Laetitia Masson : « Avec Un hiver en été, j’ai voulu imaginer une fiction où je ferais souffler le vent du romanesque »

Laetitia Masson : « Avec Un hiver en été, j’ai voulu imaginer une fiction où je ferais souffler le vent du romanesque »

26 juillet 2023
Cinéma
« Un hiver en été » de Laetitia Masson
« Un hiver en été » de Laetitia Masson CHRISTMAS IN JULY - LES FILMS DU KIOSQUE

Après neuf ans d’absence,  la réalisatrice d’À vendre fait son retour au cinéma avec un film choral sur fond de dérèglement climatique. Elle nous raconte les coulisses de cette aventure, percutée par la pandémie de Covid.


Qu’est-ce qui a donné naissance à Un hiver en été ?

Laetitia Masson : L’idée s’est cristallisée en regardant pour la énième fois le célèbre recueil de photographies de Robert Frank, Les Américains, ce travail artistique sublime de documentation sur l’Amérique des années 50, dans des ambiances de désolation. Ces images m’ont donné envie de capturer, à travers un film, quelque chose du monde actuel. Cette espèce d’état d’angoisse permanent autour de l’idée de la fin du monde, et les notions d’errance et de solitude que cela implique dans l’intime de chacun, forcément bousculé, car les priorités changent. J’ai eu cette idée avant la pandémie, en ressentant une sorte d’urgence à mettre en route ce projet. À partir de ce point de départ documentaire, j’ai voulu imaginer une fiction où je ferais souffler le vent du romanesque. Un film avec dix personnages dont l’ambition un peu folle, voire prétentieuse, serait de dresser un état des lieux de la France. Il y a eu de nombreux obstacles à son financement, notamment parce que ce film ne pouvait se résumer à un sujet précis, mais j’ai tenu bon car, je le répète, je ressentais une urgence à dire tout cela. Comme une intuition avant le Covid qu’on allait se retrouver face à la fin de quelque chose.

Comment êtes-vous passée de cette inspiration très visuelle à l’écriture du scénario ?

Je fonctionne toujours de la même manière, dans un questionnement social et politique permanent. J’ai le sentiment d’être en observation du monde autour de moi à chaque instant. Et tout cela finit par se fixer dans une émotion visuelle, souvent affective. Pour Un hiver en été, le point de départ de l’écriture était de prendre dix individus extrêmement singuliers et d’essayer de raconter à travers eux l’humanité au sens plus large, au lieu de réduire chacun à sa seule condition sociale. J’ai donc commencé par imaginer, puis tenter de donner corps à ces personnes qui se voit chacune comme l’héroïne de sa propre vie. Une policière, une éboueuse, une sans-domicile fixe, un migrant… Partir de leur humanité et en faire interagir certains.

On sent que vous aimez chacun de ces personnages, même ceux qui nous paraissent les moins aimables…

J’essaie toujours de comprendre d’où vient le monstre. Ça me passionne ! Mon but était que le spectateur puisse imaginer les enfants que ces personnages ont été, leur background social, émotionnel, afin de comprendre leurs comportements face à cette ambiance de fin du monde et l’urgence qu’elle implique.

Vous avez toujours pensé ce projet en termes de long métrage et non de série ?

Oui, mais en espérant qu’ensuite quelqu’un aurait l’imagination et l’envie de développer une série avec le passé de chaque personnage ! (Rires.) Mais quand j’écris Un hiver en été, je ne pense que cinéma et me situe donc dans l’anti-série en me demandant comment raconter mon histoire en moins de deux heures et par quelles ellipses je vais devoir passer pour y parvenir.

Justement, comment faire pour garder cet équilibre entre tous vos personnages et ne pas en laisser certains de côté au fil du récit ?

Ça fait rire mon copain Cédric Kahn qui joue dans le film, mais j’ai le sentiment de travailler comme un peintre. Mon esprit vagabonde jusqu’au moment où mes pensées vont se concrétiser. À l’écriture bien sûr, mais aussi au montage où tout cela se rejoue, en fonction de ce qui s’est passé au tournage, des équilibres qui y ont été modifiés, notamment par l’incarnation des acteurs. Mais cet équilibre m’est venu assez naturellement : chaque personnage étant vecteur d’une question existentielle bien précise que je souhaitais faire entendre dans le film, tout déséquilibre entre les personnages aurait abîmé le film dans sa globalité.

À quel moment avez-vous pensé au casting ?

Ce fut un long parcours assez chaotique. La première idée de mes producteurs, dans une logique économique pragmatique, a été de réunir un casting de stars, le nerf de la guerre pour le cinéma d’auteur Art et Essai que je fais. Je ne raisonne pas du tout ainsi – il y a bien évidemment des stars qui m’intéressent mais pour leur talent, pas pour leur statut –, mais j’ai accepté de jouer le jeu. Sauf que toutes celles et ceux que j’ai contactés m’ont dit non ! Peut-être parce qu’ils ne m’aiment pas ! (Rires.) Mais aussi, je crois, parce que les dix personnages étant à égalité, il n’y a pas de héros ou d’héroïne à proprement parler. Ce n’est donc pas très « vendeur ». À partir de là, j’ai décidé de suivre mes envies, en faisant fi de toutes ces notions de statut et j’ai eu la chance que tous me disent oui. Des acteurs généreux, forcément intéressés par autre chose que par eux-mêmes et qui ont répondu présents pour de bonnes raisons. Des raisons de cinéma.

Vous travaillez comment avec vos acteurs ? Cela passe par des lectures, des répétitions ?

