André Bonzel : « Et j’aime à la fureur est né de mon envie de partager ma passion pour les films amateurs »

André Bonzel : « Et j’aime à la fureur est né de mon envie de partager ma passion pour les films amateurs »

19 avril 2022
Cinéma
« Et j'aime à la fureur » d'André Bonzel.
« Et j'aime à la fureur » d'André Bonzel. L'Atelier d'images

Avec Et j’aime à la fureur, le coréalisateur de C’est arrivé près de chez vous se raconte en mêlant images de films amateurs et archives personnelles. Il revient sur ce singulier documentaire pour le CNC.


Quel est le déclic qui a donné naissance à ce film ? Votre goût pour les films amateurs que vous collectionnez depuis des années ? Ou l’envie de vous raconter de manière décalée ?

Tout est parti de mon envie de partager mon attachement pour les films amateurs, objets cinématographiques passionnants où des gens filment leurs propres vies, les personnes qu’ils aiment, les moments heureux de leurs existences. Je sais que des universitaires travaillent sur ce genre de films à travers des études sociologiques. Mais moi, c’est vraiment l’objet cinématographique qui m’intéresse. Car ceux qui filment se posent au fond les mêmes questions qu’un réalisateur « professionnel ». Au fil du temps, j’avoue même que cette passion est presque devenue une addiction avec ce côté voyeur qu’il ne faut évidemment pas nier, mais aussi l’aspect « pochette surprise », car on ne sait jamais ce qu’on va trouver. Ce que je préfère d’ailleurs c’est quand je tombe, dans un vide-greniers, sur un lot de films et que je vois les enfants grandir, les parents vieillir, leurs lieux d’habitation évoluer…

Comment cette passion s’est-elle transformée en projet de long métrage ?

Puisque ces films n’existent que s’ils sont vus, Et j’aime à la fureur est né de mon désir de les montrer. Au départ, je suis parti sur l’idée de fictionnaliser ces documents amateurs en partant de la réalité. Mais c’est ma femme Anna qui, la première, m’a encouragé à me raconter à travers ces films et ces « personnages ». Au départ j’étais un peu réticent, car je me demandais qui ma vie pourrait intéresser – à part mes proches – à une époque où tout le monde se raconte à travers des blogs, les réseaux sociaux... Mais je me suis quand même lancé dans une sorte de bande démo que j’ai montrée à Benoît Poelvoorde. Et sa réaction enthousiaste m’a poussé à continuer dans cette voie. Il m’a aidé à me convaincre qu’après tout ma vie en valait bien une autre.

Comment avez-vous écrit le film qui mélange ces documents amateurs et vos archives personnelles ?

J’ai pensé ce documentaire comme une fiction en essayant de trouver un arc narratif, avec dès le départ l’idée d’une voix off qui accompagnerait le récit. Il était clair aussi qu’il s’agirait d’un feel good movie. Mon ambition était de de montrer que, quelles que soient les galères rencontrées, la vie vaut le coup d’être vécue. Un esprit ludique domine le film. Une distance. Un humour. Même si, dans la vie de tous les jours, j’ai pu et je peux être parfois désespéré.

Comment ces éléments disparates parviennent-ils à faire un film ?

Cela passe évidemment par pas mal de tâtonnements. Très souvent, je ne trouvais pas l’extrait dont j’avais besoin pour le récit que j’avais bâti. Par exemple, pour le moment où j’évoque mon père qui construit un mur dans notre maison pour la séparer en deux, j’avais commencé par mettre des plans du mur de Berlin avant de me rendre compte que ça ne fonctionnait pas et de finalement opter pour des plans de la neige qui tombe devant un magasin de jouet.

Parfois, il faut juste s’éloigner, trouver des correspondances au lieu d’illustrer littéralement. 

L’idée d’incorporer des moments capturés sur le tournage de C’est arrivé près de chez vous a été une évidence ?

Oui, puisque je raconte ma vie et mon envie de vouloir faire des films, je devais donc raconter le seul que je suis parvenu à faire ! (Rires.) En replongeant dans les rushes, j’ai redécouvert énormément de choses. C’est magnifique et si symbolique de voir Benoît demander tout haut où nous serons tous dans dix ans. C’est bouleversant aussi de revoir Rémy [Belvaux, décédé en 2006, NDLR].


