Comment « Les Papillons noirs » transpose le giallo italien en série

Comment « Les Papillons noirs » transpose le giallo italien en série

15 septembre 2022
Séries et TV
Axel Granberger a obtenu le Prix du meilleur acteur à Séries Mania 2022.
Axel Granberger a obtenu le Prix du meilleur acteur à Séries Mania 2022. NIcolas Roucou

Projetée cette semaine au Festival de la fiction de La Rochelle après avoir été présentée en avant-première à Séries Mania au printemps dernier, Les Papillons noirs est une série criminelle pas comme les autres. Un polar noir jonglant entre une histoire d’amour dramatique et un thriller sordide échevelé, inspiré des giallos des années 1970. Rencontre avec Olivier Abbou, cocréateur et coréalisateur de ce projet singulier en ligne sur arte.tv et à l’antenne fin septembre.


Comment est née cette idée de face-à-face glaçant entre un vieux tueur en série et le jeune écrivain auquel il se confesse ?

Avec Bruno Merle, on a commencé à travailler sur le projet en 2015. C’était parfait parce qu’on a pu prendre notre temps. En général, il faut faire vite quand on écrit une série. Rédiger six épisodes en un an, sans prendre de recul. Là, on a pu s’interroger et passer de trois à six épisodes. On a laissé les personnages nous conduire là où ils devaient aller. Nous sommes fascinés par les tueurs en série depuis longtemps – comme pas mal de gens – et notre idée était de raconter une grande histoire d’amour, façon Éros et Thanatos. Il y a quelque chose d’intéressant à exploiter dans les couples de tueurs en série. Notamment du côté des femmes, qui se retrouvent souvent dans un rôle de victime consentante, dans une forme d’ambiguïté. Parce qu’on ne sait jamais vraiment à quel point il y a une forme de jouissance coupable... 

Quelles ont été vos inspirations en imaginant cette histoire ?

On s’est moins tourné vers Tueurs nés d’Oliver Stone que vers les giallos italiens des années 1970. Sans vouloir rendre une forme d’hommage au genre, on a disséminé de nombreux clins d’œil à différents films au fil de la série. Ne serait-ce qu’à travers la musique, avec des sonorités qui rappellent Ennio Morricone. Il a composé des bandes originales de giallos au kilomètre ! Des trucs super qu’on connaît mal d’ailleurs... Avec mon directeur artistique, et tous les départements, on a essayé de reproduire une certaine esthétique du giallo.

Le giallo, c’est un pur cinéma de la mise en scène

D’où vient cet amour du giallo ?

J’adore le cinéma de genre. J’ai fait deux longs métrages de genre dans ma carrière, Territoires (2010) et Furie (2019). Et ma série précédente, Maroni, flirtait déjà beaucoup avec le genre... Un jour, j’ai tout simplement plongé dans le giallo, qui est un sous-genre des films de genre, et j’ai adoré ça. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est qu’il s’agit d’un pur cinéma de la mise en scène. On ne peut pas dire que les giallos brillent par leurs scénarios. Ce n’est pas ça qu’on attend de ce type de film. Tout vient de la forme. Il y a quelque chose d’un rêve ou d’un cauchemar éveillé. Il y a un truc onirique et cérébral, qui se construit entièrement avec la mise en scène.

 

Et comment l’avez-vous transposé dans Les Papillons noirs ?

On a essayé d’infuser cette esthétique. Il y a aussi cet aspect très charnel... parce que les giallos étaient aussi de bons prétextes à faire des scènes de sexe. Évidemment, on a joué avec. Après, Les Papillons noirs, c’est aussi l’histoire d’un écrivain qui doit intégrer un récit et qui en fait sa propre interprétation. Donc, on cultive une certaine distance : est-ce que les événements du passé sont des faits bruts ou est-ce qu’il s’agit de la manière dont l’écrivain les imagine ? La série pose la question dès les premiers épisodes et cette interrogation se fait plus pressante au fil de la saison. D’ailleurs, il y a dans tout ça une mise en abîme sur le travail de la création. Quand on est romancier, écrivain ou artiste en général, on finit par vivre dans le monde de nos personnages.

Vous vous êtes projeté dans le personnage de l’écrivain ?

