Fabien Gorgeart revient sur l’histoire de « La Vraie Famille »

Fabien Gorgeart revient sur l’histoire de « La Vraie Famille »

16 février 2022
Cinéma
« La Vraie Famille » de Fabien Gorgeart.
« La Vraie Famille » de Fabien Gorgeart. Le Pacte
Le cinéaste évoque pour le CNC la genèse de son deuxième long métrage, en partie inspiré de sa propre histoire.

La Vraie Famille met en scène une famille d’accueil qui, au bout de six ans, va devoir laisser le petit garçon qu’elle avait accueilli à l’âge de 18 mois repartir vivre chez son père biologique. Ce deuxième long métrage, qui sort dans les salles ce mercredi 16 février, vient de loin. Au point de trouver sa source avant même que Fabien Gorgeart ne prenne une caméra en main. « Quand est née chez moi l’envie de devenir réalisateur, mon premier réflexe a été d’aller vers cette histoire-là », raconte le cinéaste. Une histoire directement inspirée par son enfance puisque sa famille a elle-même été famille d’accueil et confrontée à une situation identique. « La présence de ce petit garçon qu’avaient accueilli mes parents et son départ du jour au lendemain ont profondément marqué mon enfance. Je me raconte depuis toujours que ça a un rapport avec ma découverte tout gamin d’E.T. de Steven Spielberg et le choc que j’avais ressenti alors : j’avais beaucoup pleuré sur le moment avant d’en faire des cauchemars pendant plusieurs mois. En fait, j’avais eu le sentiment que l’histoire d’E.T. était celle que nous étions en train de vivre avec ce petit garçon chez nous. »

Cette histoire le hante tellement qu’il en écrit un peu plus tard un premier scénario « sur lequel j’espère que jamais personne ne tombera », explique-t-il en riant. « Je l’ai très vite mis dans un tiroir et enfermé à double tour, car le récit mêlait trop de choses et partait dans tous les sens. Il racontait l’arrivée de l’enfant, son départ, une multitude d’histoires de famille… Il lui manquait un angle ! Mais mon envie de cinéma et cette histoire sont toujours restées très liées. »

Après six courts métrages (Emue & Furiosa en 2005, Comme un chien dans une église en 2007, L’Espace d’un cri en 2008, Un homme à la mer en 2009, Le Sens de l’orientation en 2012 et Le diable est dans les détails en 2016), c’est finalement une autre histoire de famille que Fabien Gorgeart choisit en 2017 pour son premier long métrage, Diane a les épaules, où Clotilde Hesme campe une jeune femme portant l’enfant d’un couple d’amis homosexuels, interprétés par Fabrizio Rongione et Thomas Suire. 

L’aventure Diane a les épaules va constituer un déclic. « D’abord parce que j’ai gagné en expérience, notamment en me confrontant de manière très directe à des questions d’écriture. Mais surtout parce qu’au fil de mes courts métrages et de ce long, j’ai pu m’appuyer sur deux producteurs, Marie Dubas et Jean des Forêts, qui me connaissaient très bien et me savaient animé par cette histoire. » C’est plus précisément Marie Dubas qui va l’inciter à franchir le cap.

Marie a su appuyer sur les bons boutons. Elle m’a expliqué que je devais assumer de raconter cette histoire-là et ne pas hésiter à en faire un mélodrame. J’ai tout de suite pensé à Kramer contre Kramer. Ça a débloqué quelque chose en moi.
Fabien Gorgeart


Avant de se replonger dans l’écriture et pour ne pas limiter son scénario à sa seule histoire, Fabien Gorgeart va à la rencontre de différentes familles d’accueil : « J’ai eu besoin de me rassurer sur le fait que ce film n’allait pas tourner autour de moi et surtout que je n’allais pas prendre les spectateurs en otages avec ma propre émotion. Je le dis d’autant plus facilement qu’il m’est arrivé pendant l’écriture d’être bouleversé parce qu’une scène faisait remonter des souvenirs. Et puis, une heure après, je relisais la scène en question et je la trouvais totalement nulle. Tout le but de cette phase d’écriture a été précisément de nettoyer le scénario de cette émotion, de se concentrer sur toute la complexité et l’ambivalence que peut charrier ce genre d’histoire. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi de raconter La Vraie Famille par le prisme des adultes et non des enfants. Parce que dans ce type de situations, les enfants sont passifs, ils subissent ce que les adultes font d’eux. J’ai donc eu envie de me placer du côté de ceux qui agissent. »

