« High School Radical » : filmer l’Amérique au smartphone selon Max Laulom

« High School Radical » : filmer l’Amérique au smartphone selon Max Laulom

25 novembre 2025
Séries et TV
« High School Radical » réalisée et écrite par Max Laulom
« High School Radical » réalisée et écrite par Max Laulom Max Laulom / Les Bons Clients / Studio POV

Partant de ses vidéos d’archives tournées en 2014, le documentariste français Max Laulom signe avec High School Radical – disponible sur Arte.tv – une série très personnelle qui navigue entre le vlog (blog vidéo) et le documentaire. Il y raconte l’Amérique d’aujourd’hui, bien loin de celle qu’il avait idéalisée adolescent, lors d’un échange scolaire dans un lycée de l’Oklahoma. Entretien avec ce jeune réalisateur de 27 ans, dont l’approche du documentaire, profondément ancrée dans le réel, bouscule les codes du genre.


Pourquoi revenir aujourd’hui en Oklahoma ? Qu’est-ce qui a déclenché ce besoin d’y retourner, dix ans après votre expérience de lycéen ?

Max Laulom : Une incompréhension grandissante. Je voyais mes anciens camarades du lycée évoluer vers le trumpisme, et ça me paraissait totalement incohérent avec l’image que j’avais d’eux. Et puis un jour, je suis tombé sur un vieux disque dur plein de vidéos que j’avais tournées durant mon année sur place. En m’y replongeant, j’ai compris qu’il fallait que j’y retourne. Par nostalgie, certes, mais aussi parce que maintenant que je fais des documentaires, avec un regard plus aiguisé sur la société et la politique, j’avais la possibilité de donner du sens à cette nouvelle réalité que je ne comprenais pas.

Quelles étaient vos appréhensions avant de retourner là-bas ?

Je suis un peu parti la fleur au fusil. L’iPhone au bout de la main, en me disant juste que ça allait être chouette. J’avais totalement sous-estimé l’impact émotionnel d’un tel voyage, d’un tournage aussi intime. Chaque soir, j’étais épuisé par un afflux d’émotions contradictoires. Avant de partir, j’avais peur qu’ils ne me répondent pas, ou qu’ils refusent de parler face caméra. Mais ce qui a été le plus dur, c’était cette négociation constante entre la réalité du moment et mes souvenirs d’adolescent. Le climat n’était plus du tout le même. C’était, quelque part, la fin d’un rêve adolescent. High School Radical est presque une série sur le deuil de ses idéaux et la fin des fantasmes d’un ado. Moi aussi, j’ai changé. Je vois les choses de manière plus adulte. À 16 ans, je trouvais génial d’aller manger au fast-food tous les jours. Dix ans plus tard, ça m’horrifie, parce que je sais ce que ça représente pour la santé et les conséquences économiques qui en découlent. En même temps, le contexte a changé : mes anciens camarades ont connu un vrai déclassement social, qui a contribué à cette bascule vers le trumpisme.

Je suis convaincu que filmer le réel avec un outil que tout le monde connaît, comme un smartphone, rapproche les spectateurs du terrain. Je montre volontiers les coulisses d’un tournage, ça fait partie de ma narration.

Aviez-vous un script en tête ? Une approche scénarisée ?

Non, je me suis laissé porter par le réel. Je suis arrivé sans savoir ce que j’allais trouver. C’est toujours mon mode de fonctionnement : je pars seul avec un iPhone, ce qui me permet d’être totalement disponible à ce que je vois. L’inconvénient, c’est qu’il y a un énorme travail derrière : comment composer une œuvre intéressante à partir de ce réel capté ? Ça demande une grosse phase d’écriture au retour, puis un travail très minutieux au montage.

Comment décririez-vous votre conception du documentaire ?

J’aime parler de « vlog documentaire ». Comme un blog filmé, si vous voulez. Je crois être dans les codes du vlog et du natif YouTube/réseaux sociaux, mais avec une approche très peu produite, un ton direct et sincère. En même temps, je reste dans le documentaire, parce qu’il y a un propos, un regard, une véritable progression narrative.

