Les stratégies patrimoniales de StudioCanal

Les stratégies patrimoniales de StudioCanal

24 janvier 2024
Cinéma
StudioCanal
StudioCanal et la valorisation du patrimoine cinématographique StudioCanal

Filiale du groupe Canal +, StudioCanal possède un catalogue riche d’environ 8 000 films. Comment la société de production, d’acquisition de droits, de distribution et de ventes internationales valorise-t-elle le patrimoine ? Décryptage avec Juliette Hochart, directrice du catalogue, et Céline Defremery, responsable du catalogue France.


Que représente le catalogue de StudioCanal ?

Juliette Hochart : Il est composé d’environ 8 000 films, sans compter notre catalogue de séries et les autres formats (courts, moyens métrages et divertissements). Mais ce chiffre évolue constamment. Il a, par exemple, grimpé récemment quand on a racheté Dutch FilmWorks, une société néerlandaise qui possédait un catalogue de films qu’on a pu intégrer au nôtre.

Est-ce la seule manière de l’élargir ?

JH : Il nous arrive aussi régulièrement de signer des accords de distribution. Lors du dernier Festival de Cannes, par exemple, StudioCanal a annoncé la signature d’un accord avec Metropolitan autour du catalogue de films de Claude Lelouch dont nous assurons désormais la distribution dans le monde. De même, avec Romulus Films, une société de production britannique, nous avons signé en 2021 un accord de représentation mondiale de leur quarantaine de films, parmi lesquels on compte African Queen de John Huston ou Les Chemins de la haute ville de Jack Clayton. Mais il y a également les acquisitions de films ou de catalogues qui impliquent un rachat des parts du producteur. StudioCanal devient alors coproducteur ou producteur délégué du titre. Notre catalogue est historiquement constitué d’un côté par ces acquisitions et de l’autre par la production maison. On poursuit aujourd’hui cette double politique afin de le faire vivre. C’est l’une des fondations de notre activité et on y consacre beaucoup de ressources et de moyens. Quand on s’attache à valoriser le patrimoine, il nous faut constamment rafraîchir notre offre avec des propositions nouvelles. Vis-à-vis du marché, des consommateurs de vidéo physique ou à la demande, mais aussi de nos acheteurs, français et internationaux, qu’ils soient diffuseurs télé, plateformes ou distributeurs.

Au-delà de ces rachats, comment faites-vous concrètement pour valoriser votre catalogue ?

JH : Notre stratégie s’articule autour de trois piliers : la protection des titres, la valorisation et la transmission.

Que regroupe la notion de protection ?

JH : C’est une responsabilité essentiellement juridique et technique. Techniquement, il s’agit de restaurer l’image et le son, de gérer l’archivage du film et la sauvegarde des éléments physiques et numériques. Derrière chaque titre, il y a un matériel spécifique nécessaire à son exploitation. La responsabilité juridique, quand StudioCanal est producteur délégué d’un film, consiste à renouveler les droits d’auteur, et à établir les décomptes aux ayants droit.

Quand on s’attache à valoriser le patrimoine, il nous faut constamment rafraîchir notre offre avec des propositions nouvelles. Vis-à-vis du marché, des consommateurs de vidéo physique ou à la demande, mais aussi de nos acheteurs, français et internationaux, qu’ils soient diffuseurs télé, plateformes ou distributeurs.
Juliette Hochart

Vous parliez aussi de la valorisation. De quoi s’agit-il exactement ?

JH : Les revenus tirés de l’exploitation des films assurent naturellement leur pérennité. Il s’agit ici d’optimiser la manière dont on va exploiter notre catalogue. On est très attentifs à ce que ces films circulent, soient visibles et ne restent pas au fond d’un tiroir. Pour cela, on peut s’appuyer sur une structure qui n’est pas seulement franco-française, mais dispose d’un ensemble de filiales à l’étranger ainsi que sur une équipe de vente à l’international. On a progressivement constitué un portefeuille de clients – distributeurs, chaînes et plateformes – qui couvre l’ensemble des pays dans le monde. Et on s’adresse directement aux diffuseurs pour être assurés que les films vendus soient vus.

