« La Sirène » : le premier film d’animation de Sepideh Farsi

« La Sirène » : le premier film d’animation de Sepideh Farsi

26 juin 2023
Cinéma
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lASIRENE
Omid, protagoniste de La Sirène Les Films d'ici

En 1980, Sepideh Farsi a 15 ans quand l’Irak envahit l’Iran. Quarante ans plus tard et après huit ans de travail, la cinéaste iranienne revient sur le siège d’Abadan, un épisode marquant du conflit, dans La Sirène, son premier film d’animation. Entretien.


Comment est né le projet de La Sirène ?

La ville d’Abadan, située au sud de l’Iran, occupe une position stratégique dans la région. Elle abrite notamment l’une des plus importantes raffineries de pétrole au monde. En novembre 1980, elle est attaquée par l’Irak. Le siège d’Abadan est un événement marquant de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Il a fait beaucoup de victimes. J’avais envie de raconter cet épisode depuis un moment, mais d’un point de vue intime qui sorte des récits officiels. Ma génération a vécu la guerre pendant la période de l’adolescence, un peu comme Omid, le personnage principal du film. Notre vie a basculé du jour au lendemain.

Que raconte cette histoire ?

Quand Abadan, sa ville, est assiégée par l’armée irakienne, Omid, un adolescent de 15 ans, décide d’y rester malgré le départ de sa famille. Il résiste à sa façon : sans prendre les armes, mais en créant du lien, en aidant les habitants. C’est un anti-héros qui garde son côté candide malgré la difficulté de ce qu’il vit.

 

Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?

La Sirène est le premier titre auquel nous avons pensé. Nous en avons cherché d’autres, mais nous sommes revenus à celui-ci. La double signification du terme avec d’un côté l’alarme qui annonce la guerre, et de l’autre la créature me semblait percutante. Le double sens ne fonctionne qu’avec quelques langues européennes. En persan, la sirène dans le sens de la créature mythologique se dit « pari ». C’est également le nom d’un des personnages féminins du film et celui du bateau dont le rôle est déterminant dans le récit. Il y a un côté comique en lien avec le conte de La Petite sirène, même si j’étais loin de penser que l’adaptation filmique sortirait en même temps que mon film. Un amusant concours de circonstances.

La Sirène a-t-il été écrit pour être un film d’animation ?

L’ADN de mon cinéma est plutôt intimiste. Je ne me sentais pas à l’aise avec l’idée de réaliser un film sur la guerre en prises de vues réelles. Il aurait nécessité des moyens importants, des effets spéciaux... L’animation était une évidence depuis le début. D’autant plus que je ne peux pas me rendre en Iran – je suis interdite de séjour là-bas – et que la ville d’Abadan telle qu’elle existait dans les années 1980 a été presque entièrement détruite.

Il s’agit de votre premier film d’animation : quels défis avez-vous rencontrés ?

Je n’ai pas suivi d’école de cinéma. J’ai appris à filmer en prises de vues réelles sur le tas. En passant à l’animation, j’ai dû apprendre de nouveaux procédés. Il était nécessaire que je maîtrise tous les aspects de la réalisation en animation de manière à ce que le résultat corresponde à ce que j’avais en tête. Je ne voulais pas que l’esthétique du film soit trop proche du cartoon, ni que le rendu ressemble à de la 3D. Les personnages ont été conçus en 3D mais avec une technique spécifique qui donne le sentiment qu’ils ont été dessinés en 2D. La plupart des décors sont eux en 2D. Cette combinaison n’était pas évidente à mettre en place. L’aide de mes collaborateurs a été précieuse.

L’ADN de mon cinéma est plutôt intimiste. Je ne me sentais pas à l’aise avec l’idée de réaliser un film sur la guerre en prises de vues réelles. Il aurait nécessité des moyens importants, des effets spéciaux... L’animation était une évidence depuis le début.

Comment avez-vous choisi l’équipe avec laquelle vous avez travaillé ?

J’avais besoin d’un collaborateur pour m’aider sur la partie graphique du film. En 2014, j’ai été présentée à Zaven Najjar, réalisateur et directeur artistique français d’origine libano-syrienne. Cette rencontre à été décisive. L’autre collaboration importante a été celle du producteur, Sébastien Onomo (Les Films d’ici) qui a chapeauté les questions de coproduction avec l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique. Nous avions besoin de nous entourer de personnes qualifiées et capables de maîtriser le logiciel de modélisation 3D Blender, lequel était alors encore peu utilisé dans l’animation. Il a fallu du temps pour trouver les personnes qui correspondaient le mieux au projet. Sébastien Onomo s’est appuyé sur les partenaires avec qui il avait déjà travaillé pour son précédent film d’animation Funan.

Comment avez-vous pensé l'esthétique du film ?