Oui totalement. Avec Bruno Merle, nous avons pris plaisir à jouer là-dessus. Rien que dans la relation de notre personnage avec son éditeur, on joue avec les relations qui existent entre un scénariste et un producteur.

J’ai fait fabriquer un canapé dans lequel Nicolas Duvauchelle ne pouvait pas s’adosser !

Comment avez-vous pensé la réalisation des longues scènes d’entretien entre Niels Arestrup et Nicolas Duvauchelle ?

C’était un très bon défi. Deux personnes assises l’une en face de l’autre. En Thérapie et In Treatment s’amusent à le faire dans un cabinet de psy... Moi j’avais vraiment envie de ne pas me contenter du champ-contrechamp. En Thérapie et In Treatment réussissent d’ailleurs toujours à éviter cet écueil. J’ai abordé chacune des séquences entre [Nicolas] Duvauchelle et [Niels] Arestrup en me disant que la réalisation devait évoluer en même temps que leur relation. Tout en restant dans une grammaire très simple. En utilisant des travellings uniquement quand c’était nécessaire. En travaillant sur des angles de caméra, avec des plans en plongée ou en contre-plongée plutôt expressionnistes. Quelque chose qui n’est pas trop tape-à-l’œil, car ces séquences sur le canapé sont aussi une pause dans un récit frénétique. Avec les scènes du passé, on est dans quelque chose de très sophistiqué façon giallo donc, tandis que dans l’enquête, on est dans un style plus Fincher, avec caméra à l’épaule. Mais dans la série, le récit du passé investit le présent de l’écrivain et il fallait que cela se voie aussi dans la mise en scène. Donc la réalisation du présent évolue au fil des épisodes. Plus l’écrivain s’identifie au tueur en série, plus la mise en scène en prend les traits.

Nicolas Duvauchelle et Niels Arestrup Nicolas Roucou/Arte

Et ce vieux canapé alors ?

Il était volontairement inconfortable. (Rires.) Pour que Nicolas [Duvauchelle] soit toujours un peu mal à l’aise durant ces séquences, j’ai même fait fabriquer un canapé dans lequel il ne pouvait carrément pas s’adosser. Il ne savait pas qu’on l’avait fait exprès. (Rires.) Mais Nicolas a joué une composition étonnante. Parce qu’au fur et à mesure, son personnage évolue en se rapprochant de la personnalité du tueur qu’il écoute. Et lui-même a évolué, il s’est inspiré et s’est rapproché de Niels Arestrup. Fiction et réalité étaient vraiment entremêlées sur ce tournage. D’ailleurs, le roman Les Papillons noirs, qu’écrit son personnage dans la série, sort réellement en librairie ces jours-ci (il est disponible depuis le 7 septembre aux Éditions du Masque), sous la plume de Mody, le pseudo d’écrivain de son personnage. Même si ce livre-là a en fait été écrit par un ghostwriter [Gabriel Katz, NDLR].

Est-ce compliqué d’écrire un récit qui fait en permanence des allers-retours dans le temps ?

C’est assez jouissif, mais ça demande une grosse organisation et un gigantesque tableau accroché au mur, avec des post-it partout ! On a beaucoup cassé la structure, pour tout remettre à plat, jusqu’à trouver la bonne formule. L’harmonie qui permet à ce puzzle d’être cohérent.

Au bout du compte, diriez-vous que la série lorgne plus du côté du thriller ou de la romance ?

Nous sommes partis sur le récit des étés meurtriers d’un couple de tueurs en série parce qu’on voulait raconter une grande histoire d’amour mélodramatique à la base... J’aimerais bien savoir faire un drame romantique à la Todd Haynes (le réalisateur de Carol), mais je n’y arrive pas. (Rires.) Cela étant, j’espère que ce sera émouvant. Qu’on ne ressentira pas seulement de l’effroi devant ces tueurs, mais aussi de l’amour et une certaine culpabilité à s’attacher à ces personnages.

Les Papillons noirs - 6x52 minutes

Créée par Olivier Abbou, Bruno Merle
Avec Nicolas Duvauchelle, Niels Arestrup, Alizée Costes, Axel Granberger…
Musique de Clément Tery
Produit par GMT Productions, Jack n’a qu’un œil, Pictonovo, ARTE France 

Disponible sur arte.tv et à l’antenne à partir du 22 septembre.