Mounia Meddour : « Houria est la petite sœur de Papicha »

Mounia Meddour : « Houria est la petite sœur de Papicha »

15 mars 2023
Cinéma
Lyna Khoudri dans « Houria ».
Lyna Khoudri dans « Houria ». HOURIA_INK_CONNECTION_HIGHSEA_PRODUCTION

Récompensée du César du meilleur premier film en 2020 pour Papicha, la réalisatrice continue de raconter l’Algérie dans les pas d’une jeune femme qui se reconstruit après une grave blessure ayant brisé ses rêves de devenir danseuse. Interdite de tournage à Alger, elle a dû reconstituer la ville dans les rues de Marseille. Rencontre.


Le succès de Papicha, en France comme à l’international, a dû vous valoir nombre de propositions. Pourquoi avoir choisi de continuer à parler de l’Algérie ?

Après Papicha, j’ai en effet reçu une foule de scénarios américains. C’est évidemment flatteur et séduisant, mais ces propositions se sont révélées à mes yeux trop calibrées pour me détourner du véritable désir que j’avais au fond de moi. Celui de continuer à creuser mon sillon. Je veux poursuivre mon exploration de la société algérienne en parlant de nouveau de sa jeunesse, mais d’une jeunesse actuelle après avoir évoqué celle de la décennie noire. Il y a dans ce pays une telle énergie, une telle richesse que les sources d’inspiration me semblent intarissables. Tant de choses essentielles n’ont pas encore été racontées.

Comment est né le personnage de la jeune danseuse Houria ?

De l’envie de travailler sur le corps, sachant que cela reste encore très tabou dans la société patriarcale algérienne. Car danser, c’est s’exprimer. Et ça fait peur à certains. Il se trouve par ailleurs que j’ai, comme Houria, été victime d’un très grave accident qui m’a valu deux ans de rééducation. Je sais ce que représente l’isolement. L’écriture de ce film a donc eu aussi un aspect cathartique pour moi. Je vois vraiment Houria comme la petite sœur de Papicha et je l’assume complètement. Car sans Papicha, Houria n’aurait jamais pu voir le jour. Comme cinéaste, j’aime creuser un sujet. Avec Houria, j’ai l’impression de poursuivre un travail pour montrer comment une femme doit se débrouiller avec les ambivalences et les incertitudes de cette société algérienne complexe, faite d’énormément de joie et d’humour mais d’autant de drames. Et notamment en cherchant au fond d’elle-même les ressources pour se reconstruire et renaître.

Avez-vous vécu l’attente de l’après-Papicha comme une pression dans l’écriture et plus largement dans la fabrication d’Houria ?

Non car j’ai essayé de m’en détacher. Sinon, tu ne fais rien. Paralysée par la peur, j’aurais vite fini par perdre l’énergie et l’envie. Au contraire, j’enfonce le clou puisque je m’entoure de la même équipe technique et que j’ai repris la même actrice [Lyna Khoudri]. Et c’est précisément ce qui fait la force de ce projet. Sans cette bande soudée, son énergie, son enthousiasme, je ne serais jamais parvenue à relever le défi de devoir reconstituer Alger à Marseille.

Je veux poursuivre mon exploration de la société algérienne […] Il y a dans ce pays une telle énergie, une telle richesse que les sources d’inspiration me semblent intarissables. Tant de choses essentielles n’ont pas encore été racontées.

Vous venez du documentaire, comment avez-vous vécu l’annonce de cette délocalisation obligatoire ?

J’aime m’imprégner du pays où je tourne, des gens que je rencontre. Ne pas pouvoir poser ma caméra en Algérie revenait sur le papier à amputer le film de quelque chose de très fort. Et pourtant l’exercice s’est révélé passionnant.

 

Comment avez-vous relevé ce défi à l’écran ?

