Un amour impossible : Catherine Corsini adapte Christine Angot

Un amour impossible : Catherine Corsini adapte Christine Angot

07 novembre 2018
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Un amour impossible de Catherine Corsini
Un amour impossible de Catherine Corsini Stephanie Branchu, Chaz Productions

Le cinéma aime puiser son inspiration dans la littérature, les deux arts nourrissant un dialogue constant autour de la créativité. Porter une œuvre littéraire sur grand écran s’avère un exercice délicat qui implique à la fois une fidélité à l’œuvre et une transgression nécessaire. Une tâche d’autant plus complexe lorsqu’il s’agit d’adapter un récit autobiographique. Comment s’approprier l’histoire d’une autre ? Quel point de vue narratif adopter ? Quels sont les écueils à éviter ? La réalisatrice Catherine Corsini, qui adapte au cinéma le roman de Christine Angot, Un amour impossible (Flammarion, 2015), nous répond.


Pierre et Rachel vivent une liaison courte mais intense à Châteauroux à la fin des années 1950. Pierre, érudit, issu d’une famille bourgeoise, fascine Rachel, employée à la Sécurité sociale. Refusant de l’épouser, il décide pourtant de lui faire un enfant, Christine, qu’il ne verra qu’épisodiquement. Rachel n’apprend que plus tard qu’il la viole depuis des années. Le choc est immense. Un sentiment de culpabilité larvé s’immisce progressivement entre la mère et la fille….

Pour Catherine Corsini, porter le roman de Christine Angot sur grand écran était loin d’être une évidence. Sa productrice, Elisabeth Perez (La Belle Saison), lui conseille la lecture d’Un amour impossible, qu’elle termine bouleversée. La réalisatrice, alors bloquée sur plusieurs projets à développer, est néanmoins sceptique à l’idée d’adapter ce récit autobiographique. Si elle admire la plume de l’écrivain, Catherine Corsini ne parvient pas à résoudre la question de l’interprétation : « Le roman couvre une période d’une cinquantaine d’années. J’imaginais déjà le film selon le point de vue de Rachel, la mère de l’auteur, mais je ne voyais pas quelle actrice pouvait traverser autant d’époques. Et il m’était impensable de la voir interprétée par plusieurs actrices à des âges différents. » Pourtant, l’histoire chemine dans la tête de la cinéaste, qui finit par faire abstraction de ses doutes.

Un contrat tacite avec l’auteur

Quelques échanges avec Christine Angot permettent à Catherine Corsini de s’assurer qu’elle travaillera en confiance et en toute liberté, comme si un contrat tacite avait été passé entre les deux femmes. « J’avais besoin de savoir qu’il n’y aurait pas d’interférence sur le film. Le roman est tellement fort et incarné qu’il fallait que je trouve ma place pour exprimer mon propre point de vue. Ce qui m’intéresse dans le travail d’adaptation, qui plus est quand il s’agit de porter à l’écran le récit d’une vie, c’est d’être au plus près des émotions ressenties à la lecture de l’histoire. »

Adapter un récit autobiographique sur grand écran est un exercice délicat : il suppose à la fois de respecter l’histoire intime de l’auteur et de s’accorder un recul nécessaire pour traduire l’histoire dans un langage cinématographique pertinent. Le souci d’honnêteté envers l’auteur mais aussi envers le lecteur, et la recherche d’authenticité se mêlent au désir de la cinéaste de mettre en images sa propre interprétation : « La particularité d’Un amour impossible est qu’il s’agit non seulement de l’histoire de l’auteur mais aussi de celle de sa mère. Je devais à la fois m’emparer de ces histoires de vie et m’en écarter afin de prendre ma place de réalisatrice ».

« Dérusher » le roman

Trouver l’épiderme du film, découvrir ses couleurs, ses intonations, s’approprier les aspects biographiques du roman pour mieux les imager, faire des choix qui orienteront la mise en scène…  tel est le travail de Laurette Polmanss, coscénariste de Catherine Corsini, qui envisage une perspective différente de celle de la cinéaste. « Au début de l’écriture du scénario, Laurette et moi nous heurtons, ne sachant pas quelle direction prendre. Je pense écrire un scénario comme on « dérushe » un film, en prenant le livre à bras le corps. Finalement, la modernité avec laquelle le récit s’articule, évoquant à la fois l’histoire d’un destin et un portrait de la société à travers plusieurs époques, fait que la structure du film s’est dessinée rapidement. Reste à décider des coupes, de ce que l’on va condenser ou étirer, et à imaginer la voix off qui va rythmer le film, provoquant les ellipses, les sauts de temps. Face à ce matériau des plus riches, je me laisse emporter par le roman, par le personnage de Rachel, cette femme incroyable qui reste aujourd’hui encore une énigme à mes yeux. Le fait de travailler à quatre mains a permis de canaliser mes envies et de déterminer la ligne conductrice à suivre », explique la réalisatrice.

