« Tant que le soleil frappe » : un film qui « questionne la différence entre l’obstination et la ténacité »

« Tant que le soleil frappe » : un film qui « questionne la différence entre l’obstination et la ténacité »

10 février 2023
Cinéma
Swann Arlaud dans « Tant que le soleil frappe ».
Swann Arlaud dans « Tant que le soleil frappe ». Pyramide Distribution

Avec une filmographie déjà éclectique d’acteur, de scénariste et de réalisateur de courts métrages, Philippe Petit signe ici son premier long métrage. Un drame écologique qui se focalise sur la gentrification d’un quartier marseillais et sur un idéal à atteindre : se réapproprier l’espace urbain en restituant à la nature la place qui lui revient. Le tout porté par un paysagiste qui rêve de symbiose entre ville et végétal. Entretien.


Comment est née l’idée de Tant que le soleil frappe ?

Elle m’est venue au tout début de ma carrière quand j’ai tourné mon premier court métrage Primes de Match comme projet de fin d’études. J’y avais créé le personnage de Max : un homme qui faisait des ravalements de façades dans une rue de Toulouse et qui avait déjà un idéal dans la tête. J’avais une licence de géographie en poche, donc je voulais mettre Max en rapport avec la question de la nature. Je suis un urbain – j’ai grandi en ville à Toulouse – et j’ai rapidement voulu exercer un métier qui questionne le rapport entre la végétation et l’urbanisme. Des années plus tard, lorsque j’ai vu la manière dont évoluait l’aménagement des territoires dans les centres urbains et l’importance que prenait la végétalisation dans nos villes, j’ai eu envie de revenir sur cette problématique-là, mais de manière différente. C’est ainsi qu’est né Tant que le soleil frappe.

Comment avez-vous vécu ce passage du court métrage au long ?

J’ai fait des courts et des moyens métrages, mais également un long métrage documentaire sorti en salle [Danger Dave, ndlr]. J’ai pas mal d’expériences également comme comédien, donc tout ça s’est fait progressivement, dans une relative continuité. Avec Tant que le soleil frappe, c’est la première fois que j’ai eu une grosse équipe avec un vrai budget. C’était particulièrement appréciable d’avoir les moyens de travailler, d’avoir du temps, ainsi que cette possibilité de questionner la grammaire du cinéma de manière plus professionnelle.

Quand j’ai eu l’idée du film, j’ai déposé un dossier à la Villa Médicis […] J’ai eu la résidence et je suis parti à Rome un an avec mes filles et ma compagne. J’y ai commencé l’écriture de Tant que le soleil frappe et j’en ai aussi profité pour faire un court métrage de repérage du film...

Vous l’évoquiez, vous avez une vraie carrière de comédien. Vous considérez-vous plutôt comme un acteur qui réalise des films ou comme un réalisateur qui fait l’acteur ?

Je suis résolument un réalisateur qui joue dans des films. J’ai fait des études de réalisation, j’ai commencé à réaliser et c’est en jouant dans mes propres courts métrages que j’ai entamé ma carrière d’acteur. La première personne pour laquelle j’ai joué, en sortant de l’école, c’était Quentin Dupieux. Il m’a donné des rôles dans ses courts métrages au moment où je faisais les miens. Mais mon métier de formation reste celui de réalisateur.

En 2016, vous entrez en résidence à la Villa Médicis. Comment avez-vous intégré cette prestigieuse institution et que vous a apporté cette expérience ?

Quand j’ai eu l’idée de Tant que le soleil frappe, j’ai déposé un dossier à la Villa Médicis – en l’occurrence un synopsis, une note d’intention et un dossier artistique sur mes films précédents. Je me souviens que j’étais au festival de Brive quand j’ai appris que j’avais passé la première sélection. On était quatre à l’oral, il n’y avait qu’une place. On avait une dizaine de minutes pour convaincre, beaucoup de pression, mais j’étais assez relâché, très clair dans mes idées. Du coup c’est passé, j’ai eu la résidence et je suis parti à Rome un an avec mes filles et ma compagne. J’y ai commencé l’écriture de Tant que le soleil frappe et j’en ai aussi profité pour faire un court métrage de repérage du film, à l’époque où je pensais le tourner à Rome et où je voulais interpréter moi-même le personnage de Max. Ce court s’appelle Antérieur et sera d’ailleurs dans le bonus du DVD.

 

Donc l’idée initiale était de tourner à Rome…

Oui. Rome était au départ un choix idéal, car je voulais une ville ensoleillée, méditerranéenne, pour que le personnage soit en quelque sorte exilé. Mais mon retour en France a coïncidé avec la crise du Covid-19, qui a compliqué le financement du film. La production m’a demandé de rapatrier le projet en France.

Pourquoi avoir finalement choisi Marseille ?

Initialement, je ne voulais pas que la ville puisse être identifiée. J’avais en tête l’idée d’une métropole méditerranéenne un peu vague. J’avais pensé à Perpignan, Toulouse, et Marseille. Une fois qu’on a eu le financement de la région PACA, ça nous a orientés vers ce choix définitif. Marseille s’est vite imposée comme une évidence car elle avait une végétation luxuriante et variée. J’étais convaincu que j’allais y dénicher la petite place délaissée du projet de Max. Ce fut le cas, puisqu’on a trouvé un terrain vers la gare qui correspondait assez bien à l’idée que je m’en étais faite.

Quelles furent les difficultés rencontrées et que vous n’aviez pas forcément imaginées en vous lançant dans l’aventure du premier long ?

