Focus sur le réalisateur Christian Petzold

Focus sur le réalisateur Christian Petzold

25 janvier 2021
Cinéma
Ondine de Christian Petzold
"Ondine" de Christian Petzold Les Films du Losange - Schramm Film Koerner & Weber - Arte France Cinéma - ZDF

Retour, à travers cette sélection d’œuvres, sur le parcours du cinéaste allemand Christian Petzold, auquel le Festival Premiers Plans d’Angers rendra hommage prochainement (ce temps fort sera daté « lorsque son déplacement à Angers sera planifié »). Un événement dont la version en ligne se déroule du 25 au 31 janvier.


Contrôle d’identité (2001)

Diplômé de l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin, Christian Petzold signe son premier téléfilm, Pilotes, à sa sortie de l’école en 1994 et en tourne deux autres avant de réaliser pour le cinéma Contrôle d’identité. Le film met en scène un couple d’anciens terroristes de la Fraction armée rouge exilés depuis des années au Portugal, sur le point de partir au Brésil, et leur fille de 15 ans qui échappe à leur contrôle, multiplie les contacts avec le monde extérieur et les force à fuir de nouveau, mais vers l’Allemagne. Un sujet qui fait écho au film de Sidney Lumet, À bout de course. Immédiatement, la critique voit en Christian Petzold le renouveau du cinéma allemand. Elle salue la sobriété de sa mise en scène et sa capacité à traiter un sujet sociétal et historique marquant dans l’histoire de son pays, ainsi que la question de la persistance des utopies à travers le temps par le prisme des bouleversements adolescents. Ici, politique rime avec poétique au fil d’un scénario coécrit par Harun Farocki, qui a d’ailleurs appris le cinéma grâce à un membre de la Fraction armée rouge, Holger Meins. Présenté à la Semaine de la Critique à Cannes en 2001, le film remporte le Prix de la critique internationale, début d’une large collection de trophées en Allemagne comme à l’international. Contrôle d’identité reste encore à ce jour le plus gros succès de Christian Petzold. Celui qui l’impose comme chef de file de l’école de Berlin, présentée comme la nouvelle « nouvelle vague » allemande. Le cinéaste va dès lors se fixer une ligne de conduite dont il ne dérogera pas, tournant quasiment tous les deux ans avec une régularité de métronome : ne jamais dépasser 1,7 million d’euros de budget et rester fidèle à la même équipe ou presque.

 

Yella (2007)

C’est en 2003, dans L’Ombre de l’enfant (le combat d’une mère pour retrouver le chauffard qui a tué accidentellement son fils) que Christian Petzold dirige pour la première fois Nina Hoss. Mais c’est avec Yella que leur collaboration va réellement prendre son envol. « Nina et moi partageons la même conception du travail d’acteur. Travailler, aller au cœur des choses, ne pas se laisser distraire, savourer les impasses et les surmonter. Depuis notre premier film, Nina est devenue plus cohérente et plus forte. Plus radicale », explique alors le cinéaste. Yella clôt sa « trilogie des fantômes » entamée avec Contrôle d’identité. Il met en scène une femme qui quitte son époux violent et l’Allemagne de l’Est pour l’Allemagne de l’Ouest, en quête d’une nouvelle vie avant d’être victime d’un accident en traversant l’Elbe. Elle en ressort indemne, mais va dès lors vivre avec le sentiment d’évoluer dans un monde parallèle où son épanouissement personnel – comme assistante d’un jeune cadre financier ambitieux – lui semblera toujours trop beau pour être vrai. Si Yella évoque l’atmosphère du Mulholland Drive de David Lynch, Christian Petzold s’est inspiré, lui, d’un classique méconnu du cinéma fantastique américain : Le Carnaval des âmes (Carnival of Souls), réalisé par Herk Harvey en 1962. Par un mélange de fantastique et de thriller, Yella raconte le passage de son héroïne du socialisme au capitalisme triomphant. Nina Hoss y gagne une reconnaissance internationale en remportant l’Ours d’argent de la meilleure actrice au festival de Berlin 2007.

