« Passion simple », du livre d’Annie Ernaux au film de Danielle Arbid

« Passion simple », du livre d’Annie Ernaux au film de Danielle Arbid

09 août 2021
Cinéma
"Passion simple" de Danielle Arbid Magali Bragard
La réalisatrice d’Un homme perdu porte à l’écran le récit intime d’Annie Ernaux, publié en 1992. Elle nous explique le pourquoi et le comment de cette adaptation.

Quand avez-vous découvert Passion simple d’Annie Ernaux ?

Au départ, c’est d’abord son visage qui m’a marquée. Quand son livre est sorti, en 1992, ce visage à la Lady Diana d’une femme belle, triste et mystérieuse sur une affiche m’avait happée. Mais je n’ai lu Passion simple que bien plus tard, en 2007, en tombant dessus dans une librairie. Et ce fut un choc ! Je l’ai gardé dans mes poches pendant des années et je l’offrais à tous mes amis qui tombaient amoureux.

C’est à ce moment-là qu’est né votre désir de le porter à l’écran ?

Non. Je sortais d’Un homme perdu et je n’en avais pas spécialement envie. Surtout parce qu’il me paraissait totalement inadaptable. Et puis, des années plus tard, en 2014, un producteur m’a approchée en me proposant d’adapter un livre de mon choix. Il m’a expliqué qu’il aimait la façon dont je filmais les corps et souhaitait que le livre parle de sexualité. Pendant presque un an, j’ai cherché une histoire d’amour et de sexe, en vain. Je tombais sur des œuvres où le sexe est traité de manière sadienne, des livres où l’amour est censé être pur et les scènes de sexe, par ricochet, elliptiques, ou alors des histoires purement adultérines.

Le trio amoureux ne m’intéressait pas, je recherchais une histoire entre deux personnes. C’est là que Passion simple a ressurgi. Soudain, ça ne pouvait être que lui, malgré la difficulté à s’en emparer.

Comment a réagi Annie Ernaux ?

Avant de me lancer, il fallait évidemment poser une option sur les droits de son livre. Elle a demandé à voir mes films, plus spécialement Dans les champs de bataille et Un homme perdu. Et elle m’a envoyé un sublime mail sur Un homme perdu, qui avait été rejeté à sa sortie. J’ai beaucoup aimé qu’elle ait adoré ce film-là. Cela signifiait qu’on parlait la même langue, qu’on pouvait échanger. Que, même si je m’en doutais, le côté subversif ne lui faisait pas peur. Elle m’a aussi demandé si j’étais vraiment sûre de vouloir adapter Passion simple, car elle m’a rappelé combien ce livre avait été majoritairement rejeté par la critique à sa sortie. Elle m’a même envoyé une revue de presse pour que je puisse choisir en conscience ! (Rires.) Et quelle violence ! Des femmes critiques expliquaient que jamais elles ne feraient lire Passion simple à leurs enfants, le traitaient de livre de soumission et méprisaient cette femme qui, selon elles, ne faisait que passer ses après-midi au lit. Et c’est précisément en lisant ces mots-là que s’est renforcée mon envie de l’adapter ! Avec la certitude qu’on ferait, au final, exactement les mêmes reproches à mon film. Et puis j’ai adoré notre rencontre. Sa fantaisie. Sa timidité. Sa fébrilité.

Elle m’a tout de suite dit qu’elle n’interviendrait pas dans l’adaptation. Ce fut pour moi le feu vert définitif. Sinon j’aurais renoncé. Car Annie Ernaux n’a pas juste écrit cette histoire, elle l’a vécue. M’en emparer aurait alors été impossible.

Pour moi, la grandeur de ce livre tient dans le fait qu’il peut être donné à d’autres. Annie Ernaux vous laisse la place, elle se prend comme un exemple pour aller vers le lecteur. C’est pour cela que j’ai aussi mis de mon histoire dans cette adaptation. Et j’espère que les spectateurs y mettront aussi la leur. C’est en tout cas mon ambition.

Comment avez-vous travaillé à cette adaptation ?

