La Vérité, la première aventure française d’Hirokazu Kore-eda

La Vérité, la première aventure française d’Hirokazu Kore-eda

24 décembre 2019
Cinéma
Catherine Deneuve, Hirokazu Kore-eda, Juliette Binoche
Catherine Deneuve, Hirokazu Kore-eda, Juliette Binoche L.Champoussin/3B/Bunbuku/MiMovies/FR3 Cinema
Un an après sa Palme d’or pour Une affaire de famille, Hirokazu Kore-eda a choisi de poser sa caméra en France en réunissant Catherine Deneuve et Juliette Binoche pour une histoire de cinéma… et de famille. Récit de ce nouveau pari par sa coproductrice française, Matilde Incerti.

L’histoire de La Vérité débute lors d’un déjeuner pendant le Festival de Cannes 2015 - d’où Hirokazu Kore-eda allait repartir bredouille après y avoir présenté Notre Petite Sœur. Matilde Incerti, attachée de presse « historique » de ses films, passée à la production avec La Vérité, s’en souvient comme si c’était hier. « Je lui ai simplement demandé pourquoi il ne ferait pas un jour un film en France. Il a d’abord rigolé avant de se prendre au jeu. » Le Japonais lui demande qui elle verrait devant sa caméra. « Sans hésitation, j’ai répondu Juliette Binoche et Catherine Deneuve. » Et comme l’idée ne laisse pas insensible le cinéaste, Matilde Incerti contacte les deux intéressées dès son retour à Paris. Leur accord de principe immédiat permet de lancer le projet.

« J’ai alors créé ma société de production M.I Movies et travaillé main dans la main avec celle de Kore-eda, BunBuku. » La première mission consiste à trouver des partenaires financiers alors qu’aucun scénario ou synopsis n’est écrit. Juste sur la promesse de l’association inédite de ces trois noms Kore-eda, Deneuve et Binoche. « Je suis allée directement voir Wild Bunch et Le Pacte qui ont été immédiatement partants. » Puis, six mois plus tard, alors que le projet se met peu à peu en place, Matilde Incerti va démarcher 3B Productions qui accepte aussi d’être de la partie.

En parallèle à ses autres projets qui vont voir le jour (Après la tempête, The Third Murder et Une affaire de famille), Hirokazu Kore-eda va commencer à dessiner les contours de ce qui deviendra La Vérité. « Il a tout de suite eu l’idée d’un film sur une actrice. Et pour nourrir son écriture, il a mené plusieurs entretiens de plus de deux heures avec Catherine Deneuve et Juliette Binoche. Il les a interrogées sur leurs expériences sur et en dehors des plateaux. Et de nombreuses confidences qu’elles lui ont faites se retrouvent dans le film, au final. »

Côté financement, les choses s’accélèrent de manière décisive à Cannes, en mai 2018, où Hirokazu Kore-eda présente Une affaire de famille. « On avait depuis longtemps prévu un tournage en novembre 2018. Donc, on a profité de la présence de Kore-eda sur la Croisette pour organiser des rendez-vous avec Canal + et France Télévisions, deux jours après la projection de son film. Les réactions étaient plutôt positives, mais la Palme d’or d’Une affaire de famille a, en quelque sorte, enfoncé le clou. Dès le lundi qui a suivi, notre téléphone a sonné et ils étaient tous partants. On n’aurait pas pu rêver un planning plus parfait ! » D’autant plus que, dans la foulée, La Vérité reçoit l’aide de la région Île-de-France et obtient l’Avance sur recettes du CNC tout en voyant monter à bord côté production le Suisse Jamal Zeinal Zade, démarché par 3B Productions.

Le scénario de La Vérité s’affine sereinement, au fil de huit versions successives. « Kore-eda est toujours très à l’écoute de ses équipes. Au Japon, il est entouré de jeunes collaborateurs avec qui il échange en permanence. Et en France, il a travaillé avec deux assistants qui parlaient évidemment japonais et français, dont Mathieu Bouscaut, le fils du réalisateur du documentaire Roubaix, Commissariat central, Affaires courantes qui a inspiré Roubaix, une lumière à Arnaud Desplechin. » La langue française, c’est un problème que de nombreux cinéastes étrangers n’ont pas réussi à surmonter ; ils la maîtrisaient mal et ont voulu faire comme si. « C’était en effet une des interrogations majeures pour nous, producteurs. Je lui aurais volontiers adjoint un dialoguiste français, car, à mes yeux, une traduction, aussi parfaite soit-elle, n’est pas un dialogue. Mais Kore-eda a refusé. Ça aurait pu nous inquiéter, mais c’était aussi la preuve qu’il savait exactement où il allait. Et forcément, on lui a fait confiance. » Y compris sur des scènes pas forcément lisibles et compréhensibles telles quelles dans le scénario, comme tout le passage du film (fantastique) dans le film où l’actrice jouée par Catherine Deneuve incarne… la fille d’une mère éternellement jeune. « Là encore, cela paraissait obscur pour tout le monde, mais ses réponses à nos questions étaient tellement limpides qu’elles ont dissipé nos doutes. »

Arrive enfin la phase de casting oùn outre Catherine Deneuve et Juliette Binoche, Kore-eda a exprimé très tôt son envie de diriger Ethan Hawke dans le rôle du mari du personnage de Juliette Binoche. Pour le reste de la distribution, Matilde Incerti a fait appel à Kris Portier de Bellair, directrice de casting de Michael Haneke. C’est elle qui a donc déniché la grande trouvaille du film, Manon Clavel, diplômée du Conservatoire qui fait ici ses débuts sur grand écran, dans le rôle de la jeune star du film dans lequel joue le personnage de Catherine Deneuve. Un choix judicieux puisque Manon Clavel se retrouve présélectionnée au César de la révélation féminine.

Une fois sur le plateau, l’écoute qu’évoquait Matilde Incerti lors de l’écriture du scénario prévaut encore et toujours. « Kore-eda tenait compte des réactions de ses comédiens, en particulier sur les dialogues. Il est généreux parce qu’il sait ce qu’il veut et où il va. Dans la même logique, il ne fait que très peu de prises. Ce qui a pu surprendre ses comédiens. Mais une fois qu’il est sûr d’avoir obtenu ce qu’il souhaite, il ne se couvre pas. »

Et c’est en parallèle du tournage qu’avec ses deux assistants, Kore-eda commence le montage de La Vérité  dont les versions s’inspirent des échanges avec Jean Labadie du Pacte et Vincent Maraval de Wild Bunch. Des échanges constructifs puisqu’ils conduiront le film jusqu’à l’ouverture de la Mostra de Venise.

Mais, au final, à quelques jours de la sortie en salles de La Vérité, de quoi la productrice Matilde Incerti est-elle la plus fière ? « Du fait que cet immense réalisateur n’a rien abdiqué de son cinéma tout en s’inscrivant pleinement dans les codes de la culture française. Sur le papier, il y avait quand même un sacré défi à relever : tourner loin de son pays avec des stars françaises, mais sans parler un mot de notre langue. Et pourtant, en quelques plans, on reconnaît la patte Kore-eda. Voilà, à mes yeux, sa plus grande réussite. »

La Vérité qui sort ce mercredi 25 décembre, a reçu l’avance sur recettes avant réalisation du CNC.