Saïd Belktibia : « Ma grande référence, c’est le cinéma sud-coréen »

Saïd Belktibia : « Ma grande référence, c’est le cinéma sud-coréen »

15 mai 2024
Cinéma
Roqya
« Roqya » réalisé par Saïd Belktibia Iconoclast Films / Lyly Films

Entretien avec le réalisateur, de ses débuts avec le collectif Kourtrajmé à la réalisation de ce premier long métrage, Roqya, une chasse aux sorcières moderne avec Golshifteh Farahani.


Vous faites partie du collectif Kourtrajmé. De quelle façon celui-ci a-t-il construit le cinéaste que vous êtes aujourd’hui ?

Saïd Belktibia : J’ai tout fait à Kourtrajmé ! J’ai baigné dans cette culture, cette façon d’appréhender le monde, ce rapport à l’image. J’en fais partie depuis le début. J’ai porté de l’eau et des disques durs, j’ai été électro, j’ai donné des coups de main sur les castings, l’écriture… Je ne pensais pas faire du cinéma un jour. Puis, un jour, je me suis dit que j’avais peut-être des choses intéressantes à dire. J’ai écrit un premier court [Ghettotube – ndlr], puis un deuxième [Le Casse du siècle, dans le cadre de 6 x Confiné.e.s – ndlr] et j’ai fini par réaliser mon premier long métrage Roqya.

Comment votre participation à Kourtrajmé a-t-elle déclenché votre désir de faire du cinéma ?

C’est un sentiment de responsabilité qui a été mon déclic. Comme je faisais partie de cette bande, des adolescents sont venus me voir et m’ont demandé mon aide pour réaliser un clip. L’un d’entre eux est arrivé avec un sac de sport, en a sorti un fusil à canon scié, une cagoule… Il voulait entrer dans une banque et que je filme la réaction des gens. En réalisant qu’il était très sérieux, je me suis posé la question : quelle part de responsabilité ai-je ? Quelle part de responsabilité collective avons-nous tous ? Je ne voulais pas me contenter d’être spectateur de cela. Je ne trouve pas cette situation amusante. Je suis parti de cette incompréhension, de cette colère, pour écrire mon premier court métrage, Ghettotube.

Le cinéma sert aussi à lever le voile sur certains univers.

Comment avez-vous vécu la sélection de ce court métrage au festival de Tribeca ?

Cette sélection m’a donné un sentiment de légitimité. Je suis passé de la « galère » à une sélection dans le festival de Robert De Niro, avec un jury présidé par Whoopi Goldberg ! Soudain, j’ai été plus audible. C’était une confirmation que ce que j’avais à dire pouvait intéresser le public.

Y a-t-il un lien thématique entre Ghettotube et Roqya

Oui, j’ai voulu parler dans les deux films des aspects néfastes des réseaux sociaux, sans être démagogique ni mièvre. Ghettotube parle de petits jeunes qui créent une fausse application de contenus ultraviolents pour gagner de l’argent. Comme ils n’ont pas le courage de faire de vraies vidéos, ils en font des fausses, ce qui va leur causer des ennuis…

D’un film à l’autre, vous vous interrogez sur notre responsabilité collective face aux images… Pourquoi ?

Oui. Aujourd’hui, la gymnastique intellectuelle est devenue rare. Nous pensons détenir la vérité après une recherche sur Google. C’est dangereux. Les gens semblent ne plus vouloir apprendre ou s’éduquer. Je n’ai pas de réponse à ce problème, mais j’en fais le constat. Ce que je dis peut paraître très premier degré mais je m’inquiète vraiment pour les générations à venir.

 

Vous décrivez dans Roqya ce que vous appelez « l’ubérisation de la sorcellerie ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Le capitalisme à outrance qui rend désormais possible les séances de voyance par Skype, des interprétations de rêves pour 20 euros. Dans mon film, je voulais croiser deux points de vue : l’un occidental, l’autre oriental ou africain. Face à la souffrance, l’un parlera de pathologie, l’autre de possession par des djinns. Roqya ne traite pas de religion, mais des croyances, de l’effet qu’elles peuvent exercer sur la population, et des extrêmes dans lesquelles elles peuvent nous pousser.

Roqya ne traite pas de religion, mais des croyances, de l’effet qu’elles peuvent exercer sur la population, et des extrêmes dans lesquelles elles peuvent nous pousser.

Si vous deviez ranger Roqya dans un genre, diriez-vous qu’il s’agit d’un thriller, d’un film fantastique, d’un film social et réaliste ?

Ces catégories m’ennuient. J’ai voulu, en toute modestie, faire un type de film que je trouve rare en France. Proposer un divertissement, au-delà du propos et de la véracité de l’histoire. Je ne veux pas me contenter de filmer des champs-contrechamps. Ma grande référence, c’est le cinéma sud-coréen. Au festival de Gérardmer, où j’accompagnais Kim Chapiron, j’ai pu faire la connaissance de Kim Jee-woon. Son film J’ai rencontré le diable est un modèle. Voilà le type de cinéma que je veux faire.

La sorcellerie, la rumeur, la parentalité… Pourquoi ces sujets, au coeur de Roqya, vous passionnent-ils ?

Ce que je mets à l’image, c’est un univers dans lequel j’ai baigné. Petit, j’étais très turbulent, et j’avais pris la mauvaise habitude de jeter des briques par la fenêtre, sur les passants. J’en riais, mais c’était bien sûr très dangereux ! Un jour, la police est venue pour alerter ma mère. J’ai cru que j’allais me prendre une raclée, mais ma mère a commencé à faire fondre de l’étain et marmonner des incantations, parce qu’elle pensait que j’étais possédé. En réalisant Roqya, je voulais faire découvrir à une partie de la population une réalité qu’elle ne connaît peut-être pas. Le cinéma sert aussi à lever le voile sur certains univers.

Comment avez-vous travaillé avec l’actrice Golshifteh Farahani ?

Au-delà de l’actrice et de son talent – je pense ne pas être le seul à la considérer comme l’une des meilleures actrices de sa génération – nous partageons des valeurs communes. C’est une femme engagée dans la lutte pour les droits des femmes et elle était totalement en adéquation avec le personnage. J’ai écrit le film pour elle, je me suis inspiré d’elle. Elle m’a ensuite offert son talent. Deux jours avant le tournage, elle était sur le plateau d’un blockbuster aux États-Unis. Soudain, elle se retrouvait dans une cave de Bagnolet, allongée au milieu des cafards et de l’urine. Sa détermination était totale. Sans elle, je n’aurais pas réussi à emmener le film aussi haut.
 

Roqya

Affiche de « Roqya » réalisé par Saïd Belktibia
Roqya The Jokers

Réalisation : Saïd Belktibia
Scénario : Saïd Belktibia et Louis Pénicaut
Production : Iconoclast Films, Lyly Films
Ventes internationales : WTF Films
Distribution France : The Jokers/Les Bookmakers
Sortie le 15 mai 2024

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