Disons qu’il a fallu chercher un peu plus d’argent, ce qui veut dire préparer les choses différemment : écrire davantage pour les institutions, aller chercher des comédiens plus connus pour travailler avec des gens qui ont plus d’expériences. Avoir un budget important mais tout de même circonscrit signifie également que le tournage sera un peu plus long mais qu’on ne pourra pas dépasser. La postproduction est beaucoup plus encadrée, il y a un plan de travail très précis et il ne faut pas prendre de retard. Le but étant de pouvoir rendre une copie qui ne soit pas trop éloignée de ce que les gens qui vous accompagnent attendaient. C’est de ce point de vue-là que les enjeux diffèrent.

Initialement, je ne voulais pas que la ville puisse être identifiée. J’avais en tête l’idée d’une métropole méditerranéenne un peu vague […] Marseille s’est vite imposée comme une évidence car elle avait une végétation luxuriante et variée.

On a parfois l’impression d’être face à un documentaire. C’était intentionnel ?

Oui absolument. D’ailleurs dans le film, certains comédiens ne sont pas réellement des professionnels. Michel, le responsable du parc qui engage Max, est vraiment le chef jardinier du parc en question ; Djibril Cissé joue son propre rôle ; certains des jeunes viennent réellement du quartier. C’est une sorte de casting sauvage. J’ai toujours aimé jouer sur différentes tonalités, avoir des gens qui ne sont pas sur les mêmes registres. Et j’aime cette possibilité de faire apparaître le réel pour pouvoir cautionner le fictionnel.

Le thème central du film, c’est donc la réappropriation de l’espace urbain, un sujet qu’on retrouve dans toute votre filmographie…

J’ai toujours été quelqu’un qui questionne le domaine public, et en l’occurrence la rue. Qu’est-ce qu’on y fait ? À qui appartient-elle ? Comment la modeler ? Comment se l’approprier ? J’ai grandi dans le Sud, où l’on vit beaucoup dehors. Il fait chaud et les gamins sont plus souvent à l’extérieur, avec leurs vélos et leurs skates, que dans les appartements. J’ai beaucoup arpenté la ville avec mes amis et c’est sans doute à cette occasion que je me suis passionné pour les endroits où l’on peut se retrouver. C’est une idée un peu italienne, comme dans les films de Pasolini. Dans Accattone il y a ces vieux messieurs sur les places avec leur chaise. C’est comme un prolongement de leur appartement sur le trottoir. Ils participent à la vie citadine. Ça m’a toujours interpellé.

Pour Max, cette réappropriation se manifeste par l’idée de restituer à la nature la place qui lui revient, notamment par un jardin sans clôture. On a du mal à savoir si c’est un idéaliste ou un ambitieux…

Pour moi, il est plutôt ambitieux. Il a une part d’idéalisme, c’est certain, notamment dans la manière dont il envisage la société : cette idée de partage, d’être ensemble dans une sorte de fête permanente. Mais ça devrait être la norme. On devrait pouvoir y arriver et si c’est perçu comme idéaliste c’est qu’il y a un problème…

Aux États-Unis, il y a cette idée de landscaper – architecte du paysage. Mais en France ce n’est pas aussi clair. Il y avait donc une forme de responsabilité à parler d’un métier méconnu avec des enjeux encore très peu développés. Et un certain plaisir aussi.

Paradoxalement, en voulant faire aboutir son projet, Max finit par ne plus être conscient du monde qui l’entoure…

Max est habité par son projet, et quand on est passionné on a tendance à négliger sa vie personnelle, sa famille. Max a de plus une sorte de contrat moral vis-à-vis des habitants. C’est comme s’il avait une charrette qu’il tirait depuis trop longtemps. Au fond, je crois que Tant que le soleil frappe questionne la différence entre l’obstination et la ténacité.

Et parler de paysagisme et d’urbanisme au cinéma, ça nécessite de l’obstination ou de la ténacité ?

Ah ah ah ! En tout cas, ça a rendu le projet assez compliqué à défendre. Le métier de paysagiste n’est pas très connu. Aux États-Unis, il y a cette idée de landscaper – architecte du paysage. Mais en France ce n’est pas aussi clair. Il y avait donc une forme de responsabilité à parler d’un métier méconnu avec des enjeux encore très peu développés. Et un certain plaisir aussi. C’est un peu à l’image de certaines mairies : il n’y a pas tant de jardins que ça dans les municipalités. On a beau dire qu’on a besoin de vert, la seule solution qu’on trouve, c’est souvent de planter des arbres. Alors, oui, les mairies ont des problèmes d’argent et il y a la pression immobilière, mais on pourrait imaginer des créations de jardins avec des participations citoyennes. Mais ce n’est pas une priorité. Et ça illustre assez bien la manière dont le projet a été reçu. On y est malgré tout arrivé et on est content d’avoir donné de la visibilité à un sujet essentiel. On se bat toujours sur des termes politiques assez explicites comme l’écologie ou le réchauffement climatique, alors qu’ici, c’est concret : on parle de la manière dont on peut redonner accès à la végétation.

Tant que le soleil frappe

Réalisation et scénario : Philippe Petit
Adaptation et dialogues : Philippe Petit et Marcia Romano, avec la collaboration de Laurette Polmanss et Mathieu Robin
Production : Envie de Tempête Productions, Pyramide
Distribution et ventes internationales : Pyramide
Sortie en salles : 8 février 2023

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