Un peuple et son roi : cinq questions à l’historienne Arlette Farge

Un peuple et son roi : cinq questions à l’historienne Arlette Farge

25 septembre 2018
Cinéma
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Arlette Farge dans le film Les Intellectuels du XXIè siècle
Arlette Farge dans le film "Les Intellectuels du XXIe siècle" Les Films d'Ici

L’historienne, spécialiste du XVIIIe siècle et directrice de recherche au CNRS, a contribué à l’élaboration d’Un peuple et son roi de Pierre Schoeller. Elle raconte avec enthousiasme son expérience.


A quelle étape du film avez-vous été contactée par Pierre Schoeller ?

Arlette Farge : Au tout début de l’aventure, il y a environ quatre ans. Il n’avait pas encore écrit son scénario et a pris contact avec moi pour discuter de son projet, car il avait lu certains de mes ouvrages sur le XVIIIe siècle. A ce moment-là, on ne savait même pas si le film serait financé. Le premier contact fut très bon mais je l’ai immédiatement prévenu que si, certes, j’ai beaucoup écrit sur le XVIIIe, je n’ai jamais travaillé sur l’histoire, la chronologie de la Révolution française. C’est à ce moment-là que je lui ai conseillé de se mettre en lien avec Sophie Wahnich, spécialiste du sujet, qui est aussi au générique. Mais pendant un an, nous nous sommes vus de manière détendue, autour de cafés pour des discussions à bâtons rompus. Je l’ai principalement aidé à voir le quotidien, la vraie vie du peuple à cette période car ce dernier, comme son titre l’indique, est au centre de ce film.

Vous avez donc contribué à rendre le contexte crédible…

J’ai principalement aidé Pierre Schoeller à comprendre l’atmosphère de l’époque, à saisir l’état d’esprit du peuple. Ce qui est bien montré dans le film, ce sont notamment les débats sur l’instauration éventuelle d’une monarchie institutionnelle, mais surtout, le dilemme terrible auquel les gens de l’époque ont dû faire face car tuer le roi, ce n’était pas rien. C’était presque comme tuer Dieu. Pierre Schoeller montre un peuple qui réfléchit, là où il est souvent considéré comme bestial. Il s’intéresse également aux corps, la façon qu’ils ont de se mouvoir à l’époque, et aussi à quoi ils pouvaient ressembler. Souvent dans les films sur cette période, les foules sont composées de personnes difformes et franchement mal en point. Certes, ils n’étaient pas très en forme, mais ce n’était pas aussi caricatural. Le réalisateur donne au peuple de la Révolution française, une véritable dignité. Par-là, il s’approche réellement de mon travail d’historienne.

Quelles ont été vos interactions avec le scénario et le tournage?

Minimes. En réalité, il s’agissait surtout de discussions avec Pierre Schoeller. Il m’a montré son scénario à plusieurs occasions, se confiant sur les coupes qu’il avait dû faire pour que le film ne dure pas trois heures. Mais je n’avais pas particulièrement mon mot à dire. J’ai peut-être chicané une fois ou deux sur des prénoms que je ne trouvais pas très appropriés pour le XVIIIe siècle mais ce n’était pas mon rôle de jouer le script doctor. Je ne suis pas non plus allée sur le tournage. En revanche, j’ai appris, lors d’une interview aux côtés d’Adèle Haenel, que Pierre Schoeller avait donné à lire à ses acteurs principaux, deux de mes ouvrages, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle et Le goût de l’archive, pour qu’ils s’imprègnent davantage de l’époque et du contexte.

Pensez-vous que la fiction soit idéale pour traiter un sujet comme la Révolution française?

La fiction est un risque énorme. A mon avis, il y a peu de cinéastes qui sont parvenus à vraiment bien traiter ce sujet et cette période. J’ai travaillé il y a longtemps avec René Allio, sur Le Médecin des Lumières (1988). Ce fut un bonheur, comme avec Pierre Schoeller, car il cherchait réellement l’authenticité. Cependant, un historien ne détient pas la vérité mais apporte une version argumentée et étayée de cette dernière. Je me souviens également que Bertrand Tavernier, que je n’ai pas rencontré, avait réalisé un bon travail sur Que la fête commence (1975). Il s’était d’ailleurs servi de mes travaux. Parmi les réussites cinématographiques sur le XVIIIe siècle, on peut compter le Ridicule (1996) de Patrice Leconte ou même récemment Mademoiselle de Joncquières (2018) d’Emmanuel Mouret. Mais ces films traitent davantage du libertinage et des classes plus aisées, contrairement à Un peuple et son roi, vraiment centré sur « les petites gens ». Un film sur la Révolution française, c’est toujours un peu effrayant mais Pierre Schoeller a tout fait pour coller à la réalité en s’entourant de quatre historiens, Sophie Wahnich, Guillaume Mazeau, Timothy Tackett et moi-même. Le film est donc très pédagogique. Mais pas ennuyeux pour autant ! (rires)

En faisant d’Adèle Haenel l’un des personnages centraux de son film, Pierre Schoeller montre l’importance, peu connue, des femmes à cette époque…

Pour moi qui suis féministe, c’était une fabuleuse nouvelle ! Car oui, les femmes étaient centrales à cette période. Elles étaient totalement intégrées à l’espace public, d’ailleurs le mot « intimité » n’existait pas à l’époque car tout le monde vivait dans la rue. Elles n’avaient pas de droits mais participaient au quotidien. Ce sont elles et les enfants qui faisaient la réputation des quartiers et c’est par eux que l’information circulait. Presque plus qu’aujourd’hui, hormis l’aspect réseaux sociaux, tout se savait très vite. Donc quand un événement majeur se produisait, ce sont les femmes qui l’annonçaient en hurlant « C’est la révolte ! ». Et tout le monde se rassemblait pour voir ou participer. Lors des émeutes, elles étaient en première ligne avec les enfants pour que la police ne tire pas. Elles avaient une voix puissante et stridente qui rassemblait mais qui a aussi été utilisée contre elles, contribuant à les faire passer pour excessives. Elles ont longtemps été invisibilisées mais elles furent bien essentielles à l’histoire du XVIIIe siècle, finalement plus qu’au XIXe où elles étaient interdites d’accès aux tavernes ou à l’Assemblée, par exemple. Et ça, le film de Pierre Schoeller le montre vraiment très bien.

Un peuple et son roi

Un peuple et son roi sort le 26 septembre au cinéma. Le film, produit par Archipel 35 - et coproduit par France 3 Cinéma ainsi que Studiocanal - a bénéficié de trois aides du CNC :  l’aide au développement, l’avance sur recettes avant réalisation et  l’aide à la création visuelle et sonore.