Jérémy Clapin : « Pendant ce temps sur Terre est né de ma fascination pour l’espace »

Jérémy Clapin : « Pendant ce temps sur Terre est né de ma fascination pour l’espace »

10 juillet 2024
Cinéma
« Pendant ce temps sur Terre » réalisé par Jérémy Clapin
« Pendant ce temps sur Terre » réalisé par Jérémy Clapin Diaphana Distribution

Le réalisateur césarisé de J’ai perdu mon corps raconte son passage de l’animation à un film en prises de vues réelles. L’histoire d’une jeune femme de 23 ans, contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener sur Terre son frère spationaute, disparu mystérieusement trois ans plus tôt lors d’une mission.


Quand est née l’idée de tourner un film en prises de vues réelles ?

Jérémy Clapin : Même si je viens de l’animation, j’ai toujours eu dans un coin de la tête l’envie de réaliser un film en prises de vues réelles. Après J’ai perdu mon corps, j’ai pensé que le moment était idéal. Avec le succès du film, sa nomination aux Oscars, il s’était créé une attente sur mon film suivant. Dans ces moments-là, on vous encourage spontanément à rester dans la même veine, avec le risque de s’y enfermer. J’y ai donc vu, à l’inverse, le moment idéal pour explorer un univers où précisément je n’étais pas attendu, mais dont j’avais envie depuis longtemps. Encore fallait-il trouver l’idée.

Comment naît celle de Pendant ce temps sur Terre ? Du désir d’un récit autour d’un deuil impossible ? D’une envie de parler d’espace ?

Tout part de la fascination pour l’espace que j’ai en moi depuis longtemps. Elle vient à la fois des films sur l’espace que j’ai pu voir et de ces nuits d’été où je restais allongé dans l’herbe à regarder le ciel. De là est née l’idée de deux mondes qui s’observent, deux mondes dont chacun représente un mystère pour l’autre : notre planète Terre et l’espace. C’est à l’intérieur de ce cadre que j’ai imaginé le personnage d’Elsa, cette jeune femme confrontée à la disparition de son frère spationaute, avec cette idée d’un dialogue entre les morts et les vivants qui s’ajoute à celui de la Terre et de l’espace. J’ai voulu l’accompagner de quelques scènes d’animation à l’intérieur d’un film en prises de vues réelles pour créer la collision entre le réel et l’imaginaire. J’ai eu la chance que Marc du Pontavice, mon producteur sur J’ai perdu mon corps, accepte de m’accompagner dans cette aventure.

J’ai profité de ce que m’a appris l’animation : cette capacité à découper et penser les films visuellement en amont.

Qu’est-ce qui change le plus entre l’écriture d’un film en prises de vues réelles et l’écriture d’un film d’animation ?

Les deux s’écrivent à peu près de la même manière à ceci près que dans l’animation, grâce à mon expérience, j’ai une grille de lecture qui me permet de savoir précisément ce que va engendrer chaque ligne que j’écris. Tout était forcément un peu plus flou pour un film en prise de vues réelles, mais ça m’a sans doute apporté une forme d’insouciance dans l’écriture. Évidemment, il ne s’agissait pas de coucher sur le papier des choses que je n’allais pas avoir les moyens de filmer. Cependant, j’ai eu très tôt en tête le film que je voulais faire : un film fantastique plus que de SF, avec un côté très intimiste. Il y avait des effets spéciaux visuels dans le scénario. Je les ai réduits quand j’ai commencé à mettre le film en images dans ma tête, quand j’ai compris que trop montrer – à commencer par la présence extraterrestre – allait abîmer le mystère que je souhaitais développer. J’ai gardé juste ce qu’il fallait pour que ce soit crédible. Mais pour revenir à votre question, je dirais que la différence principale tient dans le fait qu’en animation, on peut abandonner le scénario un peu plus tôt car on passe ensuite par les étapes du story-board et de l’animatic, qui constituent une réécriture à part entière. Alors qu’en prises de vues réelles, le scénario devient un document sacré, le seul sur lequel on peut s’appuyer avant le tournage. Certes, en théorie, on peut changer des choses sur le plateau et au montage, mais on n’a en réalité jamais le temps de le faire vraiment. Cela oblige à avoir quelque chose de plus solide au départ.

Pourquoi avoir choisi Robrecht Heyvaert comme directeur de la photographie ?

Ce fut une étape clé du processus. Elle a été d’autant plus complexe que je ne connaissais quasiment personne dans le monde des prises de vues réelles. Mais je savais ce que je voulais : un chef opérateur qui comprenne d’où je viens, ce monde de l’animation où l’on contrôle tout, et qui accepte de travailler avec quelqu’un nourri de cette expérience-là mais sans connaissance d’un plateau de cinéma. Or j’avais été frappé par le travail sur la lumière de Robrecht, la précision et la qualité de ses cadres, notamment dans Les Ardennes de Robin Pront. J’y ai vu des ponts entre son travail et le mien, sa capacité à créer des choses avec une facture tenue en dépit de budgets limités. Je l’ai contacté et j’ai tout de suite été épaté par sa connaissance du monde de l’animation et séduit par sa curiosité à l’idée de travailler avec moi. Chacun de nous deux a eu la chance que l’autre l’invite dans son univers et bouleverse ses habitudes.

