De la Fémis à « Météors » : entretien avec le cinéaste Hubert Charuel et la scénariste Claude Le Pape

De la Fémis à « Météors » : entretien avec le cinéaste Hubert Charuel et la scénariste Claude Le Pape

03 octobre 2025
Cinéma
« Météors »
« Météors » réalisé par Hubert Charuel en collaboration avec Claude Le Pape Pyramide Distribution

Depuis leur rencontre durant leurs études, tous deux n’ont jamais cessé de collaborer. Avec à la clé trois courts métrages et deux longs : Petit Paysan, triplement césarisé en 2018 et Météors, découvert à Un Certain Regard, plongée dans une usine de traitement de déchets nucléaires à Saint-Dizier, région natale d’Hubert Charuel. Ils nous racontent ces 15 ans de vie professionnelle commune.


Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Claude Le Pape : À la Fémis. Nous sommes de la même promotion (2011), qui est aussi celle de Thomas Cailley, de Leyla Bouzid et de nombreux techniciens avec qui Thomas n’a jamais cessé depuis de travailler, comme Jacques Girault et Marc-Olivier Brullé, le directeur de la photo et l’ingénieur du son de Météors.

Hubert Charuel : Le point de départ de notre collaboration, son socle, a vraiment été notre amitié. Nous avons concrètement commencé à travailler ensemble pour un projet à l’intérieur de l’école, qui devait réunir des gens de différentes sections. J’étais en section production, Claude en scénario et nous avons collaboré avec une amie commune, Pauline Gay qui, elle, était en réalisation. Avec Claude, nous avons tout de suite vu que nous étions sur la même longueur d’onde.

CLP : Hubert avait envie d’écrire. Or, dans la section production, ils avaient un cours de scénario hollywoodien donné par Malia Scotch Marmo, qui avait notamment coécrit Hook. Hubert avait déjà en tête un projet, Bloody Milk – qui posait toutes les bases de ce qui deviendra plus tard Petit Paysan – et elle lui avait dit qu’il tenait quelque chose. Comme il existait dans nos études un module où nous pouvions créer un projet de série télé, nous avons travaillé avec Hubert et une autre scénariste à partir de Bloody Milk. Fabrice de la Patellière – qui était un des intervenants – nous avait lui aussi assuré que nous tenions un « truc ». Nous y avons donc consacré une bonne partie de notre dernière année même si ça n’a pas abouti. Mais il était évident pour moi, dès ce moment-là, qu’Hubert avait un désir de réaliser.

HC : Ce dont je n’avais moi-même absolument pas conscience à l’époque !

CLP : Mais ça l’était pour toute sa famille parce qu’il en parlait énormément quand il était plus jeune. Tout cela avait donc été enfoui et ne demandait qu’à ressortir ! Je l’ai poussé à le faire pour son film de fin d’études. C’est ainsi qu’est né Diagonale du vide, une comédie autour d’un duo de potes en quête de shit en période de pénurie, que j’ai coécrit et qu’Hubert a tourné à Saint-Dizier, là où il a grandi, dans les mêmes décors que Météors. On y retrouve les atmosphères et les obsessions qui constitueront l’ADN de son cinéma : le territoire, la jeunesse, les situations de manque et d’errance. Son goût pour le mélange des genres aussi : l’ambiance changeait à chaque maison dans laquelle les personnages arrivaient, passant de Scarface à 8 Mile. Et puis Diagonale du vide a été sélectionné au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. Ce qui était complètement fou pour nous !

HC : Ce fut vraiment un moment décisif. Grâce à cette sélection et au fait que mon travail avait été apprécié par des professionnels, je me suis autorisé à devenir cinéaste.

Comment décririez-vous votre méthode de travail commune à l’époque ? A-t-elle beaucoup évolué au fil des années ?

CLP : Elle est restée identique au fil des années. Hubert arrive toujours avec une idée, un univers, des personnages. Ce qui constitue déjà une base énorme. Et à partir de là, nous construisons ensemble l’histoire, puis nous écrivons en tenant compte des comédiens, souvent non professionnels, qui apportent leur langage et leur énergie et donnent aux dialogues une authenticité immédiate.

HC : Mais faire germer l’idée sur laquelle on va tout bâtir prend vraiment du temps. Cinq ans dans le cas de Météors avant que nous écrivions le scénario durant un an et demi. Un temps indispensable pour savoir de quoi exactement nous allions parler. Car au départ, Météors devait être un film catastrophe ! J’aime l’écriture mais je n’étais pas scénariste. Je me suis vraiment formé avec Claude. C’est elle qui m’a poussé dès mon premier court et j’y ai pris goût. Elle m’a appris à écrire des dialogues, ce qui est devenu fondamental pour ma mise en scène. Le rapport aux personnages et à leur manière de parler est central. Voilà pourquoi il était essentiel pour moi qu’elle soit créditée comme collaboratrice à la mise en scène sur Météors. Un poste qu’elle occupait déjà sur Petit Paysan. Je revendique ces films comme les miens, bien sûr, mais en aucun cas comme des œuvres solitaires.

CLP : Météors est le film d’Hubert, réalisé par Hubert. Voilà pourquoi je ne suis pas créditée comme coréalisatrice. Sans prétendre nous comparer en termes de niveau, le trio Gilles Marchand-Robin Campillo-Laurent Cantet fonctionnait ainsi. Ils le revendiquaient. C’était une fierté pour eux et ce fut une source d’inspiration pour nous.

Remontons quelques années en arrière. Comment a fini par naître Petit Paysan et passer de cette idée de série que vous évoquiez au format long métrage ?

HC : À la sortie de la Fémis, nous avons très vite compris que ce projet de série n’aboutirait pas.

