« Les Vieux » : « Donner la parole à des gens qu’on n’entend pas »

« Les Vieux » : « Donner la parole à des gens qu’on n’entend pas »

25 avril 2024
Cinéma
« Les Vieux » réalisé par Claus Drexel
« Les Vieux » réalisé par Claus Drexel New Story

Pour son quatrième long métrage documentaire, le cinéaste d’origine allemande, Claus Drexel, est parti à la rencontre de personnes âgées aux quatre coins de la France. Entretien.


Comment et quand naît chez vous l’idée de ce documentaire ?

Claus Drexel : De manière vraiment spontanée car je n’étais pas, à ce moment-là, à la recherche d’un sujet de film. J’avais simplement la sensation qu’on entendait peu la parole des anciens et qu’il m’intéresserait d’aller la recueillir. C’est mon quatrième documentaire, après ceux consacrés aux sans-abri (Au bord du monde, 2013), à l’effondrement du rêve américain (America, 2017) et aux prostitués du bois de Boulogne (Au cœur du bois, 2021). À chaque fois, mon désir est né de la volonté de donner la parole à des gens qu’on n’entend pas. Or, si les personnes âgées sont présentes dans le débat public, c’est souvent de manière assez négative. On parle de la fin de vie, des problèmes des retraites. Mais les principaux concernés ne sont jamais entendus. Je voulais explorer la France en sachant qu’on ne pourrait pas être exhaustif, mais en essayant au maximum de respecter une diversité culturelle, ethnique et sociale pour qu’en creux, les personnes qui n’apparaîtraient pas dans le film soient quand même représentées. On était en 2018, et je venais de terminer America. J’ai confié mon envie de faire ce film à mon producteur Laurent Lavolé, de Gloria Films, et il a dit « OK ».

Quel film avez-vous en tête à ce moment-là ?

Ma manière de faire des documentaires, c’est de découvrir le film en le tournant, de partir à la rencontre des personnes sans but précis. Je n’aime rien tant qu’être surpris. Pour autant, je sais évidemment qu’il faut une structure, ne serait-ce que pour constituer son dossier de financement. Et pour cela, je travaille avec un co-auteur Samir Bouadi, qui était déjà à mes côtés sur Au cœur du bois. Par sa présence et son travail, il me permet de garder intacte une certaine fraîcheur. Par contre, je savais déjà quelle forme aurait le film. Je voulais tourner en CinémaScope, avec une succession de plans fixes, et que la parole des intervenants soit entrecoupée par des moments de contemplation, avec des plans de nature.

Pourquoi ce désir de plans fixes en CinémaScope ?

Je suis un amoureux du cinéma. D’une certaine manière, j’ai eu envie de transformer chacun de mes interlocuteurs en star de cinéma. Mais ce parti pris formel donne aussi aux spectateurs le temps de lire les détails sur les lieux où l’on filme et par ricochet de comprendre de manière non verbale ces personnes. De plus, comme je fais des entretiens très longs et que j’ai envie de faire oublier la caméra, cette idée de plan fixe me permet de rester seul avec la personne que j’interviewe, puisque même mon directeur de la photographie, Sylvain Leser, quitte les lieux.

Ma manière de faire des documentaires, c’est de découvrir le film en le tournant, de partir à la rencontre des personnes sans but précis. Je n’aime rien tant qu’être surpris.

Comment s’opère le « casting » des personnes que vous allez interroger ?

J’ai commencé par faire une liste de ce qui m’apparaissait spontanément comme emblématique : des gens qui ont travaillé à la mine, immigrés d’Europe de l’Est ou d’Afrique du Nord, un ancien marin-pêcheur breton, un ex-berger, des personnes issues des départements ultramarins qu’on n’a hélas pas pu aller voir par manque de budget… Et à partir de là, on commence à parler autour de nous, on passe par telle ou telle association d’anciens… Même si, pour moi, rien ne vaut le hasard de la rencontre chemin faisant.

Comment leur présentez-vous le projet  pour les convaincre de témoigner ?

Je n’ai eu aucun contact avec la plupart d’entre eux avant d’aller les filmer ! Je me fie simplement à la feuille de route que les équipes de production m’ont préparée et on part à deux avec Sylvain [Leser]. On a parcouru 300 kilomètres par jour, à chacune des quatre sessions de tournage. Mes producteurs s’inquiétaient un peu qu’on fasse certains voyages pour rien. Ils me proposaient de faire des visioconférences pour vérifier la pertinence du déplacement. Mais j’ai toujours dit non. Car je suis persuadé que tout le monde est intéressant à écouter, à partir du moment où on prend le temps de le faire. Donc je ne suis jamais inquiet. Et il est essentiel pour moi de préserver les mystères des rencontres.