Le rapport au langage

Adapter une œuvre littéraire au cinéma implique également un rapport au langage particulier. Ce fut l’une des préoccupations de Catherine Corsini, attentive à la façon dont les mots allaient prendre vie :

Un amour impossible est à mon sens le livre le plus romanesque de Christine Angot. J’avais à cœur d’intégrer son écriture au film, de faire résonner cette musicalité singulière. Voilà pourquoi ses mots s’incarnent à travers la voix off, qui sert de fil conducteur tout au long du film. Elle vient contrebalancer les premiers instants de bonheur entre Rachel et Philippe, cet Eden dépeint qui ne laisse en rien présager l’horreur à venir
Catherine Corsini
 

« Un amour impossible est à mon sens le livre le plus romanesque de Christine Angot. J’avais à cœur d’intégrer son écriture au film, de faire résonner cette musicalité singulière. Voilà pourquoi ses mots s’incarnent à travers la voix off, qui sert de fil conducteur tout au long du film. Elle vient contrebalancer les premiers instants de bonheur entre Rachel et Philippe, cet Eden dépeint qui ne laisse en rien présager l’horreur à venir ».

La cinéaste utilise alors la temporalité du récit pour mettre en scène ces destins qui s’enchevêtrent et se défont : « J’ai pensé, en termes de mise en scène, au Mirage de la vie de Douglas Sirk, un film bouleversant, qui parle de destins qui se croisent. La narration d’Un Amour impossible s’articule autour de la notion du temps. J’ai construit le récit de façon à montrer comment se fabriquent ces destins. J’y ai aussi vu l’occasion d’instiller une atmosphère proche du thriller pour évoquer la relation de Rachel et de Philippe, cet homme mystérieux qu’elle chasse, qui revient, qu’elle reprend malgré cette espèce d’inquiétude latente. Nous avons même ré-accéléré le récit au montage pour accentuer cette atmosphère empreinte de suspense. D’ailleurs, les atmosphères viennent parfois raconter ce que taisent les personnages. »
 

Eviter la reconstitution

Autre défi relevé par Catherine Corsini, éviter la reconstitution littérale, si facile lorsqu’il s’agit d’adapter une œuvre littéraire. « L’essentiel était de croire en l’histoire et donner envie d’y croire. Cela impliquait de ne pas se laisser prendre au piège de l’illustration pesante qui peut tuer un film. Avec mon équipe, nous avons veillé à être dans le minimum en termes de reconstitution, tant au niveau des objets du décor que dans la ressemblance physique des actrices. C’est la justesse de l’interprétation qui va porter le spectateur. Virginie Efira, qui interprète Rachel, l’a bien compris : elle n’est jamais dans la démonstration. Elle incarne cette femme d’une dignité absolue avec une rare justesse et réussit à en faire une véritable héroïne. Le cinéma est plus fort que les clichés de représentation. »

Les décors ont également une place importante dans le cinéma de Catherine Corsini. Avec Un amour impossible, l’enjeu était de restituer l’ambiance de différentes époques : « Faire de la cuisine un élément de décor central n’a rien d’anodin. Cela m’a permis de retrouver l’imaginaire des femmes des années 1950 et de montrer en filigrane comment la modernité s’insinue peu à peu dans le quotidien. Les décors embarquent rapidement le spectateur. Le film étant déjà très dialogué, les décors permettent d’ouvrir le cadre, d’apporter une respiration. Ils créent une dynamique des couleurs et des sons, et font ainsi passer la vie. »

Mettre en images le récit d’une vie, une histoire d’amour entre un homme et une femme, entre une mère et sa fille. Filmer le bonheur tout simple, l’espoir, la déception, le courage aussi. Raconter l’éblouissement provoqué par un homme jusqu’à en être aveuglée, humiliée. Retranscrire l’abomination, le silence, la colère, et les liens maternels qui se distendent, se brisent et se retissent. Voilà tout ce que Catherine Corsini parvient à évoquer dans son film :

« Je me suis demandée comment intégrer l’inceste, dont l’une des conséquences perverses est de démolir cette relation mère-fille fusionnelle. J’ai été tentée de montrer les scènes de façon plus crue, puis de le figurer par le biais du rêve. J’ai finis par abandonner ces pistes pour rester fidèle au roman et conserver le point de vue de Rachel tout au long du film. Cela insuffle plus de force au récit ».

Un Amour impossible sort en salles le 7 novembre 2018. Réalisé par Catherine Corsini sur un scénario de Laurette Polmanss, le film réunit Virginie Efira et Niels Schneider.

Produit par Chaz Productions et distribué par Le Pacte, il a bénéficié de l’avance sur recettes avant réalisation du CNC.