« Once Upon a Time in Gaza » : « Le droit à l’imagination est un droit fondamental »

« Once Upon a Time in Gaza » : « Le droit à l’imagination est un droit fondamental »

24 juin 2025
Cinéma
« Once Upon a Time in Gaza »
« Once Upon a Time in Gaza » réalisé par Tarzan et Arab Nasser Dulac Distribution

Le troisième film des frères et réalisateurs palestiniens, Tarzan et Arab Nasser, a reçu le Prix de la mise en scène dans la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes. Entretien avec ses productrices françaises Marie Legrand (Les Films du Tambour) et Muriel Merlin (3B Productions).


Racontez-nous la genèse et les grandes étapes de la fabrication de Once Upon a Time in Gaza ?

Marie Legrand : Il s’agit du troisième long métrage d’Arab et Tarzan Nasser, le troisième que je produis à leurs côtés. Pour ce film, nous avions en tête un projet ambitieux. Nous avions en effet décidé de passer un cap. Son développement a été long, mais c’était voulu. Arab et Tarzan Nasser souhaitaient que la narration ne soit pas linéaire et classique, et assumaient des partis pris scénaristiques très forts. Once Upon a Time in Gaza est une coproduction intéressante, qui implique plusieurs pays européens et plusieurs pays arabes. Il s’agit d’un film indépendant et les conditions restent très difficiles mais il s’est assez bien financé dans un premier temps. C’est toujours compliqué de le dire, parce que même quand nous obtenons à peu près tous les guichets qui existent pour un film en langue étrangère, nous nous retrouvons avec un budget serré à l’arrivée. Mais il est vrai que les partenaires des précédents films d’Arab et Tarzan ont suivi.

Muriel Merlin : Quand je suis arrivée sur le film, il était financé avec une prédominance française, allemande et portugaise, avec le soutien d’Eurimages et surtout de l’Aide aux cinémas du monde du CNC. Le distributeur BAC mettait pratiquement 300 000 euros dans le film mais, pendant le tournage, il a été placé en redressement judiciaire. Le défi était donc de récupérer 300 000 euros. Nous avons également dû faire face à la défection d’un pays arabe, qui n’a finalement pas mis l’argent promis. Nous nous sommes alors tournés vers Dulac Distribution. Nous avons également fait entrer en coproduction un investisseur privé, Rise Studios. Du côté des investisseurs privés, c’est une coordination d’au moins cinq pays, dont la Palestine et la Jordanie.

Once Upon a Time in Gaza est une coproduction intéressante, qui implique plusieurs pays européens et plusieurs pays arabes […] Avec 410 000 euros, c’est historiquement le plus gros montant de l’Aide aux cinémas du monde.
Marie Legrand
productrice (Les Films du Tambour)


L’Aide aux cinémas du monde du CNC a-t-elle été déterminante ?

Muriel Merlin : Essentielle, même ! Sans elle, le film ne se faisait pas.

Marie Legrand : Avec 410 000 euros, c’est historiquement le plus gros montant de l’Aide aux cinémas du monde.

À quel moment et de quelle façon l’actualité en cours à Gaza sont-elles venues percuter la fabrication du film ?

Muriel Merlin : Pour les réalisateurs, cette question est d’abord de l’ordre de l’intime.

Marie Legrand : Les frères Nasser ont en effet toute leur famille dans le nord de Gaza – père, mère, frères, sœurs, neveux, nièces… Jusqu’à il y a deux mois, ils étaient les seuls à avoir quitté Gaza. Un de leurs frères, Amer, a collaboré au scénario. Lui et un autre de leurs frères ont rejoint la France il y a deux mois, via un programme de bourses d’études. Le film a été tourné à l’automne 2024, mais nous devions à l’origine le tourner à l’automne 2023 – avant le 7 octobre. Ça ne s’est finalement pas fait, pour des raisons de financement. Après le 7 octobre, et les représailles israéliennes qui ont suivi, Arab et Tarzan se sont enfermés chez eux pendant six mois. Je me dis rétrospectivement qu’ils auraient été incapables de tourner à ce moment-là. Petit à petit, ils ont fini par se dire qu’il fallait qu’ils reviennent au film. Qu’ils devaient faire ce qu’ils savent faire, pour faire vivre Gaza, ses habitants. Ils ont réussi à reprendre foi.

