« The Wild One » : lumière sur Jack Garfein, metteur en scène oublié

« The Wild One » : lumière sur Jack Garfein, metteur en scène oublié

« The Wild One » de Tessa-Louise Salomé.
« The Wild One » de Tessa-Louise Salomé. Petite Maison Production

Après Leos Carax, la documentariste Tessa-Louise Salomé s’est penchée sur le destin hors norme de Jack Garfein, survivant de la Shoah, cofondateur de l’Actor’s Studio West, découvreur de Steve McQueen et James Dean, réalisateur de deux longs métrages censurés par Hollywood. Elle nous raconte la genèse de ce documentaire percuté par la mort de Garfein, le 30 décembre 2019, à 89 ans.


Comment naît chez vous l’idée de consacrer un documentaire à Jack Garfein ?

Tessa Louise-Salomé : Tout part d’une rencontre avec Octavia Peissel, la productrice de Wes Anderson, alors que je commence à présenter mon documentaire Mr X, le cinéma de Leos Carax. Elle est franco-américaine, vit à Paris, me parle de Jack Garfein et de sa vie hors norme, me propose de le rencontrer et me le présente. Le rendez-vous a lieu en 2015, dans un petit restaurant chinois de New York. C’est là, dès nos premiers échanges, que naît l’envie de faire un film sur lui. Pour sa personnalité incroyable et le fait qu’il ait été rejeté par Hollywood [ses deux longs Demain seront les hommes (1957) et Au bout de la nuit (1961) ont été censurés – le premier pour son ambiance homosexuelle, le second pour le réalisme d’une scène de viol ndlr] C’était comme une sorte d’énigme que j’avais envie de résoudre, alors que je ne suis spécialiste ni de la Shoah, ni de Broadway, ni du Hollywood de ces années-là.

Comment commencez-vous à construire de ce documentaire ?

J’ai eu spontanément envie de rendre justice à cet homme. Il était donc évident qu’il allait s’agir d’un long métrage cinéma, où en termes de narration et plus largement de forme, j’allais avoir la liberté de tenter des choses, même si j’avais connu de formidables expériences avec Arte. J’avais envie que la forme de The Wild One épouse Jack Garfein et l’incroyable narrateur qu’il était, créant des ponts entre Hollywood et la Shoah, Garfein adulte et enfant. J’ai tout de suite su que le récit serait entremêlé, construit sur ces allers-retours. Mais mon premier travail, après ce premier rendez-vous, a été d’essayer de vérifier ce qu’il m’avait raconté, cette succession d’histoires toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Je me suis vite aperçu que tout ce qui pouvait me paraître improbable ou impossible semblait bel et bien vrai. Je décide cependant que mon film ne consistera pas à répondre à toutes les questions que l’on se pose sur Jack Garfein. Mais plutôt à vivre son histoire comme si l’on était dans sa tête.

Jack Garfein accepte-t-il tout de suite l’idée du documentaire ?

Ça a été plus ambivalent que ça. Certains de ses proches m’assurent qu’il avait toujours dit ne jamais vouloir que l’on fasse un film sur lui et que j’ai eu une chance. D’autres me certifient le contraire, qu’arrivé à la fin de sa vie, il avait envie de raconter son existence, de transmettre son histoire. En tout cas, je n’ai senti aucune résistance, aucune réticence. Tout de suite, en parallèle de mes recherches passionnantes, il a accepté que je le suive à New York, que je rencontre sa femme et le principe d’une interview-fleuve filmée.

J’ai eu spontanément envie de rendre justice à cet homme.

Cette interview, vous allez l’enregistrer dans le mythique studio allemand de Babelsberg. Pourquoi ce choix ?

