Alain Ughetto : « L’universel prend toujours sa source dans l’intime »

Alain Ughetto : « L’universel prend toujours sa source dans l’intime »

26 janvier 2023
Cinéma
« Interdit aux chiens et aux Italiens ».
« Interdit aux chiens et aux Italiens ». Gebeka

Dans Interdit aux chiens et aux Italiens, le réalisateur retrace l’histoire de ses grands-parents ayant quitté le Nord de l’Italie pour la France au début du XXe siècle. Un film en stop motion qui conjugue le documentaire et la fiction, l’intime et l’universel.


Votre film mêle le documentaire, la fiction, l’animation… Cette dimension hybride était-elle au cœur du projet dès l’origine ?

J’ai peut-être été un peu dépassé ! (Rires.) Le mode de narration est hybride, en effet. Aujourd’hui, le film est sélectionné dans des festivals d’histoire, de documentaires, de fiction, d’animation… Mais ce qui m’importait à l’origine, c’était tout simplement de faire un film ! Je voulais témoigner de ce qu’avaient vécu mes grands-parents. Ils ont quitté leur pays, traversé trois guerres, une épidémie de grippe espagnole, et sont restés dignes, debout… Je n’ai pas réfléchi au public à qui le film pouvait s’adresser. Je me disais simplement : « Sois sincère, raconte cette histoire comme si tu la racontais à tes enfants. »

La forme du documentaire ne vous paraissait-elle pas plus appropriée ?

Non, car ce qui m’importait, c’était de raconter tout ça depuis l’intérieur d’un atelier de bricolage ! L’idée du bricolage était centrale. L’animation en volume commence par une sorte de bricolage de matériaux et de matériel, pour créer des figurines. Je voulais parler de la transmission de main en main. Mon grand-père fabriquait des choses avec ses mains, il a transmis ce savoir à mon père, qui me l’a transmis ensuite. Mes grands-parents ne parlaient pas beaucoup, ils s’exprimaient surtout avec des gestes, une tape sur l’épaule par exemple… Comme il n’y avait pas beaucoup de discours, de traces dans l’histoire de ma famille, j’ai eu besoin de recoller les choses. J’ai donc écrit cette histoire, puis je me suis fait aider par des centaines de « petites mains » : des animateurs, des techniciens, qui arrivaient du Portugal, de Belgique, de Suisse, d’Italie… Et qui m’ont aidé à transformer cette histoire en film. C’est magique !

Je voulais témoigner de ce qu’avaient vécu mes grands-parents. Ils ont quitté leur pays, traversé trois guerres, une épidémie de grippe espagnole, et sont restés dignes, debout…

Ce qui compte, donc, dans ce film en stop motion, c’est l’idée de la fabrication ?

Oui. Mais mon grand-père maçon fabriquait des barrages, des maisons, des choses solides, qui duraient, tandis que moi je fabrique un film, de l’éphémère. 

Interdit aux chiens et aux Italiens retrace le parcours de vos grands-parents, mais il y a des  « trous » dans ce récit. Vous complétez les manques de la grande Histoire avec une part d’imagination…

Oui, l’imagination permet de relier les points entre eux. Je n’ai pas connu mon grand-père, alors je ne peux que l’imaginer. Mais même l’historien, quand il doit relier deux témoignages entre eux, doit imaginer en partie, produire un récit. J’ai enquêté sur ma famille, posé des questions aux frères, aux sœurs, aux cousines et aux cousins, pour savoir quels étaient leurs souvenirs. Et ces souvenirs ont fini par dessiner une chronologie. Pour la partie italienne du film, la plus éloignée dans le temps, je me suis servi d’un livre intitulé Le Monde des vaincus, écrit par le sociologue Nuto Revelli, qui a recueilli les témoignages de paysans et paysannes de l’âge de mes grands-parents, et qui ont vécu au même endroit. Ils parlent avec leurs mots à eux de la misère, c’est un livre magnifique.

L’idée du bricolage était centrale. L’animation en volume commence par une sorte de bricolage de matériaux et de matériel, pour créer des figurines. Je voulais parler de la transmission de main en main. Mon grand-père fabriquait des choses avec ses mains, il a transmis ce savoir à mon père, qui me l’a transmis ensuite…

Le film est, aussi, une comédie…

C’est mieux s’il y a un peu d’humour, non ? J’ai toujours été fasciné par la comédie italienne, Affreux, sales et méchants, L’Argent de la vieille, les films de Dino Risi, de Comencini, de De Sica, qui ont l’élégance d’utiliser l’humour pour raconter des histoires dures. Comment arriver à rire avec ça ? Parce que dans mon film, il y a quand même trois guerres, un viol, des gens forcés de quitter leur pays…

Quelles émotions ont suscité en vous le fait de vivre pendant des années entouré de marionnettes représentant vos grands-parents, dont vous recréiez la vie et le parcours ?

C’est parfois surprenant. À un moment, je voulais que Luigi (le grand-père) épate Cesira (la grand-mère) en faisant un ricochet sur l’eau. J’ai mimé ce ricochet à l’animatrice, qui m’a filmée, pour ensuite reproduire le mouvement. En fin de journée, elle m’a montré le résultat, et j’ai vu mon grand-père qui bougeait comme moi, avec mes gestes ! Il y avait là un écho vraiment émouvant. Je pense de toute façon qu’il y a des gestes, des manières d’être, qui se transmettent ainsi, de génération en génération.

C’est une histoire intime, très personnelle, mais on sent le film porté par votre envie de lui donner une résonance universelle…

Oui, en effet. Quand j’étais petit, dans les années 50, beaucoup d’enfants de ma classe portaient des noms italiens. On était arrivés par paquets ! (Rires.) On retrouve des histoires comme celle de ma famille en Espagne, au Portugal, en Pologne… Chaque migrant amène son histoire. Et l’universel prend toujours sa source dans l’intime. Plus on est personnel, plus on s’ouvre aux autres.

Interdit aux chiens et aux Italiens

Réalisation : Alain Ughetto
Scénario : Alain Ughetto, Alexis Galmot, Anne Paschetta
Photographie : Fabien Drouet, Sara Sponga
Montage : Denis Leborgne
Musique : Nicola Piovani
Production : Les Films du Tambour de Soie ; Vivement Lundi ! - Nadasdy Film ; Foliascope ; Graffiti Film
Distribution : Gebeka Films

Sortie en salles : 25 janvier 2023

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Fonds Images de la diversité