« Premières Classes » vu par son coproducteur français Victor Ede

« Premières Classes » vu par son coproducteur français Victor Ede

09 septembre 2025
Cinéma
« Premières Classes »
« Premières Classes » réalisé par Kateryna Gornostai Dulac Distribution

Le cocréateur de Cinéphage Productions raconte comment il a accompagné le documentaire de l’Ukrainienne Kateryna Gornostai. Présenté en février dernier en compétition à Berlin, Premières Classes explore la résilience du système éducatif ukrainien en temps de guerre aux quatre coins du pays.


Cela fait dix ans que Cinéphage, la société que vous avez créée avec Jean-Robert Viallet, a commencé à produire ses propres projets. Comment définiriez-vous son ADN ?

Victor Ede : Par la volonté de développer majoritairement des coproductions internationales. Nous avons produit 18 films en dix ans, nous en avons une quinzaine en cours et nous avons déjà travaillé avec 20 territoires différents. Nous sommes basés à Marseille et j’aime qu’à partir de ce localisme, nous arrivons à toucher des sujets internationaux. Nous aimons aller là où nous ne sommes pas attendus. L’Europe centrale, l’Europe de l’Est…

Comment vous êtes-vous retrouvés à participer à Premières Classes ?

Victor Ede : Tout est parti d’une rencontre avec Natalia Libet, l’une des deux productrices ukrainiennes du film, dans un workshop, la semaine qui a précédé l’invasion russe. Je lui ai naturellement envoyé un message pour prendre de ses nouvelles mais aussi pour savoir si nous pouvions l’aider et comment. Nous avons commencé par monter un pont numérique avec l’Ukraine, en créant un gros « cloud » pour sauvegarder les données d’un collectif de cinéastes proches de Natalia qui s’était monté pour documenter le début de la guerre. Assez vite, elle a pensé que quantité de ces images pouvaient intéresser la presse internationale et m’a demandé de l’aide pour rendre la chose possible. Comme ce n’est pas du tout mon métier, je l’ai mise en relation avec les bonnes personnes tout en lui précisant que je pourrais de mon côté être utile pour l’accompagner sur des projets en développement et trouver les moyens pour la soutenir. Natalia a tout de suite rebondi sur cette proposition. La guerre avait forcément mis un coup d’arrêt à la plupart des films en production. Dans ce moment de grande incertitude, nous avons commencé à codévelopper deux projets et petit à petit nous avons intégré Natalia chez Cinéphage comme une quasi-productrice associée. En parallèle, elle a monté avec Olha Bregman la société 2Brave Productions pour unir leurs forces dans leurs projets respectifs. C’est d’ailleurs Olha qui avait commencé à développer Premières Classes.

En nous engageant sur Premières Classes – et c’est aussi la philosophie du Fonds de Solidarité européen pour l’Ukraine – nous entendons soutenir les talents ukrainiens et ne pas artificialiser la coproduction. Sans quoi, très vite, il n’y aurait plus que des réalisateurs en Ukraine et aucun technicien.

Comment ce documentaire est-il né ?

D’une demande d’une ONG ukrainienne, Osvitoria, qui cherchait à mobiliser pour la défense du système éducatif et des conditions de travail du corps enseignant en Ukraine. Quand Olha a contacté Kateryna Gornostai pour développer ce projet, il n’était pas forcément destiné au cinéma. D’ailleurs, quand Natalia m’en avait parlé la première fois, j’avais passé mon tour car je ne savais pas trop comment appréhender un documentaire développé avec une institution. Et puis un an plus tard, Natalia m’a recontacté. Elle avait trouvé des coproducteurs aux Pays-Bas et au Luxembourg mais avait encore quelques incertitudes financières. Elle m’a alors présenté Kateryna. Nous avons longuement discuté et nous sommes rentrés en coproduction à la dernière minute de façon à protéger le projet, convaincu notamment par ses précédents films et avec la certitude que Premières Classes prendrait grâce à elle une véritable dimension cinématographique.

Comment avez-vous bâti le financement ?

Nous nous sommes notamment appuyés sur le Fonds de Solidarité européen pour l’Ukraine (l’EFSUF) et sur l’aide de la Région Sud, sous convention avec le CNC. Tout cela s’est fait très vite, au vu des délais. Mais notre apport principal a vraiment porté sur l’accompagnement au montage, l’éditorialisation, la discussion avec la réalisatrice pour transformer ce film pensé pour la défense du système éducatif ukrainien en un objet cinématographique.

 

Comment cette transformation s’est-elle produite ?

Kateryna avait déjà réalisé un film dans un lycée, Jeunesse en sursis (2022). Elle possédait donc une grande familiarité avec le système éducatif ukrainien et une aisance naturelle à échanger avec les adolescents. Il faut d’ailleurs savoir que Jeunesse en sursis avait eu un grand écho chez les enseignants comme sur le public adolescent ukrainien. Ce qui a provoqué une réelle attente par rapport à Premières Classes. Quand elle s’est lancée, Kateryna s’est essayée à faire des interviews mais elle a vite compris que ce n’était pas du tout son langage. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il existait déjà un premier bout à bout de toute la matière exploitable qui l’intéressait. Et je l’ai tout de suite alertée sur un enjeu essentiel : comment parvenir à incarner des personnages et des situations, à partir d’un nombre d’écoles et de scènes aussi différentes ? Comment remédier au manque d’empathie naturelle né de l’absence de personnages récurrents ? Le grand risque était de tomber dans une certaine répétition, car au quotidien, une école, c’est toujours le même rythme et des situations immuables.

