Dans les coulisses du « Livre des solutions »

Dans les coulisses du « Livre des solutions »

09 septembre 2023
Cinéma
« Le Livre des solutions »
« Le Livre des solutions » Jokers Films

Le réalisateur Michel Gondry revient avec une comédie où Pierre Niney joue son alter ego. Il raconte la conception de ce long métrage partiellement autobiographique.


À l’origine – ou presque – du Livre des solutions, il y a une perte. Celle d’un fichier Word, introuvable dans les entrailles d’un ordinateur défaillant, et contenant le scénario. « Quand j’y repense, je me demande même comment ça a pu devenir un film ! », s’amuse Michel Gondry, qui signe son premier long métrage depuis huit ans et la sortie de Microbe et Gasoil. « Mon ancien assistant, qui est un excellent bidouilleur, a réussi à déterrer le script à force d’obstination. Il a sauvé ce projet que j’avais écrit en 2018 ou 2019. » L’histoire de Marc (Pierre Niney), cinéaste fantasque et alter ego à peine caché de Michel Gondry, qui s’enfuit avec son film encore inachevé et son équipe dans la maison de sa tante Denise (Françoise Lebrun), située dans les Cévennes. L’objectif est de faire tranquillement le montage sans que ses producteurs ne viennent donner leur avis. Mais Marc arrête brutalement son traitement médical et se retrouve plongé dans un joyeux chaos par ses idées incessantes… Précision : si les tourments de Marc sont partiellement autobiographiques, c’est que Michel Gondry s’est inspiré de ce qu’il a vécu sur le tournage et le montage de L’Écume des jours, en 2013. 

 

« Une euphorie indescriptible »

Diagnostiqué bipolaire à cette époque, il a connu la paranoïa, le sentiment de toute-puissance et les descentes foudroyantes. « Lorsque j’étais jeune, un ami avait une moto très puissante. Il m’a emmené faire un tour. Nous sommes passés de 0 à 120 km/h en cinq secondes. J’ai ressenti une impression incroyable, complètement nouvelle. Je ne suis pas remonté sur une moto, car je n’aime pas le danger, mais j’ai compris qu’il existait des impressions qu’on ne connaissait pas », se souvient-il. « Quand j’étais Marc et que je donnais vie à une idée, j’éprouvais ce genre de sentiment. Une euphorie indescriptible. Évidemment, ce n’était pas normal. J’ai essayé de la retrouver dans ce film », raconte le réalisateur, qui a d’abord écrit le scénario en langue anglaise. Une façon de se protéger : « Je n’avais pas envie de reparler directement de ce que j’avais vécu sur L’Écume des jours. Quand je l’ai finalement traduit en français, car nous arrivions mieux à le produire ici, il était évident que ce serait Pierre Niney qui jouerait Marc. Il a été génial et n’a pas hésité un instant à être énervant dans le rôle. Je ne voulais pas qu’il essaie d’être sympathique, mais je voulais que les gens l’aiment bien. Je trouvais qu’il avait fait des choix pertinents en tant qu’acteur, qu’il était doté d’un très bon sens du timing, qu’il avait une excellente diction et qu’il pouvait être très drôle. En outre, pour que je puisse m’identifier à un comédien, il ne faut pas qu’il dégage trop de testostérone. Pierre me semble équilibré de ce point de vue. Ce personnage, c’est quand même moi à 70 %. »

Dans ces conditions, Le Livre des solutions aurait pu ressembler à une thérapie filmée, mais son auteur a préféré l’autodérision, qui lui permet certes de cadrer son histoire, mais surtout de « faire rire, car certaines situations sont aussi ridicules que drôles. Réaliser des films partiellement autobiographiques permet de cerner toutes les motivations des personnages. Ma monteuse, qu’interprète ici Blanche Gardin, m’a dit un jour qu’elle était plus souvent inquiète pour moi qu’irritée. C’est là encore un sentiment bienveillant, que j’ai eu envie de restituer dans ce film. »

Homme-orchestre

Réellement tourné dans la maison de sa tante Suzette (qu’il filmait déjà dans le documentaire L’Épine dans le cœur en 2009), le film prend également racine dans un bouquin rédigé par Michel Gondry lui-même, le fameux « livre des solutions ». Juste après Human Nature (2001) et avant de se lancer dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, il passe un été dans la demeure. « Là, j’ai rempli un cahier de 40 pages en écrivant tous les problèmes rencontrés sur mon premier film. Et après, j’ai simplement retourné le cahier et noté toutes les solutions. » La ligne entre réalité et fiction se fait de plus en plus floue : « Marc a un côté alien ; sa manière de penser diffère de la norme. Il part du principe que tout ce qu’il fait est révolutionnaire, y compris le fait de décrire ses actions et d’en proposer une réflexion. Cela lui donne l’impression de vivre un moment unique. Marc croit à tout ce qu’il fait au point de vouloir publier un livre. Petit, comme lui, je pensais qu’il y avait des mécanismes dans les guerres qu’on retrouvait à moindre échelle dans les conflits domestiques. Évidemment, c’est très simpliste et mégalomaniaque, mais Marc, lui, voit du génie dans cette simplicité. Il est sérieux et sincère, comme j’ai pu l’être, enfant, quand j’ai pensé avoir découvert la manière dont avait été inventée la lunette en observant les trous dans les feuilles d’arbre ou comme j’ai pu penser que ma modestie faisait partie de ma grandeur. J’ai pu aussi me comporter de manière arrogante avec une personne tout en éprouvant pour elle un respect infini. Cela peut coexister. »

La musique joue aussi un rôle essentiel dans Le Livre des solutions, notamment dans une scène impressionnante où Marc dirige un orchestre sans connaissances musicales, rien qu’avec son corps. Là encore, l’idée ne vient pas de nulle part : Michel Gondry avait expérimenté ce système pour les besoins de L’Écume des jours. « Ça marchait drôlement bien. Pour Le Livre des solutions, j’ai eu l’idée que Marc écoute un CD, puis qu’il le retranscrive comme il pouvait et que cela donne une nouvelle musique. C’est une manière de créer comme on fait du sample. » Il confie la bande originale au compositeur Étienne Charry, qui a travaillé sans avoir une seule image du film. « Je lui donnais des petits clips que je trouvais sur internet pour le guider de séquence en séquence. Par exemple, pour la séquence de la bagarre, je lui ai fait un petit montage de vidéos de voitures accidentées. Au fur et à mesure, il m’envoyait ce que ça lui inspirait et ça collait parfaitement. Ce qu’il arrivait à faire était génial. » 

Arrivé au bout du projet après tant d’années de gestation, Michel Gondry fait le bilan : « Je pensais que cela serait traumatisant. Mais j’ai senti que toute l’équipe était derrière moi, les acteurs aussi. Ils voulaient comprendre et m’aider à comprendre ce qu’il s’était passé dans ma tête il y a huit ans. Ce tournage est ainsi celui que j’ai préféré. Et j’ai adoré travailler avec ma monteuse, Élise Fiévet, qui est aussi douce que ferme. Et qui est surtout mon cerveau. »

le livre des solutions

Réalisation et scénario : Michel Gondry
Production : Partizan Films
Distribution : The Jokers Films
Ventes internationales : Kinology
En salles le 13 septembre

Soutiens du CNC : avance sur recettes après réalisation, aide sélective à l’édition vidéo, aide au programme (aide à la distribution)