C’est arrivé près de chez vous fêtera ses 30 ans le mois prochain. Trente années où vous avez tenté de donner vie à d’autres projets comme Le Marquis noir, un film d’époque qui mêle les codes du polar et ceux du slasher. Comment êtes-vous parvenu à financer Et j’aime à la fureur ?

En grande partie sur mes propres fonds. C’était l’ADN de ce projet, un film sans tournage que je pensais produire seul. J’y ai mis toutes mes économies personnelles, avec l’accord de mon épouse puisque cela avait des conséquences importantes sur le budget familial, et qu’il fallait financer l’achat des films à la base du documentaire. J’ai passé plus de deux ans et demi à travailler presque à plein temps sur le projet pour trouver les films amateurs, les dérusher et écrire un scénario. J’ai emprunté auprès d’amis pour financer cette période sans revenus, et j’ai créé une société de production Les Artistes Asociaux Productions – dont le nom est un clin d’œil à la société Les Artistes Anonymes que nous avions créée avec Rémy et Benoît pour produire C’est arrivé près de chez vous. Et je me suis rapproché de la société Les Films du Poisson, qui a coproduit le film en tant que coproducteur délégué. Et j’aime à la fureur a obtenu l’Avance sur recettes et il a fallu aux membres de la commission une bonne dose d’imagination pour pouvoir extrapoler ce à quoi allait ressembler le film à l’arrivée. Je les remercie infiniment pour leur confiance accordée au projet, car cette aide a été décisive. Le travail avec Les Films du Poisson a permis de fabriquer le film avec des coûts maîtrisés et de trouver un distributeur, L’Atelier d’Images, qui accompagne aujourd’hui sa sortie en salles. Cerise sur le gâteau, le Fonds Agnès b. est venu nous aider pour certaines dépenses ainsi que pour la sortie du film. Agnès b. a toujours soutenu le cinéma et je lui suis aussi très reconnaissant de nous avoir accompagnés.

Ce film s’appuie sur une bande originale qui constitue presque un personnage à part entière. Quelles directions avez-vous données à Benjamin Biolay pour la composer ?

Assez peu, pour être honnête. Je lui ai donné carte blanche en lui disant de se faire plaisir. Comme il peut jouer de tous les instruments ou presque, il m’a juste demandé ceux que je préférais. Je lui ai répondu que j’adorais le piano électrique, les pizzicati, les sifflements… Mais quand j’ai reçu ses morceaux, je me suis amusé à en utiliser certains à contre-emploi des scènes pour lesquelles il les avait pensés.

Trouver l’équilibre entre la musique et les images est toujours un exercice difficile. Pour ne pas bégayer. Pour ne pas trop appuyer les choses. La musique m’a servi ici à jouer à surprendre le spectateur.

Quand et comment décide-t-on de mettre un point final à cette aventure ?

Ça peut en effet être sans fin ! Tout au long du montage, j’ai ainsi continué à découvrir des films amateurs que j’avais forcément envie de numériser et d’ajouter. Heureusement, la sélection à Cannes nous a donné un cap et des délais à tenir. J’ai d’abord travaillé seul pour arriver à une version de 2 h 30. Puis, une première monteuse Svetlana Vaynblat m’a rejoint. On a travaillé ensemble pendant de nombreuses semaines, on a intégré la musique de Benjamin jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’on tournait en rond. Et c’est pile à ce moment-là qu’est arrivé le Covid… Ce fut libérateur pour nous, car il nous a forcés à arrêter. (Rires.) J’ai ainsi pu prendre le recul indispensable à ce genre de projet. Quand on a pu se remettre au travail, Svetlana était engagée sur un autre film et j’ai donc fait appel à un autre monteur, Thomas Marchand. Thomas a posé un œil totalement neuf et vierge sur le projet. Il a adoré replonger dans les 60 heures de rushes numérisées pour trouver des moments que Svetlana et moi n’avions pas incorporés. Et c’est avec cet objectif d’un film prêt pour être projeté dans la section Cannes Classics en juillet dernier qu’on a pu mettre un point final à Et j’aime à la fureur. Sinon, on pourrait encore y être ! (Rires.)

ET J’AIME À LA FUREUR

Réalisation et scénario : André Bonzel
Montage : Svetlana Vaynblat, Thomas Marchand et André Bonzel
Musique : Benjamin Biolay
Production : Les Films du Poisson, Les Artistes Asociaux Productions
Distribution : L’Atelier Distribution