Marie Darrieussecq, présidente de la commission d’avance sur recettes : "J’attends que l’on m’ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde"

Marie Darrieussecq, présidente de la commission d’avance sur recettes : "J’attends que l’on m’ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde"

26 février 2020
Cinéma
Marie Darrieussecq
Marie Darrieussecq Yann Diener
Présidente de la commission d’avance sur recettes du CNC depuis le 8 janvier 2019, l’écrivaine Marie Darrieussecq nous explique son rôle, ses attentes, et son rapport au cinéma.

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la présidence de l’avance sur recettes du CNC ?
Marie Darrieussecq : J’étais déjà en terrain familier, ayant été membre du premier collège de l’avance sur recettes en 2014, sous la présidence de Serge Toubiana. Pourtant, mon premier réflexe a été de refuser face à l’ampleur de cette mission chronophage. Mais je me suis souvenue des propos enthousiastes de mon ancien éditeur et ami, Paul Otchakovsky-Laurens, qui nous a quittés début 2018, et qui avait lui aussi présidé l’avance sur recettes (en 2012 et 2013). J’y ai vu une sorte de relais, une façon de continuer à partager une expérience commune et d’une certaine façon, d’honorer sa mémoire. Nous avions le même amour de la littérature et du cinéma. J’ai donc accepté cette mission. Nous recevons près de 600 scénarios à lire sur une année, auxquels s’ajoutent les « mood boards » - les dossiers artistiques et financiers qui accompagnent le projet – à consulter. Heureusement, je suis une grande lectrice de roman, j’ai donc une certaine facilité à lire vite – et bien, je l’espère !

Quelles sont vos attentes envers les projets présentés ?
Marie Darrieussecq : Être surprise !

J’attends que l’on m’ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde. Cela peut être une simple lucarne située dans ma rue mais à travers laquelle je n’aurais pas eu l’idée de regarder. J’attends aussi une forme dans le récit, une élégance.

Les histoires sont finalement toujours les mêmes. Ce qui est différent, c’est la façon de les raconter. Prenez  La Nuit des morts-vivants de George A. Romero : ce film est la preuve que même le cinéma gore peut être très élégant. Ce qui m’intéresse à la lecture des projets, c’est qu’il y ait quelqu’un derrière le projet, un regard, une sensibilité.

Quels sont les éléments sur lesquels vous vous fiez pour jauger la qualité d’un scénario ?
Marie Darrieussecq : Le plus important est de croire à l’histoire, aux personnages, qu’il y ait une évidence. C’est un exercice très intéressant que de deviner le film derrière le scénario. En cela, le dossier que les candidats constituent en accompagnement du scénario est essentiel : il regroupe par exemple les films précédents que le candidat a réalisés, ce qui nous permet de mieux appréhender leur univers, de nous figurer leur imaginaire ou tout simplement de mieux cerner la direction de leur projet.  Un conseil d’ailleurs aux candidats qui nous lisent : soignez votre dossier et ne comptez pas seulement sur le scénario ! Cela nous aide aussi à préparer l’étape, si cruciale, des auditions.

Avez-vous une façon particulière de lire pour la commission d’avance sur recettes ?
Marie Darrieussecq : Disons que je m’impose une certaine hygiène de vie ! La lecture de scénario est un exercice assez répétitif et obsédant, dont il n’est pas toujours simple de s’émanciper. Les scénarios font en moyenne une centaine de pages, respectent une structure précise, ponctuée de quelques dialogues. Les scénaristes sont dans une efficacité d’écriture, dénuée de toute figure de style. J’ai besoin de contrebalancer cette forme de lecture en me plongeant dans de grands romans : j’ai trouvé en Dostoïevski un remède redoutable ! Cela me permet de renouer avec la littérature, de retrouver le plaisir des longues descriptions… Cela m’aide à retrouver un éveil, une patience et la pertinence nécessaires pour lire des scénarios.

Comment se déroule une séance de commission ?
Marie Darrieussecq : Lors des premières séances, nous discutons de tous les projets avec les membres de la commission. Je veille à ce que le temps de parole de chacun soit respecté. J’aime beaucoup ce temps d’échanges car même si nous sommes en désaccord, il en ressort toujours quelque chose d’instructif. Vient ensuite le temps des auditions, au cours desquelles les candidats défendent leur projet. Je m’appuie beaucoup sur mes vice-présidents, les producteurs David Thion, Bénédicte Couvreur et Marc Missonier, mais aussi des autres membres du jury, avec qui nous menons un joli travail d’équipe. Chacun y apporte sa contribution, son regard, son analyse. Au final, nous retenons quatre à cinq projets. Ceux qui sont refusés, généralement en raison de faiblesses scénaristiques, pourront se représenter après un travail de réécriture. Ce fut le cas, par exemple, de Grave de Julia Ducourneau, qui avait été refusé. Je me souviens que c’était un projet clivant, mais devant la ténacité de l’auteure, il a finalement été soutenu par le CNC et a rencontré le beau succès que l’on connaît.  

