Laurent Micheli : « Il faut que les personnes issues d’une minorité se réapproprient leur histoire »

Laurent Micheli : « Il faut que les personnes issues d’une minorité se réapproprient leur histoire »

10 décembre 2019
Cinéma
Lola vers la mer
Lola vers la mer 10 :15! Productions - Wrong Men
Lola vers la mer raconte le parcours d’une personne transgenre en plein processus de réattribution sexuelle. Mais alors que sa mère vient de mourir, elle va devoir vivre cette transition avec le seul soutien de son père, au début très hostile. Pour son premier long métrage, Laurent Micheli signe un film vibrant sur un sujet particulièrement sensible. Rencontre.

Comment est né ce film qui mélange transidentité et conflit de générations ?

Au départ, il y avait l’envie d’embrasser les deux sujets que vous venez d’identifier. Je voulais parler de la transidentité. C’était une envie politique : je sentais la nécessité de porter un récit avec une personne issue d’une minorité et d’en faire le personnage principal pour montrer cette réalité au plus grand nombre. Mais je voulais également interroger la figure du père, travailler sur la relation parent/enfant, même si je ne suis pas père moi-même. Je crois que j’avais envie de me replonger dans mon adolescence et de questionner ma colère, celle que nous avons tous plus au moins traversée un jour.

Le film raconte une double quête d’identité. Il y a celle de Lola, évidemment, mais aussi celle de son père.

Oui, chacun aide l’autre à accoucher de son identité, de qui il est vraiment. Le parallèle des deux parcours me semblait intéressant. Les deux personnages renaissent littéralement à la fin du film et c’est un apprentissage mutuel. Je crois que je voulais parler de cette idée que parfois, on peut devenir le parent de ses propres parents. C’est sans doute le cœur du film. C’est un sujet pointu, mais je ne voulais pas faire un film de niche pour autant. Je souhaitais au contraire qu’il soit très ouvert, généreux et destiné à un public large. C’est pourquoi j’ai choisi de raconter cette histoire de façon simple, pour que tout le monde puisse l’entendre et surtout dans laquelle chacun peut se projeter. Prêcher des convaincus ne m’intéressait pas.

D’où le choix d’un acteur comme Benoît Magimel ?

Oui, Benoît est un acteur qui est aimé, il est populaire dans le sens noble du terme : il attire les gens et il était important d’avoir un comédien de cette trempe-là pour faire passer le message du film. Son personnage est complexe, très humain. Benoît possède à la fois une rugosité, une masculinité très forte et en même temps une grande sensibilité et une énorme fêlure. J’avais revu La Tête Haute avant de le rencontrer et je l’avais également senti très généreux avec la jeune actrice. Et ça, c’était très important pour moi : j’avais besoin de trouver quelqu’un de bienveillant face à Mya Bollaers qui n’avait jamais rien joué avant.

 

Le parcours de Mya Bollaers a des similitudes avec celui de Lola. Le film aurait-il pu fonctionner avec une autre actrice ?

Le film n’a pas été écrit pour elle. Ni pour Benoît d’ailleurs. Mais il a été adapté en fonction du casting. Effectivement, Mya était, comme Lola, en transition au moment du tournage. Aurait-il pu se faire avec une autre actrice ? Peut-être, je ne sais pas. Mais la condition essentielle pour moi était d’avoir une actrice trans pour jouer Lola…

Pourquoi ?  

Aujourd’hui, c’est important que les personnes issues d’une minorité se réapproprient les histoires qu’on raconte sur eux. Je ne dis pas qu’il ne faut jouer que ce qu’on est, ce serait d’un ennui terrible, et la fin d’ailleurs de toute création. Mais en même temps, nous sommes à un moment charnière. Au fond, je ne souhaite qu’une chose : que Mya puisse jouer un personnage cisgenre dans un prochain film. Malheureusement, on n’en est pas encore là.  Ma conviction c’est qu’il faut travailler au maximum pour donner de la visibilité à toutes les minorités. Après, concernant le casting de Mya, il y avait aussi mon désir de cinéaste de fixer un corps, un visage, une voix qui étaient ceux d’une personne qu’on ne voit pas forcément beaucoup dans la société. Et c’était très important pour moi.

Vous parliez aussi du message à faire passer…

Oui, je voulais montrer que Lola n’est pas une victime, qu’elle ne se rabaisse pas, qu’elle ne subit pas sa situation. Sa condition - ce qu’elle est -, elle l’embrasse au contraire totalement. Ce sont les autres qui l’empêchent de le vivre sereinement. Après, il s’agit aussi d’une ado de 18 ans, frondeuse, en rébellion contre son père. Je cherchais à ce qu’il y ait dans mon film, comme dans la vie, des moments drôles et des moments tragiques. En tout cas, à l’écriture, je ne me suis pas refusé l’émotion. Au contraire.  

C’est peut-être le message le plus fort de votre film et de votre personnage…

J’espère : Lola est un personnage qui a de la force. On cherche à la rabaisser et elle ne se laisse pas faire. Avec ce film, je voulais exprimer une chose : on ne va pas rester caché, on ne va pas se taire. On va prendre la place qui nous revient, parce qu’on en a une à prendre et on ne va pas se gêner pour le faire.

C’est un film militant ?

Evidemment. Le film part du désir de ramener du politique, qui fait partie de ma vie au quotidien, au cinéma. Je m’interroge beaucoup sur la manière dont on doit laisser plus de place aux gens qu’on dit « en marge » et comment on peut les aider à trouver leur place dans la société. Mais le militantisme du film n’est pas mis en avant. Il est surtout dans le fait de faire ce film…

Lola vers la mer, qui sort ce mercredi 11 décembre, a reçu l’avance sur recettes avant réalisation, l’aide à la création de musiques originales, l’aide à la création visuelle ou sonore (CVS) et l’aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.