Il y a les chaînes, les plateformes, mais vous organisez aussi régulièrement des ressorties en salles…

JH : Tout à fait. Si l’on gère en direct les ventes télévisuelles et les ventes aux plateformes, pour les ressorties salles, on passe par des distributeurs spécialistes du patrimoine. Ils effectuent un travail d’orfèvre, et s’assurent que le film va être montré dans le plus de salles possible. En France, mais aussi à l’international. On collabore ainsi avec Rialto aux États-Unis qui fait un travail remarquable de remise en avant de nos films et certains ont des résultats exceptionnels : Le Mépris de Jean-Luc Godard à l’été 2023 ou avant lui Monsieur Klein de Joseph Losey, resté plus de neuf semaines à l’affiche à New York…

On a développé différentes collections, comme « Make My Day ! » dirigée par Jean-Baptiste Thoret […] Il y a également Jérôme Wybon qui va fêter le premier anniversaire de la collection « Nos années 70 ». Pour nous, c’est une belle occasion de mettre en avant des pépites, des raretés qu’on n’a pas forcément l’habitude d’exploiter en vidéo.
Céline Defremery

Toujours sur cette valorisation des titres, comment s’effectue votre travail à l’année ?

JH : On construit un calendrier, un line-up de films qu’on choisit de restaurer et de ressortir en salles et en vidéo et sur lesquels nos équipes (en France, en Angleterre, en Allemagne, ou en Australie et en Nouvelle-Zélande) vont s’investir. Chaque année, on élabore en fait une petite vitrine. C’est une portion infime de notre catalogue (on parle d’une quinzaine de films), autour de laquelle on va créer de nouvelles envies. Le choix de ces titres suit l’actualité, ou peut être lié à un anniversaire, une rétrospective, la programmation d’un festival…

Ou à l’époque. Vous avez récemment ressorti Persepolis par exemple…

JH : Oui tout à fait, et la réalisatrice Marjane Satrapi s’est beaucoup impliquée sur cette restauration et ressortie qui lui tenait à cœur. Elle est venue présenter une projection lors du festival Cinema For Change en avril dernier, dont l’objectif est d’éveiller les consciences. Et l’année dernière encore, deux films de Kira Muratova, une réalisatrice ukrainienne qui était dans notre catalogue, ont été restaurés et montrés à Bologne : Brèves Rencontres et Longs Adieux. Ils vont ressortir en Angleterre et en Allemagne en vidéo, mais pas en France, parce que nous n’avons pas les droits.

Céline Defremery : Pour Persepolis, on venait en plus d’acquérir les droits du film. C’était l’occasion idéale. On avait récupéré le film, il y avait l’actualité iranienne : ça nous semblait plus que pertinent.

JH : Avant d’évoquer la transmission, je voulais parler d’un aspect de la valorisation moins visible, mais tout aussi important. C’est la diversification. Certains membres de l’équipe gèrent les droits de licensing et la gestion des droits musicaux. Par exemple, il nous arrive de céder les droits d’une musique de l’un de nos films pour une publicité ou une bande-annonce… Ça aussi, c’est une manière de valoriser un film. Certaines musiques originales voyagent. Le Troisième Homme de Carol Reed est un grand classique de notre catalogue et son thème musical très célèbre est utilisé depuis des années par la marque de bière japonaise Yebisu. Cela fait parti de notre travail : monter des partenariats autour des films. Que ce soit la musique, certaines images, la marque même…

Et donc, la transmission…

JH : Il s’agit de tout ce qui est relatif à la responsabilité marketing, d’éditorialisation et de communications autour de nos titres. On cherche avant tout à faire en sorte qu’un film rencontre son public. Faire découvrir notre catalogue, éveiller la curiosité des gens, passe par un travail éditorial. Les collections, évidemment, mais aussi un travail de modernisation des éléments marketing. Un nouveau visuel, par exemple, peut changer l’approche qu’on a d’une œuvre. Les plus avertis sont également sensibles à un nouveau support, un nouveau matériel restauré. C’est un travail essentiel pour faire en sorte que ces films soient vus.

À l’année, pour valoriser concrètement les titres, on construit un calendrier, un line-up de films qu’on choisit de restaurer et de ressortir en salles et en vidéo et sur lesquels nos équipes (en France, en Angleterre, en Allemagne, ou en Australie et en Nouvelle-Zélande) vont s’investir.
Juliette Hochart

Dans ce contexte, vous avez développé différentes collections. Comment sont-elles nées ?

CD : On peut prendre l’exemple de la collection « Make My Day ! » dirigée par Jean-Baptiste Thoret. Tout part d’une rencontre avec Jean-Baptiste qui nous dit un jour : « Vous avez un catalogue formidable avec beaucoup de titres à exploiter. Comment vous aider à les éditorialiser ? » Alors, bien sûr, on l’accompagne : on lui donne des listes de films, on vérifie que le matériel est disponible. Mais après, on le laisse choisir les titres de sa collection. Il sait ce que les gens attendent. Pour nous, c’est une belle occasion de mettre en avant des pépites, des raretés qu’on n’a pas forcément l’habitude d’exploiter en vidéo. La plupart des titres sont inédits en Blu-ray. Et ce sont des films que les gens ont peu vus.