Y avait-il une ligne conductrice dans vos entretiens ?

Je viens de la fiction donc, quand je me suis lancé dans le documentaire avec Au bord du monde, j’ai d’abord voulu être bon élève : j’avais préparé consciencieusement pour chaque personne que je rencontrais une liste de questions. Et je me suis très vite aperçu que c’est lorsque j’étais à court de questions que l’échange devenait vraiment intéressant ! Donc j’ai laissé tomber cette méthode un peu scolaire. Même si je ne pose pas les bonnes questions, j’arrive à faire parler les gens. Donc je ne suis aucune ligne directrice. La discussion peut partir du temps qu’il fait ou d’un problème technique… Et je ne coupe jamais les gens, au grand dam de ma monteuse Anne Souriau ! (Rires.) Anne est pour moi une collaboratrice essentielle et extraordinaire car on se retrouve avec une quantité inouïe de rushes et sans aucune ligne directrice. Tout est à créer !

 

Vous aviez combien d’heures de rushes ?

Une bonne centaine.

Le montage ne commence qu’une fois le tournage terminé ?

Anne [Souriau] a commencé à monter avant la dernière de nos quatre sessions de tournage.

Comment avez-vous trouvé le canevas du récit ?

J’ai du mal à vous donner une réponse précise car j’ai l’impression que si ça fonctionne à chaque fois, c’est plus par chance que grâce à un savoir-faire ! (Rires.) Mais si je prends un peu de recul, je dirai que chaque montage se construit au fil de mes échanges avec Anne. Ce qui en ressort à chaque fois, c’est notre envie de partir de choses un peu triviales pour aller vers ce qui constitue le cœur de l’âme humaine. Pour Les Vieux, c’était inévitablement la mort, même si on a pris garde de ne pas finir de manière trop noire. Pour en arriver là, il y a une sorte de puzzle à constituer, avec toujours dans un coin de ma tête cette envie que tous mes films aient un peu une dimension de conte.

Je suis un amoureux du cinéma. D’une certaine manière, j’ai eu envie de transformer chacun de mes interlocuteurs en star de cinéma.

Vous êtes-vous posé la question de mettre de la musique ou non sur le film ?

La musique constitue une part essentielle de mon bagage culturel donc il était assez évident qu’il y en aurait. Mais quand on fabrique le film, arrive toujours un moment où il prend les commandes et où une seule réflexion compte : est-ce que ça marche ou non ? Et là, ça marchait. Ce qui est très important pour moi, c’est la dimension hypnotique, onirique de la musique, une fois qu’on a entendu suffisamment de paroles, pour permettre la sédimentation des propos. D’où la présence régulière de séquences musicales composées par Valentin Hadjadj, qui collabore avec moi pour la troisième fois.

Quand sait-on que le montage est fini ?

C’est une fois encore un peu instinctif. Dès le départ, Anne avait assuré qu’il nous faudrait 18 semaines et on a fini au bout de… 18 semaines ! Dans ce genre de film, avoir du temps est indispensable. D’ailleurs, pendant la phase de montage, au moins une ou deux fois, je m’éclipse une semaine pour laisser Anne travailler seule avant de revenir. Trouver cet équilibre entre paroles et paysages, entre les moments de respiration, les moments drôles, émouvants, de tension, est difficile. Pour moi, tout cela a toujours quelque chose d’un peu miraculeux. Je suis aussi un grand fan des projections tests où l’on fait venir des gens pour comprendre si des choses leur manquent afin de pouvoir affiner notre travail.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris au fil de cette aventure ?

La diversité des témoignages. Je trouve ça magnifique de voir à quel point les gens sont différents et se complètent et comment on s’enrichit à écouter l’autre. De manière extrêmement simple, ces gens m’ont confié des choses très profondes. J’ai adoré chacune des minutes passées auprès d’eux.
 

LES VIEUX

Affiche de « Les Vieux » réalisé par Claus Drexel
Les Vieux New Story

Réalisation : Claus Drexel
Collaboration à l’écriture : Samir Bouadi
Photographie : Sylvain Leser
Musique : Valentin Hadjadj
Montage : Anne Souriau
Production : Gloria Films
Distribution : New Story
Sortie le 24 avril 2024

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