Quelle cinéphile êtes-vous ?
Marie Darrieussecq : Ma cinéphilie a commencé avec Husbands de John Cassavetes, à l’âge de 19 ans, ce qui peut sembler tardif. J’ai grandi à Bayonne, où il n’y avait pas de cinéma d’art et d’essai à l’époque. Fort heureusement, ce n’est plus le cas depuis l’implantation de l’Atalante, qui propose une programmation de qualité. J’ai donc découvert le film de Cassavetes à l’Utopia, à Bordeaux, en version originale, et j’ai appris avec émerveillement qu’il était possible de faire un plan de 20 minutes avec des gens ivres qui chantent à tue-tête ! Et puis je suis tombée amoureuse d’un cinéphile en arrivant à Paris. Nous avons passé des journées entières à la cinémathèque, pendant plusieurs années. J’y ai exploré le cinéma sous toutes ses formes, et ai développé une certaine sensibilité pour Michelangelo Antonioni, Arnaud Desplechin et Claire Denis, dont je suis la filmographie depuis le début, ou encore Wim Wenders.

Aimeriez-vous écrire pour le cinéma ?
Marie Darrieussecq : Non. J’aime vraiment le roman, c’est ma forme d’écriture. J’ai des amis qui écrivent des scénarios, Philippe Djian, Yannick Ennel, et certains sont aussi passés derrière la caméra, comme Virginie Despentes ou Emmanuel Carrère. Je sais le travail que cela implique d’écrire, de réécrire, de détricoter l’intrigue, de changer le métier d’un personnage selon les indications du producteur. N’étant pas d’un naturel patient, il me serait donc difficile de travailler dans le cinéma ! Et j’aime aussi travailler de chez moi, avec du papier et un stylo. Quand une idée me vient, cela peut prendre du temps à la formuler, mais je suis seule aux commandes.  C’est une grande liberté.

Quels sont vos projets ?
Marie Darrieussecq : Pour le moment, ils sont entre parenthèse ! J’avais décidé que 2019 serait une année sabbatique, finalement, c’est une année dédiée au cinéma. Mais cette expérience est si plaisante et enrichissante… Je mesure ma chance de découvrir, par-delà les scénarios, autant d’univers artistiques inventifs et surprenants.
 

l'avance sur recettes

Créée en 1960, l'avance sur recettes a pour objectif de favoriser le renouvellement de la création en encourageant la réalisation des premiers films et de soutenir un cinéma indépendant, audacieux au regard des normes du marché et qui ne peut sans aide publique trouver son équilibre financier. L'attribution des avances sur recettes est décidée par le Président du CNC après avis d'une commission composée de personnalités reconnues de la profession. La commission du soutien sélectif à la production est composée d'un président, de trois vice-présidents et de vingt-cinq membres. En 2018, près de 50 films ayant obtenu l’avance avant réalisation sont sortis en salles en France et ont dépassé ou approché les 500 000 spectateurs. C'est le cas de L’Apparition de Xavier Gionnoli, Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, Dilili à Paris de Michel Ocelot ou de Mademoiselle de Joncquières, l'adaptation de l'œuvre de Diderot par Emmanuel Mouret.

Marie darrieussecq

Agrégée de Lettres, Marie Darrieussecq publie son premier roman, Truismes (éditions P.O.L), en 1996. Traduit dans quarante pays, le roman rencontre un franc succès. Auteur d’une quinzaine de romans, elle remporte le Prix Medicis en 2013 pour Il faut beaucoup aimer les hommes qui évoque la passion brûlante de deux amants, entre Hollywood et la forêt camerounaise. Auteure d’une thèse sur l’autofiction, elle exerce un temps comme psychanalyse. Elle écrit également pour la jeunesse,  le théâtre, s’intéresse à l’art et traduit Ovide (Tristes  Pontiques), James Joyce (Brouillons d’un baiser) ou encore Virginia Woolf (Un lieu à soi).
En 2017, l’écrivaine publie Notre vie dans les forêts, une dystopie inquiétante dans laquelle l’héroïne et son clone doivent fuir dans les forêts pour retrouver un semblant de liberté.
En janvier 2019, Marie Darrieussecq est nommée à la présidence de la commission d’avance sur recettes du CNC.