 

À 16 ans, vous aviez filmé votre expérience dans ce lycée américain en GoPro. Que pensez-vous de ces images aujourd’hui ?

Je crois vraiment avoir eu une super intuition… mais aujourd’hui je ne tournerais plus du tout comme ça ! (Rires.) Je sais que je me suis donné un vrai coup de pouce en filmant à l’époque, et en même temps je suis très dur avec moi-même : au montage, j’ai regretté certains plans, certains choix. Mais ces images restent un petit trésor personnel.

Vous travaillez essentiellement avec de petits appareils de captation. Est-ce un atout ?

Je n’y vois que des avantages. D’abord, c’est très pratique : avec un iPhone, je peux aller n’importe où. C’est simple et ça coûte peu. Et puis il y a aujourd’hui un vrai contexte de défiance envers les journalistes ou les reporters d’images. Je suis convaincu que filmer le réel avec un outil que tout le monde connaît, comme un smartphone, rapproche les spectateurs du terrain. Je montre volontiers les coulisses d’un tournage, ça fait partie de ma narration. Les documentaires plus produits installent une distance : on est moins immergé. L’iPhone casse cette distance. Même pendant le tournage, ça change tout. J’ai pu accéder à de nombreux lieux, en Ukraine notamment, parce que je tournais avec de petits moyens techniques. Par ailleurs, dans l’interaction avec les gens, c’est plus simple : ils sont plus sincères, moins stressés que s’ils étaient face à une caméra. Je n’ai même pas de trépied : je pose mon téléphone contre un verre ou une tasse, et on discute. Ça tourne quatre heures, et les gens finissent par l’oublier.

Il y a un énorme travail derrière : comment composer une œuvre intéressante à partir de ce réel capté ? Ça demande une grosse phase d’écriture au retour, puis un travail très minutieux au montage.

Vos camarades filmés dans High School Radical ont-ils vu la série ?

Oui, et pour l’instant je n’ai eu aucune mauvaise critique. Que des retours très positifs. Ils sont contents de se voir à l’écran, ils ne se sentent pas stigmatisés. J’ai fait attention à ne jamais les transformer en épouvantails. Mon regard est bienveillant, pas caricatural. D’ailleurs, je compte bien y retourner, sans attendre dix ans cette fois…

Que préparez-vous avec Studio POV après High School Radical ?

J’ai obtenu l’aide CNC Talent lors de la dernière session, donc je vais pouvoir repartir en tournage. J’avais fait un premier documentaire sur les jeunes qui font la fête en Ukraine alors que leur pays est en guerre. Je veux suivre cette logique et filmer la jeunesse qui se construit en faisant la fête malgré tout, dans d’autres pays. J’ai prévu d’aller à Damas, en Syrie, pour montrer comment la jeunesse s’est réapproprié la fête depuis la chute de Bachar el-Assad. Ensuite, je voudrais aller à Nuuk, au Groenland, à la rencontre de la jeunesse inuit, dépossédée de son territoire par des enjeux géostratégiques et industriels qui la dépassent. Et dans la foulée, je veux aller voir la jeunesse de Funafuti, capitale des Tuvalu, petit archipel du Pacifique voué à disparaître avec la montée des eaux…

Avec la même approche, toujours à l’iPhone ?

Absolument. C’est devenu ma signature aujourd’hui et j’ai envie de la cultiver, parce que c’est aussi ce que j’aime voir en tant que spectateur.
 

High School Radical 

Affiche de « High School Radical »
High School Radical Arte 

Série documentaire en 4 épisodes, disponible sur Arte.tv et la chaîne YouTube ARTE
Réalisée et écrite par Max Laulom
Production : ARTE France, Les Bons Clients, Studio POV
Producteurs : Loïc Bouchet, Gilles Berthaut, Max Laulom

La série documentaire a obtenu le Fonds de soutien audiovisuel (automatique – production)