« La Nuit du verre d’eau » : entretien avec le compositeur Antonin Tardy

« La Nuit du verre d’eau » : entretien avec le compositeur Antonin Tardy

14 juin 2023
Cinéma
Marilyne Naaman dans « La Nuit du verre d’eau ».
Marilyne Naaman dans « La Nuit du verre d’eau ». 13 Prods

Également connu sous le pseudo Mendelevitch, le compositeur signe pour la première fois la musique d’un long métrage. Il revient sur son parcours et son travail de composition pour ce film du cinéaste Carlos Chahine, drame historique dans le Liban de la fin des années 50.


Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur La Nuit du verre d’eau ?

Hannah Taïeb, l’une des productrices du film (Les Quatre Cents films), lui a suggéré mon nom. J’avais signé la musique du court métrage qu’elle avait produit, Son altesse protocole (Aurélie Reinhorn, 2021). Elle connaissait mon parcours et ma capacité d’adaptation. Pour le court métrage en question, dont l’action se déroulait dans un parc d’attractions, j’avais composé des musiques très différentes : orchestrales, électroniques, traditionnelles… Carlos Chahine désirait, lui, une musique instrumentale très écrite, avec un son très organique. J’ai donc resserré mon travail.

Vous évoquiez votre parcours, quel est-il ?

J’ai suivi un itinéraire classique. J’ai commencé la direction d’orchestre à 16 ans au sein du conservatoire du XVe arrondissement de Paris et je suis entré à 18 ans au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris où je suis resté six ans. J’y ai étudié l’écriture musicale et l’orchestration, avant de me spécialiser dans la musique à l’image sous la direction du compositeur Bruno Coulais durant un an.

Pourquoi la musique de film ?

Dès l’âge de 18 ans, j’avais décidé de me consacrer à la musique symphonique afin d’être plus en phase avec mon époque. J’ai alors délaissé la direction d’orchestre pour la musique à l’image. Au cinéma, il nous arrive cependant de diriger des orchestres, ce n’était donc pas complètement un abandon, plus un transfert. Par ailleurs, mon père est metteur en scène de théâtre et m’a donné l’opportunité de composer très tôt des musiques pour des pièces. Mettre de la musique sur un récit est passionnant…

Je nourris une passion pour Wagner et son idée de leitmotiv. Chaque composition musicale correspond à un motif précis : une émotion, un événement, un personnage...

En quoi la musique de film vous permet-elle d’être « en phase avec l’époque » ?

La Nuit du verre d’eau est une musique pour piano et violoncelle. Ce n’est a priori pas très moderne, mais j’ai essayé qu’elle ait son identité propre et non de faire du Brahms, par exemple. J’ai cherché une teinte singulière, une influence contemporaine dans les structures harmoniques… Cela passe par des contrariétés dans la mélodie. Bien sûr, il y a une conscience très forte de s’appuyer sur un bagage classique. Carlos y tenait d’ailleurs.

Comment avez-vous dialogué avec Carlos Chahine pour définir la musique d’un film qui se déroule au Liban en 1958 et raconte le destin d’une femme qui cherche à s’émanciper ?

Lors de notre première rencontre, le film était déjà tourné. Hannah m’avait envoyé un prémontage assez proche de la version définitive. Avec Carlos, nos visions de la musique étaient concordantes. Les délais étant très courts, il a fallu rapidement définir une ligne directrice. Je lui ai proposé de partir de la scène finale, d’une grande intensité pour Layla, la protagoniste de ce drame. J’ai composé une mélodie directement liée à ce qui vit le personnage à ce moment-là. Je l’ai ensuite déclinée à rebours, en remontant le fil de son histoire. Je suivais ce cheminement en ayant toujours en tête cette émotion paroxystique. Tout va crescendo.

 

Avez-vous cherché à vous inspirer de la musique orientale des années 1950 pour coller à l’époque du récit ?

Là-dessus, nous étions d’accord avec Carlos : « Pas question de faire de la musique avec des consonances orientales ! » La musique devait permettre de mieux comprendre le film et non de se contenter simplement de l’illustrer. Signifier que nous sommes au Liban par la musique aurait été vain. D’autant que les musiques additionnelles que l’on entend à la radio, elles, sont d’époque. Ce sont des archives, des musiques que Carlos avait en tête.

Votre musique devait donc, avant tout, accentuer les émotions…

Je voulais que la mélodie apporte, en effet, un surcroît de sens, un regard spécifique. Toutes les interventions musicales traduisent l’intériorité de Layla ou créent un lien direct entre elle et ce qui l’entoure : les paysages, son enfant… Prenez son rapport à la vallée qui entoure son village, il est presque mystique.

La Nuit du verre d’eau est une musique pour piano et violoncelle […] J’ai cherché une teinte singulière, une influence contemporaine dans les structures harmoniques […] L’intégralité de la musique a été composée en un mois.

En collant au plus près du personnage principal, vos compositions permettent de l’encercler, de l’isoler…

Comme beaucoup de musiciens, je nourris un grand amour pour Wagner et son idée de leitmotiv. Chaque composition correspond à un motif précis (une émotion, un événement, un personnage...) Cette correspondance très concrète entre la musique et le motif permet de passer un pacte secret avec le spectateur. Dans La Nuit du verre d’eau, on entend, par exemple, une mélodie spécifique au moment où Layla observe la vallée. Consciemment ou non, le spectateur va associer cette mélodie à ce paysage. Il la garde en mémoire. Ainsi, lorsqu’elle se fait à nouveau entendre mais qu’elle est cette fois associée à un plan du visage de Layla, il comprend que le personnage pense à cette vallée. J’aime cette idée de reconnaissance. Alors oui, le personnage est isolé, dans son monde intérieur. Mais la musique permet au spectateur de coller à sa psychologie.

Dans quelles conditions avez-vous composé et enregistré la musique ?

L’intégralité de la musique du film a été composée en un mois. Nous avons eu une seule journée d’enregistrement avec une violoncelliste, Laure Hélène Michel, et un pianiste, Guillaume Vincent. Deux superbes musiciens… Je tenais à ce que l’on enregistre la musique directement à l’image. Chacun était dans une pièce différente avec un écran sur lequel était projeté le film. Je ne voulais pas d’une musique métronomique prisonnière d’un timing trop précis, mais au contraire d’une certaine fluidité dans l’exécution. Si nous savions précisément à quel moment placer la musique, au sein de ce cadre, nous nous laissions une marge.

La musique de La Nuit du verre d’eau est la première que vous avez composée pour un long métrage. En quoi ce travail diffère-t-il de vos précédentes expériences ?

Le travail sur un court métrage est passionnant mais avec un long vous devez développer une idée à plus grande échelle. J’ai retrouvé quelques similitudes avec mes compositions pour des pièces de théâtre qui m’obligeaient déjà à travailler sur un format long.

La Nuit du verre d’eau

LA NUIT DU VERRE D’EAU

De Carlos Chahine
Scénario : Carlos Chahine et Tristan Benoit
Avec : Nathalie Baye, Marilyne Naaman, Pierre Rochefort…
Image : Thomas Bataille
Montage : Gladys Joujou
Musique : Antonin Tardy
Production : Autres Rivages, 13 Prods, Les Quatre Cents Films, Orjouane Productions
Distribution France :  Jour2Fête, JHR Films
Ventes internationales : France tv distribution
En salle le 14 juin 2023

Soutien du CNC : aide à la création de musiques originales, soutien au scénario, aide à la distribution, aide à l’édition vidéo