Avec La Fille au bracelet, Stéphane Demoustier revisite le film de procès

Avec La Fille au bracelet, Stéphane Demoustier revisite le film de procès

10 février 2020
Cinéma
La Fille au bracelet
La Fille au bracelet Mathieu Ponchel - Petit Film - France 3 Cinéma - Frakas Productions - Le Pacte
Pour son nouveau long métrage, le réalisateur de Terre battue met en scène une jeune fille de 18 ans, accusée d’avoir tué sa meilleure amie, et en profite pour investir le genre du film de procès. Explications.

Est-ce la volonté de vous confronter au film de procès qui vous a poussé à imaginer La Fille au bracelet ?

Je ne me suis pas levé un matin pour me dire que j’allais faire un film de procès (rires). Mais je savais que cette histoire allait me permettre de m’y confronter et je crois que j’en avais envie. Ce film est inspiré par un fait divers argentin, l’histoire d’une adolescente accusée d’avoir tué sa meilleure amie. J’ai tout de suite voulu raconter son histoire non pas de son point de vue à elle, mais du point de vue de ses parents et plus largement de tous ceux qui l’observent et ne la comprennent pas forcément. Le procès était par essence le moyen idéal pour parvenir à mes fins car il constitue un miroir grossissant de ce rapport entre elle et les autres. Cette arène était donc le lieu idoine pour ce que je voulais faire : poser des questions sans forcément donner les réponses.

C’est un genre que vous appréciez comme spectateur ?

Enormément. La préparation du film a été un plaisir parce que j’ai pu revoir certains classiques et réfléchir sur le genre. Ma référence ultime - et inaccessible - reste Le Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson pour sa grâce inouïe, sa sobriété élégante et la distance que Bresson instaure entre le spectateur et son héroïne. Dans un genre totalement différent, j’ai été très influencé par la série The Staircase (Soupçons en VF ndlr) dans laquelle Jean-Xavier de Lestrade racontait l’histoire d’un homme accusé d’avoir tué sa femme. De Lestrade multipliait les allers-retours entre le procès et la vie de famille du suspect. Cette série m’avait captivé : j’étais fasciné de voir les effets du soupçon sur une famille et ça a beaucoup nourri mon écriture. Enfin, j’ai aussi montré à Melissa Guers - l’actrice qui joue mon héroïne - La Vérité d’Henri-Georges Clouzot car la jeune femme incarnée par Bardot est - comme notre héroïne - jugée autant pour sa moralité que pour ses actes prétendus.

Quels étaient les écueils à éviter en vous lançant dans un film de procès ?

L’hystérie. Et notamment le passage obligé de la plaidoirie bouleversante qui remet tout en cause d’un seul coup comme le coup de théâtre de la révélation qui permet soudain de tout élucider et de tout rendre clair. Dans les procès auxquels j’ai pu assister, on n’a quasiment jamais accès à des preuves irréfutables. C’est ce qui rend la justice très complexe. Je voulais que La Fille au bracelet soit fidèle à cette réalité-là. Mais j’avais également envie de détourner certains passages obligés, comme ces plans sur les jurés qui ont l’air pénétrés ou choqués par ce qu’ils voient. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de ne faire aucun gros plan d’eux : mes jurés dans cette affaire, ce sont les spectateurs face au grand écran.

Qui dit film de procès dit aussi huis clos. Quels ont été vos principes de mise en scène pour l’aborder ?

Je tenais à éviter les boiseries, les bustes et les marbres qui sont très présents dans la représentation des tribunaux au cinéma. A mes yeux, ils sont trop chargés cinématographiquement. J’ai décidé de situer l’action dans un tribunal moderne comme celui de Nantes imaginé par Jean Nouvel. C’est un lieu d’une sobriété totale, avec beaucoup de caractère et cette dominante rouge qui a inévitablement une incidence sur les nerfs. C’est un endroit extrêmement cinématographique qui m’a permis de jouer avec les reflets devant le personnage de l’héroïne dans le box vitré pour la montrer à la fois seule et sous le feu des regards de tous. Ces différents niveaux de lecture permettaient plus de profondeur et de puissance.

Stéphane Demoustier DR/Le Pacte

Pourquoi avoir fait appel à l’avocat Pascal Garbarini pour jouer le président de Cour d’assises ?

En partie pour ancrer encore plus le film dans la réalité judiciaire. Au départ, un comédien devait jouer ce rôle. Mais il s’est désisté à un mois du tournage et je n’ai pas eu envie de chercher quelqu’un qui lui ressemblait. Je me suis souvenu qu’on allait avoir besoin sur le plateau d’un conseiller « juridique » pour veiller au réalisme de nos situations. Et je me suis dit qu’un président de la Cour d’assises dans son propre rôle pourrait nous apporter cette crédibilité-là. Et puis une avocate pénaliste, qui lisait les différentes versions de mon scénario, m’a glissé le nom de Pascal Garbarini en étant certaine que, même s’il n’était pas président de la Cour d’assises, ça pourrait m’intéresser. Je l’ai rencontré et j’ai été immédiatement conquis. C’est un personnage aussi délicieux que généreux, qui a donné énormément de conseils aux acteurs qui le sollicitaient. Il est incroyablement humble dans sa manière de jouer la comédie. Lui qui adore le cinéma était comme un enfant. Et sa joie était très communicative.

En vous lançant dans l’écriture de ce film de procès, saviez-vous si votre héroïne était coupable ou non ?

Melissa m’a tout de suite posé la question mais je lui ai expliqué que j’avais écrit ce film du point de vue des parents, donc que je n’avais pas de réponse. Que c’était à elle de décider si elle était coupable ou non. Et qu’elle ne devait pas me le dire car je ne voulais pas le savoir. Pour le coup, je me situe là en rupture avec la plupart des films de procès où le réalisateur surplombe l’histoire, connaît son dénouement et amène le spectateur à la résolution. Moi, jusqu’au bout, à l’inverse, je m’applique le même programme que le spectateur mais ça n’a été possible que grâce à la qualité de l’interprétation de Melissa. On peut tout imaginer en regardant son visage. J’ai écrit et construit le film en veillant à ce que l’issue du procès soit ouverte. Je ne voulais ni la condamner d’avance, ni la sauver par principe. Maintenant, à titre personnel, je souhaite qu’elle soit innocente. Pour une seule raison : c’est un personnage que j’aime.

La Fille au bracelet, qui sort mercredi 12 février 2020, a reçu l’avance sur recettes avant réalisation, l’aide à la création de musique originale et l’aide sélective au programme éditorial vidéo du CNC.