Je connais Alger par cœur pour y avoir passé vingt ans de ma vie. J’ai grandi dans des quartiers très populaires. Je suis donc imprégnée de tous les détails, de tous les sons, de cette langue que je maîtrise et que j’adore. Forte de ce bagage, je l’ai transmis à tous les chefs de postes mais aussi aux compositeurs – car il y a un énorme travail musical sur Houria – et à la chorégraphe. Ce travail collectif consiste à aller dans les moindres détails, jusqu’aux choix des chaises en plastique qu’on retrouve sur toutes les terrasses algéroises. Pour cela, je passe par des moodboards, des visuels très précis. Je fais aussi venir des comédiens algériens. On a fabriqué ce film comme un puzzle, et ma mise en scène est passée par une prédominance de plans serrés. Mais cela ne m’a pas éloignée de mes habitudes : les plans larges m’ennuient car je trouve qu’ils empêchent l’imagination du spectateur de vagabonder. Et ma caméra, très mobile, va toujours chercher les comédiens au plus proche de leurs visages et de leurs corps en leur laissant une liberté totale de déplacements et de propositions.

Dès le départ, avez-vous pensé à Lyna Khoudri, votre Papicha, pour camper Houria ?

J’ai du mal à écrire pour des comédiens en particulier, je laisse les personnages vagabonder dans mon esprit, ce sont eux qui me guident plus que l’inverse. C’est pour cela que je ne fais jamais rien lire à personne pendant que l’écriture est encore en maturation mais seulement une fois le scénario terminé. Cependant, je n’ai pas hésité une seule seconde avant de proposer Houria à Lyna. Pour prolonger le bonheur de notre collaboration sur Papicha. Mais aussi parce qu’il était évident, même si Lyna ne dansait pas, qu’à une excellente danseuse qui allait fabriquer son « algérité », j’allais préférer une excellente comédienne qui connaissait sur le bout des doigts l’Algérie et allait m’aider dans le défi de la reconstruire à Marseille.

Ne pas pouvoir poser ma caméra en Algérie revenait sur le papier à amputer le film de quelque chose de très fort. Et pourtant l’exercice s’est révélé passionnant.

Qu’est-ce qui a le plus évolué dans votre collaboration ?

Comme on se connaît très bien, on va plus loin sur le terrain où on se retrouve toutes les deux spontanément : la justesse, encore amplifiée par le fait qu’on traite de sujets complexes et délicats. On commence par lire le scénario, décortiquer chaque séquence pour en faire surgir les enjeux qui vont donner la direction à Lyna. Une fois cette première étape terminée, on approfondit le travail en allant consulter énormément de spécialistes : une association qui nous a donné des cours pour la langue des signes, des neurologues et des psychologues pour comprendre le mutisme, mais aussi comment fonctionnent la perte de la parole et le retour de celle-ci. Ces échanges m’ont permis de modifier certains éléments du scénario pour le rendre plus crédible.

Votre dialogue avec Lyna Khoudri passe-t-il aussi par des références de films ?

Oui, mais pas forcément par les mêmes. Lyna a, par exemple, beaucoup travaillé à partir de la composition de Natalie Portman dans Black Swan. Moi, je me suis appuyée sur des films plus organiques comme Dancer in the Dark et le personnage de Björk ou encore Fish Tank d’Andrea Arnold.

Avez-vous déjà en tête l’après-Houria ? L’Algérie en sera-t-elle une nouvelle fois au cœur ?

Oui, mon troisième long métrage est déjà en préparation et j’espère le tourner à la fin de l’année. Ce sera encore un parcours de femme mais cette fois dans un film d’époque dont l’action se déroulera en France.

HOURIA

Réalisation et scénario : Mounia Meddour
Images : Léo Lefèvre
Musique : Yasmine Meddour et Maxence Dussere
Production : The Ink Connection, High Sea Production, Cirta Films
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : Wild Bunch International
En salles le mercredi 15 mars 2023

Soutien du CNC : Soutien au scénario (aide à la réécriture), Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial)