« Que ma volonté soit faite » : Julia Kowalski, du court au long métrage

« Que ma volonté soit faite » : Julia Kowalski, du court au long métrage

08 décembre 2025
Cinéma
« Que ma volonté soit faite » réalisé par Julia Kowalski
« Que ma volonté soit faite » réalisé par Julia Kowalski Grande Ourse Films

Avec ce premier long, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes 2025, la réalisatrice française prolonge les thématiques de son précédent film, le court J’ai vu le visage du diable, Grand Prix au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 2024 et Prix Jean Vigo du court métrage 2023, et sonde le trouble d’une jeune fille possédée par des forces surnaturelles. Entretien.


Quelle a été la chronologie de la production de Que ma volonté soit faite ?

Julia Kowalski : J’ai réalisé mon premier long métrage Crache cœur en 2015, présenté à l’ACID à Cannes un an plus tard. Dans la foulée de sa sortie en salles, j’ai commencé à développer ce qui allait devenir Que ma volonté soit faite. J’étais alors soutenue par la société de production Les Films de Françoise. Nous avions un distributeur et l’aide de Canal+ ; un casting était en cours. Tout était prêt. Nous étions en 2020, le Covid est arrivé, le tournage a été annulé et la structure de production a fermé. La société de Manuel Chiche, Joker Films, a pris le relais. Nous avons travaillé ensemble durant un an et demi, sans parvenir à trouver le budget que mon producteur jugeait nécessaire. C’est là qu’est né J’ai vu le visage du diable, un projet directement lié à Que ma volonté soit faite, une sorte de travail préparatoire. Après toutes ces années, j’avais un besoin viscéral de tourner. Venin Films, la société cocréée par Yann Gonzalez et Flavien Giorda, m’a alors soutenue et incitée à me lancer sur ce long métrage.

Nous avons tourné rapidement, avec la même configuration que J’ai vu le visage du diable : une petite équipe, du 16 mm, une porosité volontaire entre fiction et réel…

Outre la thématique de la possession déjà en germe, on retrouve dans J’ai vu le visage du diable vos deux interprètes de Que ma volonté soit faite : Maria Wróbel et Wojciech Skibinski…

À l’origine, J’ai vu le visage du diable devait être un documentaire sur l’exorcisme en Pologne, mon pays d’origine. Mais la hiérarchie ecclésiastique nous a refusé l’accès aux vrais exorcismes. Le projet est donc devenu un docufiction avec deux acteurs professionnels – Maria et Wojciech – entourés de non-professionnels, le tout filmé dans les vrais lieux que nous avions découverts lors de notre enquête. Le résultat est finalement assez proche de ce que je voulais faire en documentaire : une mise en scène très travaillée, des cadres, des zooms, la nature. J’ai vu le visage du diable a reçu le Grand Prix au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand et le Prix Jean Vigo du court métrage… Ce succès a considérablement facilité le financement de Que ma volonté soit faite.

Aux côtés de Venin Films, on retrouve Estelle Robin You (Grande Ourse Films) comme productrice déléguée du film.

Estelle avait produit mes premiers documentaires il y a vingt ans. Nous avons formé une sorte de consortium de producteurs intrépides ! (Rires.) Le budget est très relatif. Il avoisine le million d’euros. Nous avons tourné rapidement, avec la même configuration que J’ai vu le visage du diable : une petite équipe, du 16 mm, une porosité volontaire entre fiction et réel… Maria et Wojciech m’ont suivie, aux côtés d’acteurs professionnels mais aussi des habitants de l’endroit où nous tournions, principalement des agriculteurs.

Au-delà du thème de la possession, qu’est-ce qui a inspiré l’histoire de cette jeune fille qui essaie d’appréhender ses désirs ?

Le film raconte l’itinéraire de Nawojka, convaincue, en effet, d’être possédée par le fantôme de sa mère. C’est une traduction fictionnelle de mon lien avec ma propre mère. Je cherchais à explorer cette relation. Ma mère était une très belle femme qui me fascinait. Elle était mystérieuse, intelligente, mais le modèle de féminité qu’elle me renvoyait me semblait totalement étranger. J’avais l’impression que nous n’étions pas de la même espèce. De ce rapport particulier est né le personnage principal. Lorsque j’ai commencé à écrire le film, ma mère, décédée en 2020, était encore vivante.

 

Le surnaturel est-il venu naturellement ?

Adolescente, j’ai pratiqué la sorcellerie. J’ai été initiée par une sorcière à des rituels auxquels je participais quand j’étais au lycée à Nantes. C’était une manière de chercher ma place, de définir mon identité, ma féminité… même si je ne formulais pas les choses ainsi à l’époque. Ma famille originaire de Pologne était un peu chaotique, nous déménagions souvent, mes parents n’étaient pas très stables… La sorcellerie m’a servi de terrain d’exploration.

À quel moment avez-vous décidé d’intégrer cette initiation dans votre travail de cinéaste ?