 

Once Upon a Time in Gaza est un film « historique », d’une certaine façon, puisqu’il se déroule en 2007…

Marie Legrand : Quand nous avons tourné le premier film des Nasser, Dégradé, en 2014, il y a eu une attaque israélienne sur Gaza. Depuis la France, on nous demandait : « Le film est-il toujours d’actualité ? » Mais c’est vraiment une question d’Européen. Car le quotidien de Gaza était globalement toujours le même depuis le blocus de 2007… C’est « une occupation dans l’occupation », comme disent les Nasser : Gaza est occupé de l’intérieur par le Hamas, et de l’extérieur par Israël. Quand on voit aujourd’hui l’actualité, la thématique de Once Upon a Time in Gaza résonne d’autant plus. Arab et Tarzan ont écrit un film en partie visionnaire. Il va y avoir une fin, probablement, au Gaza tel qu’ils l’ont connu sous blocus. Là, avec ce « il était une fois », ils racontent la mise en place du blocus et son origine.

Muriel Merlin : Ce qui anime les frères Nasser, c’est de faire du cinéma, de raconter quelque chose à travers le cinéma. Ce film, c’est le contraire d’un documentaire. Le cinéma est là pour s’emparer des sujets et les traiter de façon différente. Les Nasser ne sont pas des journalistes, pas des documentaristes. Ils restituent quelque chose de l’ordre de l’intime, du vécu, pour faire entendre une voix différente de celle de l’analyse, ou de la prise de position. Une voix de l’intérieur, aussi, quand la plupart des commentaires entendus sur Gaza ne sont pas le fait des Gazaouis.

Marie Legrand : Ce film, c’est une façon de ne pas se laisser imposer des récits. Ce que son titre résume à la perfection : un droit à la fiction, à l’imaginaire, aux histoires incroyables. Redonner de la dignité, c’est aussi revendiquer le droit aux histoires de gangsters, à l’imaginaire du western… Le droit à l’imagination est un droit fondamental. À Cannes, le prix de la mise en scène à Un Certain Regard a récompensé ce mélange des genres, ces différences de tonalité. En tant que productrice, j’ai soutenu ce parti pris dès le début. Je le trouvais audacieux, et assez rare dans le cadre du cinéma d’auteur arabe.

Les Nasser ne sont pas des journalistes, pas des documentaristes. Ils restituent quelque chose de l’ordre de l’intime, du vécu, pour faire entendre une voix différente de celle de l’analyse, ou de la prise de position.
Muriel Merlin
productrice (3B Productions)


Comment avez-vous reconstitué Gaza en Jordanie ?

Marie Legrand : Il n’y a pas grand-chose à reconstituer, en réalité. Nous avons tourné les trois longs métrages d’Arab et Tarzan en Jordanie, dans des camps de réfugiés palestiniens, en banlieue d’Amman, la capitale. Il faut savoir que Gaza est un immense camp de réfugiés. Les camps de réfugiés palestiniens sont des bâtiments en dur, des constructions plus pérennes. À Amman, on trouve des camps de réfugiés qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux de Gaza, parce que c’est la même culture. C’est pourquoi je dis qu’il n’y a pas grand-chose à reconstituer. Cela étant, ce ne sont pas des zones dans lesquelles les tournages sont simples !

Muriel Merlin : Nous avons dû faire toute la préparation en deux semaines. Il y a eu de nombreux défis de dernière minute avec des acteurs qui n’arrivaient pas, l’espace aérien fermé… Les assurances n’assurant pas les risques de guerre, nous y sommes allés sans elles, en se disant : « Advienne que pourra. »

Marie Legrand : C’est un film que nous avons lancé en prenant beaucoup de risques. Mais nous savions que si nous ne le tournions pas maintenant, nous ne le tournerions jamais.
 

Once Upon a Time in Gaza

Affiche de « Once Upon a Time in Gaza »
Once Upon a Time in Gaza Dulac

Réalisation : Tarzan et Arab Nasser
Scénario : Tarzan et Arab Nasser, en collaboration avec Amer Nasser et Marie Legrand
Production : Rani Massalha, Marie Legrand, Muriel Merlin, Rashid Abdelhamid
Distribution : Dulac Distribution
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie le 25 juin 2025

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