 

Des films référence ont-ils joué un rôle dans la création de l’univers visuel ?

Morse de Tomas Alfredson et Border d’Ali Abbasi, des films où l’élément fantastique n’est ni appuyé ni omniprésent dans le récit, mais où l’on ressent en permanence une forme d’étrangeté. On a tourné Pendant ce temps sur Terre en Auvergne et je voulais réussir à inviter l’espace dans la nature, quelque chose de l’ordre de l’extraterrestre qui pose un regard sur l’héroïne et sur cette forêt afin que le fantastique soit présent dans chaque plan. Mais sans en faire trop, en restant toujours sur un fil. Ce fut notre plus grand défi.

Vous êtes-vous appuyé sur un story-board pour relever ce défi ?

Oui, car je voulais profiter de ce que m’a appris l’animation : cette capacité à découper et penser les films visuellement en amont. Mais je ne souhaitais pas pour autant que cela vienne contrarier la mécanique forcément différente d’un film en prises de vues réelles. Je l’ai donc fait avec retenue. J’arrivais chaque matin avec en tête un découpage précis, mais je le laissais évoluer en fonction de mes échanges avec Robrecht, notamment en termes de mouvements de caméra. J’avais besoin d’arriver très préparé pour pouvoir m’éloigner de ce que j’avais en tête.

Réaliser un film en prises de vues réelles, c’était aussi vous confronter pour la première fois à un travail sur le plateau avec des acteurs. Comment avez-vous appréhendé cette expérience ?

C’était à la fois une curiosité, une envie, mais aussi une source d’inquiétude, même si j’avais l’expérience de la direction des voix par l’animation. Avant de me lancer, j’ai lu pas mal d’ouvrages sur le sujet et je me suis tout de suite dit que le plus gros de mon travail allait se situer dans le choix du casting, à commencer évidemment par celui du personnage d’Elsa qui est de tous les plans ou presque. Je savais que si j’échouais là, je ne m’en sortirais pas. J’ai dû voir une vingtaine de jeunes comédiennes, toutes talentueuses, mais Megan Northam s’est imposée comme une évidence. Dès qu’elle lisait mon texte, je croyais à ce qu’elle était en train de dire. Elle correspondait exactement à l’idée que je me faisais du personnage : quelqu’un capable d’ancrer le récit. Megan ne surjoue pas. Tout passe par l’intensité naturelle de son regard, sa manière d’y faire apparaître instantanément de la gravité sans artifice. Ce n’est évidemment jamais simple d’imposer un visage qui n’est pas très connu, mais j’ai eu la chance qu’on me laisse libre de le faire.

En prises de vues réelles, le scénario devient un document sacré, le seul sur lequel on peut s’appuyer avant le tournage.

Avez-vous répété avant le tournage ?

Pas vraiment. On a simplement fait des lectures pour que je puisse voir si les comédiens sentaient les enjeux du récit et de leurs personnages, si les dialogues tombaient pile dans leurs bouches ou s’il fallait les modifier pour qu’ils se sentent plus à l’aise.

Avec le recul, comment avez-vous vécu ce travail avec eux ?

Sur ce film, j’avais beaucoup à apprendre. Donc je n’ai sans doute pas eu le temps que j’aurais souhaité avec Megan. Je suis d’autant plus impressionné par sa performance, sa capacité à être juste et fidèle à ce que je souhaitais sans qu’on ait forcément toujours eu la possibilité d’échanger suffisamment. Son personnage était difficile à jouer car Elsa est très isolée. Sur le plateau, Megan avait peu de partenaires à part une voix qui lui parlait depuis un haut-parleur ! Je n’avais pas forcément anticipé tout cela, ni le poids des décors naturels et du climat. Je me suis rendu compte à quel point un tournage de film en prises de vues réelles est quelque chose de physique. J’ai dû perdre sept kilos !

Comme dans J’ai perdu mon corps, la musique tient un rôle essentiel dans Pendant ce temps sur Terre. Vous avez de nouveau fait appel à Dan Levy. Comme votre collaboration a-t-elle évolué entre les deux films ?

Dan est arrivé plus tôt dans le processus que sur J’ai perdu mon corps. Il a commencé à réfléchir à des morceaux dès la lecture du scénario. Il se trouve qu’on a commencé par tourner les séquences animées pour lesquelles j’avais vraiment besoin du renfort de la musique car elle nous emporte à la fois de la Terre à l’espace et de la prise de vues réelles à l’animation. Ce premier travail a donné le la de tout le reste.
 

PENDANT CE TEMPS SUR TERRE

Affiche de « PENDANT CE TEMPS SUR TERRE »
Pendant ce temps sur terre Diaphana

Réalisation et scénario : Jérémy Clapin
Photographie : Robrecht Heyvaert
Montage : Jean-Christophe Bouzy
Musique : Dan Levy
Production : One World Films
Distribution : Diaphana
Ventes internationales : Charades
Sortie le 3 juillet 2024

Soutiens du CNC : Aide sélective VFX (2022), Aide aux techniques d'animation ATA, Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme), Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales