cinéma, a reçu l’Aide au programme éditorial vidéo 2020 et l’Aide à la production Images de la diversité du CNC.