J’ai pris ce livre comme un appartement vide qu’il fallait meubler. J’ai d’emblée décidé de situer son action de nos jours au lieu de rester dans les années 90. Pour en faire une histoire contemporaine et universelle. Avec l’idée qu’avec le téléphone portable, cette femme peut attendre son amant partout et non pas juste chez elle. À partir de là, je me suis battue pendant des années pour que le projet puisse voir le jour. Le rejet était basé sur deux grandes idées. D’abord l’impression chez mes interlocuteurs qu’il n’y avait pas le début du commencement d’un scénario et qu’il ne se passait rien. Ensuite, l’idée qu’Annie Ernaux était de toute manière inadaptable.

On se demandait comment je pouvais me permettre de m’attaquer à un tel monument. Ce furent quatre années de traversée du désert avant que Passion simple ne prenne vie.

Le trait majeur de votre adaptation est de montrer à l’écran les scènes de sexe entre les deux amants qui ne figuraient pas dans le livre. Pourquoi ce choix ?

Je voulais filmer le « tomber en amour » de cette femme. Le passage d’un simple « coup sexuel » à une passion qui va devenir toxique, puis à une maladie dont elle va tenter de se sortir comme une réhabilitation d’elle-même. Ce mouvement-là était évidemment présent dans le livre, mais je voulais l’accentuer par les images pour que le spectateur puisse comprendre pourquoi elle attend. À partir de là, montrer les scènes de sexe est devenu une évidence alors que dans son livre, en effet, Annie Ernaux les ellipse avant de les reprendre dix ans plus tard dans Se perdre où elle en fait le catalogue. Mais je ne me suis pas du tout inspirée de Se perdre.

Je voulais faire exister ces scènes en les inventant. J’ai vraiment pris le livre de manière très libre et je ne remercierai jamais assez Annie Ernaux de me l’avoir permis. Chaque scène de sexe est différente de la précédente pour montrer l’évolution du rapport entre ces deux amants. Et comment cette femme est peu à peu envahie par cet homme. Ces scènes étaient extrêmement détaillées dans le scénario. Les gestes étaient décrits avec précision.

Il fallait donc des interprètes qui respectent à la lettre le script. Comment avez-vous choisi vos comédiens pour que votre récit prenne corps à l’écran ?

J’ai mis du temps à les trouver. Mais Laetitia Dosch et Sergueï Poulounine sont un cadeau du ciel. Elle, par ses spectacles, et lui, par son métier de danseur de ballet, ont pour habitude de jouer avec leurs corps. Ce sont aussi deux personnes un peu punks, libres, indépendantes, intelligentes. Ce qu’ils montrent, à travers leur nudité, n’est rien par rapport à qui ils sont. Ils en ont parfaitement conscience et c’est ce qu’il fallait absolument pour ces rôles. Ensuite, sur le plateau, je ne suis jamais voyeuse car mon but est de me mettre à la place des personnages. Et dès que je sens que ce n’est pas le cas, je coupe et je recommence différemment.

Réalisé et scénarisé par Danielle Arbid, d’après l’ouvrage de Annie Ernaux (© Gallimard, 1992), Passion simple a été produit par David Thion et Philippe Martin (Les Films Pelléas) et coproduit par Jacques-Henri Bronckart (Versus production). Un film également en coproduction avec Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et Proximus. Il a bénéficié de l’avance sur recettes après réalisation et l’aide au développement de projets de long métrage du CNC.

Passion simple 

Date de sortie en salles : 11 août 2021
Année : 2020
Durée : 1h39
Réalisateur : Danielle Arbid
Scénaristes : Danielle Arbid, d'après l'ouvrage de d'Annie Ernaux 
Producteurs : Les Films Pelléas, Versus production
Distributeur : Pyramide Films
Avec : Laetitia Dosch, Sergei Polunin, Lou-Teymour Thion, Caroline Ducey
Genres : Drame, Romance 
Nationalités : France, Belgique, Liban 

Aides obtenues auprès du CNC :  Aide sélective à la distribution (aide au programme)Aide au développementAvance sur recette après réalisation