Le Montand d’Yves Jeuland

Le Montand d’Yves Jeuland

19 novembre 2021
Séries et TV
Yves Montand dans le documentaire
Yves Montand dans le documentaire "Montand est à nous" de d'Yves Jeuland. Gettyimages, Steve Schapiro
Avec Montand est à nous, le réalisateur du Président a choisi de raconter Yves Montand, son idole, à la première personne du singulier. Il détaille au CNC comment il a construit ce documentaire, à découvrir sur france.tv.

On l’apprend dès le début de votre film : vous découvrez Yves Montand lorsque vous êtes très jeune, quand vos parents vous offrent son album Olympia 81, et il devient votre idole. On imagine que faire un documentaire sur lui vous trottait dans la tête depuis un petit moment ?

Je tournais autour de l’idée depuis longtemps, mais il y avait en moi une sorte de superstition qui me poussait à repousser le moment de m’y confronter. Comme si réaliser un film sur Montand serait mon ultime film ! Mais Montand est présent dans quasiment tous mes documentaires. J’y glisse toujours des extraits, des affiches… La productrice de Montand est à nous, Félicie Roblin, m’avait déjà proposé un film sur Montand et Signoret. On m’avait aussi contacté pour un documentaire autour des couples Miller-Monroe et Montand-Signoret. Mais j’avais refusé car je savais que si je faisais un documentaire un jour, ce serait sur Montand et Montand seul. Même si j’avais évidemment conscience qu’il existait déjà des films-références comme Montand de Jean Labib (1994) ou Ivo Livi dit Yves Montand de Patrick Rotman (2011).

Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas ?

L’idée de raconter Yves Montand à la première personne du singulier. De raconter mon Montand. Félicie et Vincent Josse – avec qui je suis devenu ami voilà quinze ans grâce à une relation commune qui nous a présentés, sachant qu’on aimait tous les deux Montand –, qui co-signe Montand est à nous, ont fini par me convaincre. Ils m’ont assuré que c’était cette année de double anniversaire – celle des 100 ans de sa naissance et des 30 ans de sa mort – ou jamais ! Donc j’ai dit oui, non sans trac. Félicie et Vincent ont trouvé les mots pour m’encourager à être encore plus personnel que je ne l’avais envisagé au départ, à aller davantage dans l’intime. Je voulais faire ce film à la première personne, mais je pensais intervenir avec ma voix uniquement en ouverture et en conclusion. Ils m’ont convaincu de le faire tout au long du récit.

Comment s’est construit ce récit à la première personne ?

C’est un numéro d’équilibre, tout comme Montand pouvait être un équilibriste ! Il fallait impérativement que ce jeu avec le « je » ne soit pas narcissique mais généreux. Qu’il me permette de transmettre ma passion pour que le spectateur en ait plein les yeux et les oreilles avec les chansons, les extraits de films et les engagements de Montand. Je me suis très tôt appuyé sur deux personnes essentielles : la monteuse Lizi Gelber et la documentaliste Aude Vassallo, pour les archives. Il y a en effet les images et les sons qu’on cherche, ceux qu’on trouve alors qu’on pensait qu’ils n’existaient pas – comme la question que j’avais posée à Montand en 1986 dans le cadre de l’émission Le téléphone sonne sur France Inter alors que j’avais 18 ans – et puis il y a les surprises. Les archives que je ne connaissais pas comme ces rushes sur le tournage de Jean de Florette (1986) tournés par Serge Viallet, ces images anciennes à la Colombe d’or (à Saint-Paul-de-Vence) où l’on voit Montand jouer à la pétanque ou encore les rushes du tournage du court métrage de Yannick Bellon, Un matin comme les autres, le premier film où Montand et Signoret tournent ensemble en 1957. 

De quelle manière le parti pris d’un récit à la première personne impacte l’utilisation et le montage de ces archives ?

En offrant une liberté incroyable. À la différence des films que j’ai pu faire sur Gabin ou Chaplin, je n’ai pas à être exhaustif ni à respecter en permanence une chronologie. Il y a un arc chronologique dans Montand est à nous, sauf qu’à l’intérieur de celui-ci, je multiplie les voyages dans le temps. Et puis, je ne crains pas un oubli de tel ou tel film ou telle, ou telle chanson. Parler de Montand à la première personne a rendu les choses plus naturelles.

Être à la première personne, c’est aussi embrasser des partis pris. Comme celui de zapper, après en avoir montré les dernières images, Montand et son discours devenu très libéral lors de l’émission Vive la crise, qui avait fait l’événement en février 1984 sur Antenne 2 en réunissant 20 millions de téléspectateurs…

Je revendique totalement ce parti pris, mû par l’idée qu’avec ce documentaire, j’avais d’abord et avant tout envie de faire aimer Montand. Or j’ai tout de suite vu ma monteuse tiquer sur cette émission comme sur un extrait précis du passage de Montand, toujours sur Antenne 2 en 1984, aux Dossiers de l’écran. Ce moment où il explique que les gens de droite ne sont quand même pas mal pour faire de l’argent en refaisant le geste trivial avec ses doigts que faisait César à Rosalie dans le film de Sautet. Ce qui le rend assez antipathique… Donc je n’ai pas monté ce moment-là. J’assume totalement d’avoir choisi les archives par ce prisme-là.

Montand, c’est mon héros, mais je ne suis pas un biographe. Je connais bien le Montand chanteur, le Montand politique, mais moins le Montand acteur. J’ai vu pour la première fois la totalité de ses films pour ce documentaire. Montand est à nous est l’exact reflet de tout cela. 

Est-ce que le regard que vous posez sur Yves Montand a changé au fil de cette aventure ?

Étant « tombé dedans » tout jeune, je n’ai pas vraiment appris de choses. Sauf peut-être en retombant sur la lettre que lui a écrite Signoret et qui était présente dans Tu vois, je n’ai pas oublié, la biographie de Montand écrite par Hervé Hamon et Patrick Rotman en 1990. Dans cette lettre magnifique, Signoret reproche à Montand de n’être vraiment aimable qu’avec les gens dont il se fiche. Et je me suis souvenu combien il avait été aimable quand, comme je le raconte dans le documentaire, il m’avait reçu chez lui, place Dauphine ! (Rires.) Il n’en avait évidemment rien à faire d’un petit Carcassonnais de 15 ans qui lui écrivait des cartes postales, et pourtant il lui répondait, il l’avait même fait entrer chez lui ! Avec le recul, je me suis dit que ça devait agacer Simone, d’autant qu’il pouvait être odieux avec les gens qui l’aimaient et qu’il aimait ! Et puis, faire ce documentaire m’a aussi permis de me replonger avec bonheur dans La Solitude du chanteur de fond de Chris Marker, tourné en 1974 avec Pierre Lhomme à la caméra. S’il y a un film que j’aurais aimé réaliser, c’est vraiment celui-là. 

Allez-vous continuer à mettre du Montand dans vos prochains films ?

Oui ! Mais, au moment où je vous parle, je suis toujours angoissé par cette peur qu’un film sur Montand soit forcément mon dernier. Donc je veux vite mettre en chantier le suivant !

MONTAND EST À NOUS

Réalisation : Yves Jeuland
Scénario : Yves Jeuland et Vincent Josse
Montage : Lizi Gelber
Production : Zadig Productions, Diaphana Films, France Télévisions
Diffuseur : France 3