J’ai suggéré à Zaven Najjar de réduire la gamme chromatique du film pour rendre compte du sentiment d’enfermement des personnages. Nous avons choisi une palette réduite : le rouge vif pour le sang ou l’intérieur de l’église arménienne ; le bleu persan pour les mosaïques ; les marrons et les verts pour le décor environnant – des couleurs propres à cette province du Khouzistan, zone fertile et abondante en eau – ; les beiges et les gris pour la fumée et la poussière des bombardements. Nous avons ensuite ajouté des calques de lumière et des calques de matière pour accentuer l’effet cendré et poussiéreux de l’attaque.

Il était important que je maîtrise tous les aspects de la réalisation en animation pour que le résultat corresponde à ce que j’avais en tête. 

Et les personnages ?

Les dessiner a été assez complexe. Je me suis appuyée sur des références photographiques : des personnes de ma famille, des individus repérés sur des documents d’archives ou des personnalités qui ont réellement existé. C’est le cas de Georges le photographe, de Elaheh la chanteuse, ou encore du personnage de l’ingénieur qui est un comédien iranien. Je proposais des images à Zaven Najjar qui me faisait aussi des propositions en s’inspirant de personnes de son entourage.

Pourquoi le protagoniste est-il un adolescent ?

Les adolescents sont ceux qui ont été les plus transformés par la guerre. Ils sont passés de l’enfance à l’âge adulte d’un seul coup et ont parfois dû partir se battre sur le front. Omid [ndlr : « espoir » en persan], est confronté au choix cornélien de rester à Abadan et de résister alors que sa famille fuit la ville. J’avais son âge lorsque la guerre a éclaté. J’ai choisi de le faire interpréter par une comédienne et non par un comédien pour insister sur le contraste entre son côté juvénile et la violence environnante.

Comment avez-vous choisi les voix des acteurs ?

Il a fallu du temps pour trouver la voix idéale de certains personnages. Avant tout, il fallait s'entourer de bons comédiens et comédiennes avec des timbres qui correspondaient à ce que j’imaginais. Les voix ont été enregistrées, entre autres, à Paris [ndlr : dans les studios Belleville et Mactari]. Les acteurs et actrices devaient pouvoir venir en France. J’ai alors notamment fait appel à plusieurs membres de la diaspora iranienne. D’ailleurs l’un d’entre eux est venu spécialement de Los Angeles pour enregistrer sa voix. Une partie du film a été réalisé pendant la pandémie de covid-19, il était donc important de pourvoir les diriger sur place autant que possible malgré les circonstances.

Contrairement au cinéma en prises de vues réelles où le son est préexistant, l’animation nécessite de tout créer. Un travail énorme a été fait pour rendre compte de toute la richesse sonore de l’Iran.

Comment avez-vous conçu le son du film ?

Dès l’écriture du scénario, des sons m’habitaient : le vent, les alertes aux bombardements, des chansons qui passaient à la radio, des sifflements… Contrairement au cinéma en prises de vues réelles où le son est préexistant, l’animation nécessite de tout créer. Un travail conséquent a été fait pour rendre compte de la richesse sonore de l’Iran. J’ai demandé à un ingénieur du son iranien de partir enregistrer des ambiances dans le sud du pays. Ensuite, nous avons effectué un travail de bruitage et d’habillage son.

La Sirène a reçu le prix de la meilleure musique originale à Annecy, comment a-t-elle été créée ?

La musique occupe une place importante dans le film. J’ai demandé au musicien de jazz franco-suisse Erik Truffaz d’intégrer des instruments iraniens dans sa partition musicale, comme le dammam, un tambour à deux faces que l’on entend beaucoup dans le sud de l’Iran. Un instrument à la fois de deuil et de célébration. J’ai choisi de faire ajouter à la musique originale du film des chansons d’artistes iraniennes populaires de l’époque telles que Elaheh [ndlr : qui a inspiré l’un des personnages du film], Hayedeh ou Sousan, mais aussi de la musique grecque, de la musique ethnique… J’ai souhaité faire cohabiter différentes sonorités pour rendre compte de la complexité de l’Iran et du caractère cosmopolite d’Abadan, une ville qui abrite différentes ethnies, cultures et communautés.

LA SIRÈNE

L'affiche du film Les Films d'ici
Réalisatrice : Sepideh Farsi
Scénariste : Javad Djavahery
Directeur artistique : Zaven Najjar
Compositeur : Erik Truffaz
Production déléguée : Sébastien Onomo (Les Films d’ici)
Productions étrangères : Katuh Studio (Allemagne), Bac Cinéma (Luxembourg), Lunanime (Belgique)
Distribution : BAC Films. Sortie en salles : le 28 juin 2023

Soutiens du CNC : Aide au développement d'œuvres cinématographiques de longue durée, Aide aux techniques d'animation (pilote et production), Avance sur recettes avant réalisation, Aide au développement et à la coproduction de projets cinématographiques franco-allemands