Non. Mon truc, c’est de les rencontrer et de boire des cafés avec eux. (Rires.) Je les scrute dans ces échanges et j’apprends à voir comment je vais leur parler et ce que je vais aller chercher en eux que j’aime bien. Je me greffe aussi sur les essais costumes pour passer le maximum de temps avec eux et me nourrir de qui ils sont et de ce qu’ils font en dehors du cinéma. Le chant pour Judith Chemla, le dessin pour Clémence Poésy… J’ajuste leurs personnages à ce qu’ils sont et ce qu’ils dégagent.

 

Pourquoi, alors qu’on parle tant de réchauffement climatique, avez-vous figuré cette idée de fin du monde par un froid glacial ?

J’ai commencé à imaginer cette histoire dans une ambiance de chaleur écrasante. Mais très vite, se sont posées des questions pratiques compliquées, voire insolubles, à commencer par le fait que je serais totalement dépendante du soleil et que ce risque était trop important pour notre budget. Et puis je me suis surtout dit qu’il y avait quelque chose d’un peu cliché à raconter le dérèglement climatique à travers le réchauffement de la planète. Alors je me suis renseignée et j’ai découvert que ce dérèglement climatique pouvait aussi donner naissance à des vagues de froid intense. Comme j’étais partie sur cette idée des rencontres, le besoin de chaleur humaine me paraissait plus fort ainsi.

C’est la première fois que vous collaborez avec Emmanuelle Collinot à la photographie…

Juste avant Un hiver en été, j’ai réalisé Aurore, une minisérie pour Arte, avec un chef opérateur que j’avais adoré, Éric Dumont. J’avais naturellement envie de continuer à travailler avec lui. Mais entre-temps il a fait The Son, Suprêmes, Les Pires Tout le monde se l’est arraché et il n’était plus disponible. J’ai dû trouver quelqu’un d’autre. Or, pour moi, l’image est très importante. C’est dans cette section que j’ai été diplômée à la Fémis et je peux être très difficile avec mes chefs opérateurs car je connais bien mon sujet ! Il me fallait donc quelqu’un à la fois d’aventurier et capable de m’écouter et me suivre dans ma vision parfois extrême. Quelqu’un avec un grand savoir-faire, une grande disponibilité, une grande générosité et un goût du risque ! C’est ce que j’ai trouvé chez Emmanuelle. Ma productrice et mon assistant-réalisateur avaient tous les deux travaillé avec elle et ce sont eux qui ont suggéré son nom. Ça a matché entre nous dès notre première rencontre. Ce qui m’a tout de suite séduit chez elle, c’est qu’elle avait fait du documentaire. Comme je travaille beaucoup à partir de la lumière naturelle, mais avec une méthode particulière, cet aspect comptait énormément pour moi. Je tourne tout à l’épaule mais en Cinémascope, avec des optiques assez lourdes. Grâce à son expérience, Emmanuelle a naturellement cette capacité à pouvoir être surprise sans être perdue. On s’est si bien entendues que depuis, on a fait deux autres projets ensemble dans une harmonie totale.

Comment lui avez-vous transmis ce que vous souhaitiez pour la lumière de ce film ?

Dès que je me mets à écrire, je commence à réunir des images et des musiques dans un dossier que je fais passer ensuite à mes collaborateurs pour leur donner les grandes directions de ce que je souhaite. Mais tout cela se fabrique surtout en repérages, dans le choix des optiques, des caméras… Par exemple, sur Un hiver en été, on a choisi notre méthode à partir du moment où on a décidé de travailler sans lumière artificielle.

C’est Bruno Coulais qui compose la musique d’Un hiver en été. Une musique qui épouse le côté romanesque de votre cinéma. Comment avez-vous travaillé avec lui pour votre deuxième collaboration après la série Aurore ?

Je crois avoir rencontré le musicien de ma vie ! Je n’imagine en tout cas plus travailler sans lui. Il me comprend comme personne. Il possède ce lyrisme que j’aime et adoucit mon cinéma assez brut sans le dénaturer. Sa musique n’appuie jamais les choses. Elle les accompagne avec une fluidité jamais prise en défaut. Elle tient un rôle à part entière. Et Bruno a une telle amplitude dans ses styles de composition que, quel que soit le genre où j’évolue, je sais qu’il saura imaginer les musiques adéquates.

Parlons du montage. Est-ce que, de par la spécificité de ce film choral nécessitant un parfait équilibre entre les dix personnages, vous avez eu besoin d’y passer plus de temps qu’à votre habitude ?

Là aussi, avec Alexandre Auque, j’ai eu la chance de rencontrer un compagnon fidèle qui m’accompagne dans mes créations avec une bienveillance et une confiance totale. C’est évidemment l’une des raisons pour laquelle on est resté dans le temps normalement imparti à cette étape, sans le dépasser. Notre méthode est immuable. Alexandre ne peut pas commencer à monter sans moi, car mes rushes ont quelque chose de tout à fait informe, une sorte de magma de réussites et de ratages. Je suis la seule à pouvoir dans un premier temps sortir de ce chaos. Donc au départ, il me suit. Puis il finit par me rattraper, avant de me précéder. Avec lui, comme avec Emmanuelle, on a de très grandes discussions politiques sans avoir forcément le même avis. C’est aussi un grand connaisseur de musique, c’est lui qui m’a fait découvrir la chanson qu’on en entend à la fin du film, Kiss de Scout Niblett. Il possède la qualité que je préfère chez ces techniciens, tous brillants dans leur domaine par ailleurs : l’humanité !

UN HIVER EN ÉTÉ

UN HIVER EN ÉTÉ

Réalisation et scénario : Laetitia Masson
Photographie : Emmanuelle Collinot
Montage : Alexandre Auque
Musique : Bruno Coulais
Production : Christmas in July, Les Films du Kiosque
Distribution : Jour2Fête
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie en salles : 26 juillet 2023

Soutien CNC : Aide à la création de musiques originales