Lors de mes recherches sur l’exorcisme, j’ai découvert le travail de la chercheuse Jeanne Favret-Saada, anthropologue au CNRS. Elle a enquêté pendant vingt ans sur les croyances en sorcellerie dans le bocage mayennais. Elle parle notamment des « gelées », ces masses gélatineuses qu’on trouvait dans les champs. Certains disaient que des sorcières les déposaient pour nuire aux fermiers voisins. Je me suis aussi inspirée d’autres rituels qu’elle a documentés. Les livres qu’elle cite (Le Grand et le Petit Albert, Dragon rouge) sont précisément ceux utilisés par la sorcière qui m’a initiée adolescente. La boucle s’est donc bouclée vingt ans plus tard.

Le film est composé de boue, de chair, de sang… Le 16 mm restitue à l’image ces textures de manière incomparable.

Que ma volonté soit faite a-t-il été tourné ?

En Vendée, près de Saint-Florent-des-Bois, dans le hameau de La Rabotière. Pour trouver la ferme qui correspondait le mieux à mon histoire, j’en ai visité soixante-trois. Celle du film avait quelque chose de hors du temps, un vrai décor de western avec une atmosphère étrange. La Région des Pays de la Loire nous a immédiatement soutenus, ce qui facilitait les choses. De plus, le bocage étudié par Favret-Saada ne se trouvait pas si loin.

Pourquoi avoir tourné en pellicule 16 mm ?

Pour la matière. Le film est composé de boue, de chair, de sang, de glaires… Le 16 mm restitue à l’image ces textures de manière incomparable. Le grain donne un aspect très organique. Il y a aussi la part de surprise liée à la pellicule puisqu’on ne voit jamais exactement ce qui s’imprime. Cette « surprise » correspondait parfaitement au projet. Enfin, le 16 mm renvoie aux vieux documentaires. Or pour moi, le fantastique naît du réel. Ce qui me terrifie le plus, c’est l’humain, pas les fantômes. Il me fallait donc une base ultraréaliste, presque froide, pour que l’horreur puisse émerger.

Pourquoi ne pas avoir tourné en Pologne ?

C’est amusant : en France, on dit que ça ressemble à la Pologne, et en Pologne on dit que ça ressemble à la France. C’est exactement ce que je voulais : un village qui n’existe pas. Quelque chose de réel par ses matières mais métaphorique par son existence. Je voulais éviter de stigmatiser la campagne française ou polonaise : le lieu est un souvenir, un fantasme, un cauchemar.

L’idée était d’avoir une première partie assez concrète, presque ordinaire, puis d’aller vers quelque chose de plus libre, onirique, métaphorique. C’est le grand mouvement du montage : du réalisme vers l’abstraction.

La musique est composée par votre frère, Daniel Kowalski. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Nous nous connaissons par cœur, ça facilite tout. L’idée était de donner à la musique une vraie place, elle ne devait pas simplement illustrer certaines séquences. Soit elle est là pleinement, soit elle n’y est pas ! Nous voulions également éviter tout misérabilisme sonore. Mon frère a une patte très forte, un style grunge, brut, qui convenait parfaitement à l’ambiance du film.

Roxane Mesquida incarne un personnage mystérieux qui revient au village marqué par un lourd passé. Comment avez-vous travaillé avec elle ?

Je lui citais Clint Eastwood dans L’Homme des hautes plaines pour sa façon de marcher, de fumer, de regarder, toujours prêt à dégainer. Sandra, qu’incarne Roxane, devait être une femme fatale mais pas une bimbo : quelque chose de masculin, de cow-boy donc.

Le montage a-t-il été une étape cruciale ?

Le tournage n’a duré que vingt-cinq jours, c’était très intense. Nous n’avions pas beaucoup de rushes. Notre principal travail a été d’élaguer tout ce qui était trop explicatif. Nous avons retiré des dialogues qui détaillaient trop le passé de Sandra, par exemple. Nous avons préféré garder une vraie zone de mystère autour d’elle. L’idée était d’avoir une première partie assez concrète, presque ordinaire, puis d’aller vers quelque chose de plus libre, onirique, métaphorique. C’est le grand mouvement du montage : du réalisme vers l’abstraction. Même si certains spectateurs ne comprennent pas chaque détail, ils reconstruisent eux-mêmes l’histoire. Il était essentiel que le public soit actif.
 

Que ma volonté soit faite

Affiche de « Que ma volonté soit faite »
Que ma volonté soit faite New Story

Scénario et réalisation : Julia Kowalski
Production : Estelle Robin You (Grande Ourse Films), Flavin Giorda et Yann Gonzalez (Venin Films)
Distribution : New Story
Ventes internationales : WTFilms
Sortie le 3 décembre 2025

Soutiens sélectifs du CNC :  Aide à la création de musiques originales, Aide au parcours d'auteur 2023, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025), Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée (2018), Fonds Images de la diversité (Aide à la production 2024)