CLP : Nous avons ensuite attendu de récupérer les droits après l’échec du développement.

HC : Puis mon agent nous a suggéré d’écrire un synopsis de long métrage sur cette même base.

CLP : Comme nous avions travaillé sur cette idée de série, nous avons pu lui fournir un document très étoffé en termes de bible des personnages, d’idées visuelles…

HC : Il a été le présenter à différents producteurs et il a tout de suite perçu un intérêt. Mais la plupart trouvaient le ton trop sombre. Sauf que, pour nous, ce film ne devait pas se résumer à ça. Alors pour nuancer cette perception, nous avons ajouté au dossier six pages de dialogues qui révélaient sa part d’humour.

CLP : Celle-ci était déjà présente dans les deux premiers courts d’Hubert, Diagonale du vide et K-nada. Il n’y avait donc rien d’artificiel là-dedans. Et c’est ce qui a convaincu les producteurs Stéphanie Bermann et Alexis Dulguérian de nous suivre.

HC : J’ai réalisé un autre court entre-temps, Fox-terrier, pour m’essayer à des choses plus techniques, des scènes d’action, à l’utilisation de la Steadycam… afin d’arriver armé sur le tournage.

Claude, étiez-vous présente sur le plateau de Petit Paysan ?

CLP : Oui, mais surtout pour les scènes de jeu, pas pour les scènes purement techniques où je n’aurais vraiment rien apporté. Hubert était quand même assez anxieux quant à son échange avec les comédiens et ma présence le rassurait. Mais je mesure surtout la chance qu’il me donne le droit d’être sur le plateau. C’est un privilège dont beaucoup de scénaristes rêvent.

 

Petit Paysan a été un succès critique et public, couronné par trois César. Comment avez-vous géré l’après ? Et pourquoi s’est-il écoulé autant de temps jusqu’à Météors ?

HC : Il y a eu une pression immédiate. Tout le monde demandait quel serait le prochain projet. Mais je ne voulais pas enchaîner trop vite, ne pas céder à la tentation de refaire le même film. Surtout, je refusais d’être catalogué comme réalisateur du monde agricole. Je savais que Petit Paysan serait mon unique long métrage de fiction sur ce sujet. J’ai certes réalisé un documentaire, Les vaches n’auront plus de nom, en 2019, mais j’ai tenu à le faire de la manière la plus confidentielle possible. Pour ne pas être catalogué.

CLP : Nos amis cinéastes de promo, Thomas [Cailley] et Layla [Bouzid], nous avaient prévenus : après un premier film, l’accompagnement et les obligations promotionnelles prennent un temps fou, donc il faut idéalement avoir déjà une idée forte pour le deuxième. Hubert, lui, ne l’avait pas. C’est ce qui explique, en plus du temps pris par la réalisation de son documentaire, qu’il se soit écoulé huit ans entre Petit Paysan et Météors.

Quel a été le déclic qui a donné naissance à Météors ?

HC : Chez le fils de paysan que je suis, qui avait été marqué par la crise de la vache folle dans les années 90, Petit Paysan était parti d’un besoin viscéral, d’une certaine manière, de « cracher » cette histoire. Je me suis forcément demandé si j’allais retrouver cette même nécessité impérieuse une deuxième fois. Elle est venue de ce proche dépendant, que j’ai essayé de sauver, et de l’usine de traitement de déchets nucléaires dans lequel se déroule une grande partie de l’intrigue. Cet élément était présent dès le départ. Je savais que j’allais retourner à Saint-Dizier et me replonger dans l’univers de mes deux premiers courts métrages.

CLP : Ce n’est paradoxalement pas si simple de s’entendre dire que nous pouvons faire ce que nous voulons avec le budget que nous souhaitons pour un deuxième film. C’est ce qui est arrivé à Hubert. Il a d’abord eu cette idée d’un film catastrophe avec une météorite. Avant de se dire que ce n’était pas le film qu’il avait envie de faire à ce moment-là, quitte à ce qu’il n’en ait plus jamais l’opportunité.

HC : Dans la région de Saint-Dizier, la question des déchets nucléaires est présente depuis toujours. Ce n’est pas un simple sujet, c’est notre quotidien. Mais ce n’est qu’à partir du moment où je suis parti que j’ai commencé à m’en rendre compte. Je suis allé aux journées portes ouvertes de cette usine et j’ai pris une vraie claque tant j’ai senti le mépris qu’ils avaient pour nous, habitants de la Haute-Marne, en essayant de nous faire croire que ces déchets nucléaires ne représentent aucun danger. À partir de là, faire Météors est devenu viscéral pour moi. Ce film est parti d’une colère.

CLP : Je ne connaissais pas l’univers des déchets nucléaires. Mais je me suis appuyée sur les expériences d’Hubert, ses repérages. Il est quand même descendu à 500 mètres sous terre, ce que je n’aurais jamais pu faire car je suis totalement claustrophobe ! (Rires.) Je suis aussi allée aux journées portes ouvertes pour voir ce dont Hubert parlait : cette impression qu’ils ne font même pas l’effort d’essayer de jouer correctement leurs rôles. Nous avons aussi rencontré des ouvriers pour comprendre si la scène d’accident du travail que nous avions imaginée était crédible. Météors ne cherche pas à livrer un discours militant, mais à raconter la vie de personnages pris dans cet environnement.
 

MÉTÉORS

Affiche de « MÉTÉORS »
Météors Pyramide

Réalisation : Hubert Charuel en collaboration avec Claude Le Pape
Scénario : Hubert Charuel et Claude Le Pape 
Production : Domino Films
Distribution et ventes internationales : Pyramide
Sortie le 8 octobre 2025

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