Karim Moussaoui : « Avec L’Effacement, je ne fais que raconter la tragédie humaine »

Karim Moussaoui : « Avec L’Effacement, je ne fais que raconter la tragédie humaine »

09 mai 2025
Cinéma
« L’Effacement » réalisé par Karim Moussaoui
« L’Effacement » réalisé par Karim Moussaoui Les Films Pelléas

Le réalisateur d’En attendant les hirondelles adapte le roman de Samir Toumi et met en scène un jeune Algérien étouffé par son père, patron de la plus grande entreprise d’hydrocarbures du pays. Karim Moussaoui explique la manière dont il raconte son pays à travers un récit teinté de fantastique.


Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter L’Effacement, le deuxième roman de Samir Toumi ?

Karim Moussaoui : Je l’ai lu dans la foulée de sa publication en 2017, juste après la sortie d’En attendant les hirondelles en France. J’ai été touché par le personnage de Reda, par l’incapacité de ce jeune homme à prendre sa vie en main. Cette solitude dans laquelle il vit m’a tout de suite rappelé celle de nombreux Algériens de son âge que je connais : ils sont dans cette même incapacité d’exprimer leur désir d’émancipation et donc de trouver leur chemin. Dès les premières pages du roman, le lecteur comprend que ce sentiment est lié à son père, avec qui Reda entretient une relation particulière, très étroite mais toxique. Ce père trop présent a laissé peu de place au fils qui peine à faire des choix, à exister pour lui-même, à s’accomplir.

Il se trouve que ce récit d’émancipation percute aussi directement l’histoire de l’Algérie, puisque ce père a l’âge d’avoir participé à la libération du pays… Cela a-t-il contribué à votre désir de porter ce roman à l’écran ?

Dans le livre, effectivement, il est clairement mentionné qu’il fait partie de cette génération-là. Mais de mon côté, j’ai aussi eu envie de parler des gens de ma génération, les fils de ceux qui ont participé à la renaissance du pays. Par leur récit commun, ce qui est faux car il reste énormément de combats à mener, mais se hisser à leur hauteur peut paraître « himalayesque ». C’est en tout cas ce qu’éprouve Reda, même si ce qu’il ressent n’est pas uniquement lié à ces émotions, mais plus largement à ce qui se passe dans cette famille bourgeoise. Lorsque nous creusons un peu, nous voyons que nombre d’archaïsmes y sont maintenus et perpétrés alors que cette famille semble porter certaines valeurs qui la situent dans le progressisme. Ce point de vue m’intéressait car nous avons souvent tendance à affirmer que le conservatisme, religieux notamment, se développe surtout dans les tranches les plus défavorisées de la population. Ce qui est profondément inexact.

 

Comment s’est passée l’adaptation du livre en termes d’écriture ?

J’ai d’abord écrit seul pour aller vite. Comme j’avais des idées très claires sur mes envies, je voulais parvenir le plus rapidement possible à un premier bout à bout pour pouvoir intégrer la scénariste Maud Ameline avec qui j’avais déjà travaillé sur En attendant les hirondelles. Et j’y suis parvenu au bout de trois mois.

Comment travaillez-vous avec elle ?

Généralement, nous écrivons chacun de notre côté dans un jeu de ping-pong. Parfois, elle prend les choses en main, rédige ses propositions avant que je lui fasse mes remarques. Parfois, c’est l’inverse. Le tout entrecoupé de longues discussions. Le cinéma que j’aime n’est pas celui qui juge, où le monde se divise entre méchants. Je veux avant tout essayer de comprendre le mouvement des forces, des individus, la succession d’événements qui peuvent mener aux conflits, aux crises. C’est ce que je souhaite raconter.

Maud Ameline est-elle repartie du livre ou de votre premier bout à bout ?

Maud a lu le livre bien sûr mais, tout comme moi, elle s’est très vite émancipée de l’écriture de Samir Toumi. Il y a d’ailleurs dans le film toute une partie qui ne se trouve pas dans le roman. Celle qui met en scène le père n’existe sous la plume de Samir Toumi que dans les mots et le regard du fils. Une manière de montrer à quel point Reda est fasciné et influencé par ce père qui porte des valeurs ancestrales de force et d’autorité. Des éléments représentatifs d’une époque dans la manière dont on s’approprie le pouvoir. Et Reda ne parvient pas à voir le monde autrement qu’à travers ce prisme-là.

À la mort de son père, Reda découvre, en passant devant une glace, que son reflet a totalement disparu. Cette part fantastique qui vient teinter le récit était-elle présente dans le roman ?

Oui, mais je ne l’ai pas beaucoup utilisée. Je ne voulais pas qu’elle soit trop présente afin que nous puissions nous demander si, au fond, elle n’existait pas uniquement dans la tête du personnage. Le travail d’écriture sur ce point a continué jusqu’au montage afin de ne pas dénaturer le côté réaliste du récit. Mais mon film est finalement très proche du scénario. Les changements se résument à de petites touches par-ci par-là.

Le cinéma que j’aime n’est pas celui qui juge, où le monde se divise entre méchants.

Avez-vous réécrit une partie du scénario une fois votre casting choisi ?

J’ai adapté des dialogues pour Sammy Lechea qui incarne Reda, surtout pour certaines phrases en arabe afin de les lui rendre plus faciles à dire. Mais sinon, je ne réécris jamais le scénario en fonction de mes comédiens.

Vous avez présenté L’Effacement à plusieurs festivals depuis quelques mois, comme celui du film francophone d’Angoulême où il a été sélectionné en compétition. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans les retours de ces premiers spectateurs ?

Ce qui m’a marqué, c’est le côté universel des réactions. Comme si chacun se réappropriait cette histoire qu’on pourrait percevoir a priori comme purement algérienne. Je pense que toutes les questions abordées dans L’Effacement sont universelles. Il y a évidemment à la marge des réactions différentes selon les cultures. Mais au fond, je ne fais que raconter la tragédie humaine commune à absolument tous les pays et toutes les cultures !
 

L’EFFACEMENT

Affiche de « L’EFFACEMENT »
L'Effacement Ad Vitam

Réalisation : Karim Moussaoui
Scénario : Karim Moussaoui et Maud Ameline d’après l’œuvre de Samir Toumi
Production : Les Films Pelléas, Niko Films, Prolégomènes
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : MK2 Cinémas
Sortie en salles le 7 mai 2025

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide à la création de musiques originales, Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée, Aide à l'édition vidéo (aide au programme 2025)