Avec un travail éditorial ambitieux derrière, dans les bonus et les présentations.

CD : C’est la plus-value apportée par Jean-Baptiste, qui fait toujours une intro et propose un module, « le revu par », pour lequel il va toujours choisir le spécialiste idéal du film. Il complète aussi avec des archives ou des analyses de scènes. On essaie d’être au plus près du sujet traité, et de rajouter quelque chose qui puisse élargir aussi le public du film.

JH : Cela fait cinq ans que la collection existe et elle vit bien. Derrière chaque titre on rencontre de beaux échos. La presse spécialisée s’y intéresse et des diffuseurs se montrent parfois intéressés pour acheter les films.

CD : Ça a été le cas de Trois Milliards d’un coup, réalisé par Peter Yates un an avant Bullitt. Après en avoir parlé autour de nous, Marc Olry de Lost Film a décidé de le sortir en salles. Certains films donnent des idées et des envies aux distributeurs.

JH : Comme Winter Kills de John Huston. Le film est sorti dans la collection « Make My Day ! » en janvier 2020 et notre distributeur américain s’en est emparé. Quentin Tarantino, qui possède une salle à Los Angeles, a souhaité le montrer et toute la presse s’en est fait l’écho. Cet enchaînement a permis d’assurer une belle visibilité au film. D’ailleurs, aujourd’hui, un distributeur français s’y intéresse et pourrait le ressortir.

CD : Et là, on ne parle que d’un curateur, Jean-Baptiste Thoret, mais il y a également Jérôme Wybon qui va fêter le premier anniversaire de la collection « Nos années 70 ». On a commencé avec six titres, puis on est passé à trois titres tous les trois mois. Cette collection mélange les genres et propose un titre inédit à chaque fois. Comme Jean-Baptiste, Jérôme Wybon est un spécialiste qui connaît très bien le cinéma français des années 1970 et qui est venu nous voir avec une idée : exhumer des titres qu’on n’a pas vus en DVD depuis vingt ans, un peu oubliés et pour la plupart restaurés. Il leur a offert une seconde vie avec un accompagnement éditorial basé uniquement sur des archives. C’est une manière intelligente de porter un nouveau regard sur cette décennie de cinéma. 

De manière générale, on ne se contente pas de sortir le film en HD : on essaie toujours de proposer une nouvelle lecture, de nouveaux angles, pour là encore, « moderniser » les titres.
Céline Defremery

Récemment, vous avez ressorti Le Magnifique. D’où partait l’envie de redonner une actualité à ce film très connu ?

CD : On fêtait l’année dernière les 50 ans du film et on s’est dit que c’était le bon moment pour proposer une nouvelle restauration. C’est ce qu’on avait fait avec Le Mépris qui, lui, fêtait ses 60 ans. On avait déjà sorti Le Magnifique en Blu-ray, donc on a choisi de le passer en UHD, d’être mieux-disant sur le plan technologique. C’est la position que nous défendons : à partir du moment où l’on a une restauration 4K entre les mains, avec un travail particulier sur les couleurs du film, sur la définition, il faut le sortir avec la meilleure qualité possible.

Vous l’avez sorti également en salles…

CD : Oui, pour événementialiser cette ressortie. Nous nous sommes naturellement tournés vers Carlotta qui nous avait déjà accompagnés sur Cartouche il y a quelques années. On a effectivement calé une sortie salle et une sortie vidéo en même temps. Et pour valoriser ce travail, on a créé une nouvelle bande-annonce et une nouvelle affiche qui redonnent un petit coup de jeune au film. Pour la sortie Blu-ray, on a également conçu de nouveaux bonus. On ne se contente pas de sortir le film en HD : on essaie toujours de proposer une nouvelle lecture, de nouveaux angles, pour là encore, « moderniser » les titres.

JH : Le résultat est spectaculaire : au dernier festival de La Rochelle, pour la présentation du film, la salle était pleine et les gens sont sortis emballés. Surtout, on était ravis de constater qu’il y avait beaucoup de jeunes.

CD : De fait, Le Magnifique a une place particulière dans la filmographie de Jean-Paul Belmondo, et on a pu s’en rendre compte une fois de plus.

JH : C’est la beauté du patrimoine : avoir un catalogue aussi riche qu’on continue d’entretenir avec le concours d’aides publiques. Celles du CNC sur l’aide à la restauration et à la numérisation. Il y a deux commissions par an auxquelles on présente nos projets et les films qu’on souhaite restaurer. Mais aussi l’aide à l’édition en vidéo physique.