 

Phoenix (2014)

Ce film marque une date importante dans le parcours de Christian Petzold. Il s’agit du cinquième et dernier – à ce jour – qu’il ait tourné avec Nina Hoss dans le rôle principal. En l’occurrence celui d’une rescapée d’Auschwitz gravement défigurée qui, dans un Berlin sous les décombres, part à la recherche de son mari dont elle refuse de croire qu’il a été son dénonciateur comme on le lui a assuré. Non seulement celui-ci ne la reconnaîtra pas, mais, troublé par sa ressemblance avec sa femme, il lui proposera de prendre son identité pour récupérer l’héritage qui lui est dû. Pour Phoenix, Petzold s’est inspiré de deux œuvres littéraires : Le Retour des cendres – un roman de 1961, signé Hubert Monteilhet, dont l’héroïne est une jeune femme tentant de reconstruire sa vie à sa sortie d’un camp de concentration – et une nouvelle d’Alexander Kluge, Une expérience d’amour, qui raconte la cruauté d’une expérience ignoble menée dans les camps et publiée en 1962, juste avant le procès de Francfort. L’ombre conjointe de Sueurs froides d’Alfred Hitchcock, de Lettre d’une inconnue de Max Ophüls et des Yeux sans visage de Georges Franju plane aussi sur ce film d’époque, qui n’étouffe jamais sous la reconstitution historique. Mais Phoenix s’inscrit surtout pleinement dans le cinéma de Petzold lui-même, avec la thématique qui sous-tend la quasi-totalité de ses films : le combat d’une femme pour sa renaissance.  

 

Transit (2018)

Transit, c’est la rencontre de Christian Petzold avec une nouvelle actrice, Paula Beer, révélée en 2016 par Frantz de François Ozon. Mais c’est aussi et avant tout l’adaptation du roman autobiographique d’Anna Seghers – femme de lettres allemande, juive et communiste arrêtée puis relâchée par la Gestapo – écrit pendant son exil à Mexico. Transit raconte ce qu’a vécu l’écrivaine : des Espagnols fuyant le régime de Franco, des juifs, des opposants allemands au nazisme qui se retrouvent à Marseille dans l’espoir d’embarquer vers la liberté… Le Français René Allio a été le premier à l’adapter au cinéma en 1991. Christian Petzold a découvert ce livre et a eu envie de l’adapter à son tour grâce à Harun Farocki, son scénariste de toujours. Mais à sa manière. Après avoir envisagé de situer l’action en 1940 comme dans le roman, il décide de jouer avec les époques. Le récit reste le même, la nationalité des envahisseurs aussi, mais tout se passe de nos jours afin de se concentrer sur l’essentiel à ses yeux : la question des réfugiés fuyant la guerre qui, hélas, est bel et bien intemporelle.

 

Ondine (2020)

Avec Ondine, Christian Petzold poursuit sa fructueuse collaboration avec Paula Beer mais ouvre un nouveau cycle. Le premier volet d’une trilogie consacrée aux mythes allemands. Il débute par celui d’Ondine, imaginé en 1811 par Friedrich de La Motte-Fouqué, mais dans la version de la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann (Ondine s’en va), récit à la première personne de son héroïne : une sirène qui a le pouvoir de sauver un cœur perdu mais doit se faire aimer en retour sous peine de devoir tuer son amant. Le cinéaste transpose ce mythe de nos jours avec une Ondine historienne et conférencière à Berlin, pour signer un mélodrame intriguant autour de la possession amoureuse. Le romantisme du XIXe siècle fait donc ici irruption dans le XXIe siècle. Christian Petzold y flirte, comme souvent dans son parcours, avec le fantastique. Un genre qui sied parfaitement à Paula Beer, récompensée pour son interprétation de l’Ours d’argent de la meilleure actrice au festival de Berlin 2020.