Perrine Michel : "Je conçois le cinéma comme un art multiple"

Perrine Michel : "Je conçois le cinéma comme un art multiple"

13 octobre 2020
Cinéma
Les Equilibristes
Les Equilibristes La Chambre aux fresques - Hors saison
La réalisatrice du documentaire Les Equilibristes évoque son travail de cinéaste et de plasticienne, conditionné ici par la fin de vie de sa mère. Un film en forme de catharsis.

Il y a deux films dans Les Equilibristes : d’abord un pur documentaire consacré à une unité de soins palliatifs avec son personnel soignant confronté à un quotidien difficile ; et puis, la captation d’une création scénique sur laquelle se pose la voix de la réalisatrice - une voix issue de conversations téléphoniques avec sa mère malade. Perrine Michel, qui se met en scène dans la partie “expression corporelle”, nous explique la nécessité de ses choix radicaux pour ce projet atypique qui a pris cinq ans de sa vie.

Votre film est un collage de plusieurs formes : celles du documentaire, de l’installation et du journal intime. Cela vous est-il venu naturellement ?

Ce n’est pas la première fois que j’opère comme ça : c’était déjà le cas dans Lame de fond, mon précédent documentaire. Je conçois le cinéma comme un art multiple. En fonction du sujet que je traite, je cherche des formes adéquates. Ici, les choses ont été longues à dessiner. À l’origine, je devais réaliser un simple documentaire sur une unité de soins palliatifs. Puis, en cours d’écriture, ma mère est tombée malade. La concomitance des deux événements était vertigineuse. En réponse à ce choc, j’ai multiplié les heures de cours que je suivais au Théâtre du Mouvement où la créatrice Claire Heggen a développé une nouvelle discipline qui se situe entre le théâtre et la danse. J’ai pu tenir grâce à ma pratique de cette forme d’expression corporelle qui est un bon antidépresseur et qui m’a permis de reprendre pied. L’idée de filmer des corps en mouvement a cheminé de cette pratique.

Le film a deux couleurs distinctes, celle de l’hôpital où s’exprime librement le personnel soignant et celle de la scène où vous “dansez” avec vos partenaires sur le son de votre voix off. Comment avez-vous particulièrement pensé ce travail plastique sur la voix et le mouvement ?

Quand j’ai appris que ma mère était malade, j’ai intuitivement enregistré toutes nos conversations téléphoniques en ne conservant que le son de ma voix. J’en ai ressenti l’urgence. C’était un choix délibéré de cinéaste qui a pu, inconsciemment, accompagner des émotions. Quand ma mère est morte, en 2015, je ne savais pas ce que j’allais faire de ce matériau que je n’ai pu réécouter qu’un ou deux ans plus tard, je ne sais plus trop… Ce faisant, il m’a paru évident de mettre en scène des corps en mouvements à partir de mes enregistrements. Quand j’en ai parlé aux producteurs, ils n’ont pas hésité malgré le surcoût que l’installation représentait.

Qui a conçu les différentes chorégraphies ?

Ce ne sont pas des chorégraphies mais des improvisations, nées de mon travail auprès de Claire Heggen, qui apparaît d’ailleurs à l’écran. C’est un travail d’équipe où nous procédions par questions. Comment rentrer et sortir de la scène, par exemple ? Chacun d’entre nous donnait son avis. En amont, j’avais fait écouter des morceaux de mes conversations à toute l’équipe, morceaux qui ont nourri notre imaginaire. Tout a ensuite été un gros travail de montage, à partir des quarante heures d’enregistrement et des trente heures de création scénique !

La scène sur laquelle vous évoluez est très simple, très dépouillée. Elle s’apparente à un carré de lumière qui joue sur le contraste. Quelle en est la signification ?

Le terme “carré de lumière” est très juste, c’est même celui que j’employais ! Le but était que la caméra puisse tourner autour des danseurs -que j’appelle des “mouvementistes”- à 360°, sans décor apparent derrière. Les corps devaient avoir trois existences différentes en fonction de leur placement et de l’éclairage : en pleine lumière au milieu, un peu dans l’obscurité sur les bords, entre la pénombre et la lumière. Chacune de ces existences est une allégorie de la vie, de la mort et de cet entre-deux où évoluent l’accompagnant et le malade.

On sait que l’expression corporelle a quelque chose de libérateur. Mais filmer cette expression, avec ce que cela suppose de préparation, de répétitions et de ratés, n’en altère-t-il pas l’efficacité cathartique ?

Le tournage n’était pas cathartique pour moi- il l’a été éventuellement après coup. On ne pense pas, sur le moment, au bien que cela peut nous faire, on est focalisé sur la fabrication du film, sur l’instant présent.

Il y a un gros travail sur la texture, je pense à ces gros plans de peau et de veines qui battent. Sur le son aussi, avec le souffle très audible des danseurs. C’est un film sur la mort mais vous choisissez de montrer la vie.

Cela me fait plaisir d’entendre ça ! (rires) C’est vraiment la philosophie qui ressort de mon expérience dans les unités de soins palliatifs où les accompagnants tentent, jusqu’au bout, d’insuffler de la vie chez les patients.

Les Equlibristes, qui sort ce mercredi 14 octobre, a reçu le Soutien au Scénario (aide à l'écriture), Aide au développement renforcé FAIA Documentaire du CNC.