Contrairement à Diane a les épaules qu’il avait écrit pour Clotilde Hesme, Fabrizio Rongione et Thomas Suire, Fabien Gorgeart a attendu d’avoir fini le scénario de La Vraie Famille pour penser au casting des trois personnages adultes principaux. Lyes Salem est le premier à accrocher au scénario et à entrer dans l’aventure, très vite suivi par Mélanie Thierry. « Dans les deux cas, il y a eu une évidence. Mélanie est un peu pour moi le chaînon manquant entre ma mère et Meryl Streep ! Elle est issue d’un milieu populaire et a dans son jeu cette extrême précision qui lui permet d’être à la fois naturelle et expressionniste. » Dans le rôle du père de l’enfant placé dans la famille d’accueil, Fabien Gorgeart a choisi de faire appel à Félix Moati « car il émane de lui un capital sympathie immédiat dont le personnage qu’il incarne avait besoin pour susciter de l’empathie alors qu’il peut apparaître comme celui qui brise la belle harmonie qui règne dans cette famille d’accueil. C’était essentiel pour l’équilibre du film. »

Côté lumière, Fabien Gorgeart choisit de se renouveler après Diane a les épaules. « Je pensais être arrivé au bout de mon travail avec Thomas Bataille. J’ai donc commencé à chercher parmi les directeurs de la photo de mes films préférés. Or, j’avais été très marqué voilà quelques années par Adieu d’Arnaud des Pallières, dont Julien Hirsch avait signé la lumière. » Le cinéaste organise alors une rencontre avec ce dernier et d’emblée, les deux hommes sont sur la même longueur d’onde.

On voulait trouver un geste de cinéma tout en s’inscrivant pleinement dans le genre du film de famille. L’idée du grand angle est venue de là. Malgré la peur de la comparaison avec Terrence Malick qui l’a beaucoup utilisé ainsi. Je pense évidemment à The Tree of Life qu’on a beaucoup regardé pour trouver comment se réapproprier ce qui fut une référence majeure pour nous.
Fabien Gorgeart

Question références, Fabien Gorgeart cite aussi la scène finale de L’Impasse de Brian De Palma. « J’avais envie d’insuffler quelque chose du cinéma américain pour m’éloigner le plus possible du danger d’un film trop naturaliste, purement social. Je raconte le quotidien mais je rêvais d’un film plus grand que la vie ! J’ai le sentiment d’avoir pris plus de risques que sur Diane a les épaules. Notamment dans ces partis pris de mise en scène. Mais le travail avec les enfants m’y obligeait. Je ne pouvais y aller en appuyant sur le frein. Je devais foncer quitte à rentrer dans un mur. Mais avec panache ! »

Ces influences américaines se retrouvent jusqu’au montage sous l’égide de Damien Maestraggi, qui accompagne Fabien Gorgeart depuis ses débuts, et aide à donner une couleur de thriller à ce mélo, avec un travail tout particulier sur le rythme. La première présentation au public de La Vraie Famille a eu lieu en août dernier lors du Festival du film francophone d’Angoulême. Le film y a été doublement couronné avec le Valois du jury et celui de la meilleure actrice pour Mélanie Thierry. Le début d’une tournée des festivals, dont celui de Valenciennes où il cumulera prix du jury, prix du public et prix des étudiants. La meilleure manière d’aborder la sortie en salles de ce mercredi 16 février. Une nouvelle page s’écrit de la longue histoire de La Vraie Famille. Mais celle-ci n’appartient plus à son auteur.

LA VRAIE FAMILLE

Réalisation et scénario : Fabien Gorgeart
Images : Julien Hirsch
Montage : Damien Maestraggi
Production : Petit Film et Deuxième Ligne Films
Distribution et Ventes Internationales : Le Pacte