Eva Husson ("Les filles du soleil") : "Mon sujet, c’était les femmes"

Eva Husson ("Les filles du soleil") : "Mon sujet, c’était les femmes"

19 novembre 2018
Cinéma
Les Filles du soleil de Eva Husson
"Les Filles du soleil" de Eva Husson Meneki Films - Photo : Eva Husson

Présenté en compétition officielle du dernier Festival de Cannes, Les Filles du soleil sort le 21 novembre. Rencontre avec sa réalisatrice.


Au mois de mai dernier, c’est le soir de la projection des Filles du soleil que s’est déroulée la montée des marches 100% féminine. Comment avez-vous vécu ce moment particulier ?
On ne pouvait pas faire la montée des marches avec les 82 femmes à Cannes, en raison du protocole. Mais c’était un honneur que Thierry Frémaux ait choisi d’accorder le créneau des Filles du soleil à cette marche des femmes. Je pense qu’il a voulu lier les deux et rendre hommage à la portée symbolique du film. C’était un moment fort pour nous. Quant à moi, c’était la première fois que je montais les marches en compétition donc c’était un moment incroyable : mon fils était là ! C’était un beau moment.

Pourquoi avez-vous choisi de rendre l’ensemble du film anonyme ? En changeant le nom des villes notamment ?
J’ai fait un film relatant des événements très durs, tragiques et surtout très récents… Je ne voulais pas qu’on commence à pinailler sur des problèmes de reconstitution historique. Je n’avais pas un budget de cent millions d’euros, je n’avais pas le luxe de tout construire… Il y a forcément des choses qui m’échappent en termes de production et je ne voulais pas que cela devienne un sujet de conversation. Il n’était pas question non plus qu’il y ait des erreurs de lecture de mes opinions politiques, qui auraient favorisé un groupe plutôt qu’un autre. Je voulais m’extraire de toutes ces problématiques-là, parce que mon sujet, c’était les femmes.

Comment le titre du film, Les Filles du soleil a-t-il été choisi ?

Le nom « Les Filles du soleil » est celui d’un bataillon de femmes Yézidis, car pour ce peuple le soleil a un caractère sacré. Je voulais vraiment insister sur la recherche de la lumière. C’est un thème qui m’obsède un peu, de manière générale.

Et que l’on soit en temps de guerre ou que l’on ait une vie beaucoup moins extraordinaire, la vie est d’une violence inouïe puisque nous sommes tous mortels.

Quelle est la particularité de votre façon de réaliser ?
J’aime que les spectateurs aient l’impression d’être là. On accompagne le point de vue du personnage que l’on suit au moment de la scène. C’est tout le contraire d’un documentaire, où il y a une caméra extérieure objective. Au contraire, ma caméra est très subjective. A chaque fois qu’il y a un point de vue, il n’est pas externe, il est vraiment celui d’un personnage.

Dans le film, il y a une scène très forte : un accouchement rythmé par un décompte. Quelle est son histoire ?
Une des femmes que j’ai interviewées m’a raconté qu’elle avait accouché en captivité, et ça m’a profondément marquée parce que c’est une expérience violente et intense physiquement. Et vivre ça en captivité… je n’ose même pas imaginer à quel point c’est traumatisant. Et pourtant, elle me racontait ça avec une douceur et une force de vie qui étaient magnifiques. Elle m’a confié que son enfant était né en captivité et que ça lui avait donné beaucoup de force. J’ai couplé ça avec un souvenir de recherche sur un autre film, sur la guerre civile espagnole : un poète espagnol était mort à la seconde où il avait posé le pied en terre libre. J’en ai pris l’image inversée. Qu’est-ce qui pouvait être plus fort que de faire naître cet enfant la seconde où il serait en terre libre ? Et que ce soit une fille.