De quelle manière Kateryna Gornostai s’y est-elle employée ?

Elle a choisi, parmi tout ce qu’elle avait filmé, des moments très différents pour chaque école afin de distinguer clairement les différents établissements et éviter les redites. Chaque enseignant est ainsi montré dans un moment emblématique de son métier et chaque école dans une situation singulière. L’une est complètement détruite par exemple. Dans une autre, nous suivons un cours donné dans un abri antiaérien. Dans d’autres, nous vivons un moment de cérémonie de remise de diplômes ou de lâcher prise entre étudiants. Ce qui permet, je trouve, à tout le monde, même à ceux qui ne sont pas familiers de la culture et du système éducatif ukrainien de se projeter.

Comment le montage du film s’est-il déroulé ?

Nous sommes vraiment intervenus dans la toute dernière ligne droite, sur la postproduction. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une coproduction officielle puisque Cinéphage intervient à moins de 10 % du plan de financement. Tout le montage a eu lieu en Ukraine avec l’idée aussi de parer à l’un des grands dangers d’une coproduction internationale dans une position aussi asymétrique entre un pays comme la France, avec une très grande capacité de financement, et un autre comme l’Ukraine beaucoup plus faible : produire un film ukrainien avec une majorité de techniciens et de collaborateurs français. En nous engageant sur Premières Classes – et c’est aussi la philosophie du Fonds de Solidarité européen pour l’Ukraine – nous entendons soutenir les talents ukrainiens et ne pas artificialiser la coproduction. Sans quoi, très vite, il n’y aurait plus que des réalisateurs en Ukraine et aucun technicien.

La sélection en compétition à Berlin de Premières Classes a permis de montrer à quel point il était extrêmement important de parvenir à faire perdurer ce système éducatif incroyablement résilient qui ne s’est jamais effondré tout au long du conflit.

Dans cette dernière ligne droite que vous évoquez, Berlin a-t-il été le premier festival que vous avez visé pour Premières Classes ?

Oui, notamment pour une question de continuité. Jeunesse en sursis avait remporté l’Ours de cristal de la section parallèle de la Berlinale – Génération – en 2021. Le festival s’est donc toujours tenu au courant du parcours de Kateryna. Mais la belle surprise a été l’invitation à concourir en compétition. Une première pour Kateryna. Une décision artistique évidemment, mais aussi un geste politique de la nouvelle directrice du festival, l’Américaine Tricia Tuttle, comme une anticipation de ce qui allait advenir. Car peu après l’annonce de cette sélection, le président américain Donald Trump a décidé l’abandon d’une grande partie des aides internationales américaines, dont bénéficiait directement ou indirectement le système éducatif ukrainien. La sélection en compétition à Berlin de Premières Classes a permis de donner de la visibilité à cette problématique et de montrer à quel point il était extrêmement important de parvenir à faire perdurer ce système éducatif incroyablement résilient qui ne s’est jamais effondré tout au long du conflit. Il symbolise vraiment la résistance au quotidien de la société civile ukrainienne à l’invasion russe.

À quel moment le vendeur international Best Friends Forever et le distributeur français Dulac sont-ils entrés dans l’aventure ?

Best Friends Forever est arrivé juste après l’annonce de la sélection à Berlin. Ils ont organisé dans la foulée à Paris, avant le début du festival, une projection à destination des distributeurs. Dulac a fait une offre qui a convaincu tout le monde, nous les premiers, pour accompagner la sortie du film en salles. C’était intéressant de voir Best Friends Forever, surtout actif en fiction, faire un pas de côté pour Premières Classes. Et je pense que nous le devons au fait que Kateryna est d’abord connue comme réalisatrice de fiction. Ça a contribué à faire bouger les lignes.

Qu’est-ce qui fait la singularité de cette réalisatrice à vos yeux ?

J’ai trouvé assez incroyable sa capacité à donner naissance à un film aussi organique, dans lequel nous nous laissons porter sans avoir un personnage principal auquel s’accrocher et dont nous sortons avec la sensation d’avoir partagé une part de la vie ukrainienne. C’est un vrai tour de force.
 

PREMIÈRES CLASSES

Affiche de « PREMIÈRES CLASSES »
Premières classes Dulac Distribution

Réalisation : Kateryna Gornostai 
Production : 2Brave Productions, Osvitoria, a_Bahn, Rinkel Docs, Cinéphage Productions Distribution : Dulac Distribution 
Ventes internationales : Best Friend Forever 
Sortie le 10 septembre 2025

Soutien sélectif du CNC Aide sélective à la distribution (aide au programme)

Le documentaire a également bénéficié du Fonds de soutien pour les films ukrainiens (ESFUF).