Pour le déstabiliser positivement, et le remettre au centre de ses émotions dans ce lieu où ont été tournés tant de chefs-d’œuvre du septième art, dont Metropolis. Cet entretien a été passionnant même si – et grâce à cela aussi – le metteur en scène qu’il était a voulu essayer de diriger le film. J’ai ainsi accepté de tourner certains moments dont je savais pertinemment qu’ils ne se retrouveraient pas dans le montage final parce que je voyais qu’il n’en démordrait pas. En tout cas, mon intuition première de tourner à Babelsberg a été la bonne. Car au bout de ces neuf heures d’entretien, c’est lui qui me propose spontanément de l’accompagner dans le camp de concentration de Flossenbürg, en Bavière, où il avait été interné enfant. Je vais y filmer quelques séquences dont celle de fin qui symbolise le dialogue entre l’enfant qu’il était et l’adulte qu’il est devenu, et qui constitue la trame de tout le récit.

 

Vous commencez à monter cet entretien dans la foulée ?

Oui, en vue de monter un premier trailer pour le montrer à Willem Dafoe à qui je souhaite confier la narration du film en voix off.

Pourquoi avoir eu envie d’une voix off ?

Ce n’était pas dans mes habitudes jusque-là. Mais il se trouve que pendant l’entretien que Jack m’avait accordé, une fois la caméra coupée, il me confiait des choses extraordinaires. Je devais donc trouver une manière d’incorporer dans le documentaire cette quantité d’informations. D’où l’idée d’une narration en voix off, pour accompagner le récit.

[Pour les archives de la Shoah], j’avais une obsession : trouver des images dans les camps déserts. Je ne voulais pas montrer de gens errants, des corps. Ce qui m’intéressait c’était l’absence, les fantômes, l’invisible. Je trouvais que c’était beaucoup plus fort pour faire resurgir l’horreur.

Et pourquoi avoir fait appel à Willem Dafoe ?

Pendant le tournage de The Wild One, j’ai vu Sculpt, un film expérimental signé par un artiste contemporain, Loris Gréaud. Un long métrage de deux heures, assez fou, dans lequel Willem joue tout en en assurant la narration. Ça a été comme une révélation. Sa voix s’est mise à me hanter jour et nuit. Je lui ai donc proposé de le rencontrer et de lui montrer les premières images de mon film. J’ai senti que l’histoire de Jack le touchait. Il a accepté de faire la voix off du trailer qui allait servir à boucler le financement du projet en me disant qu’il donnerait son accord définitif pour le film une fois celui-ci terminé. Ce qu’il a fait.

The Wild One se nourrit aussi de nombreuses images d’archives sur Hollywood et Broadway dans les années 50 et 60 mais aussi de la Shoah. Comment les avez-vous sélectionnées ?

Il existe en fait peu de documents sur Jack et sa première épouse, l’actrice Carroll Baker. On a quasiment trouvé toutes ces archives au Nara [National Archives and Record Administration, ndlr], un musée de Washington. Jusqu’au jour où à cause du Covid, le Nara a fermé ses portes. On a donc dû attendre deux ans avant de récupérer ces images ! Quant aux archives de la Shoah, j’avais une obsession : trouver des images dans les camps déserts. Je ne voulais pas montrer de gens errants, des corps. Ce qui m’intéressait c’était l’absence, les fantômes, l’invisible. Je trouvais que c’était beaucoup plus fort pour faire resurgir l’horreur. Avec toutes ces recherches, je me suis même demandé un temps si je n’allais pas me lancer dans un diptyque. Face A : un documentaire. Face B : une fiction. Avant d’y renoncer. Mais j’ai malgré tout écrit un film qui n’est pas celui qui existe à l’arrivée. Notamment des séquences dans lesquelles je voulais demander à Jack de remonter une dernière fois sur la scène de l’Actor’s Studio pour diriger ses anciens élèves et les faire rejouer les séquences de leur formation. Sauf que le 30 décembre 2019, Jack décède. Et j’ai donc dû réinventer un autre film.

De quelle manière ?

En faisant de cette interview-fleuve de Babelsberg, prévue au départ comme une base de mes recherches, le cœur et la colonne vertébrale de mon récit.

Et quand sait-on qu’on est arrivé au bout de l’aventure ?

Je pense qu’on n’a jamais fini et je pourrais être encore en train de travailler sur The Wild One mais à un moment il faut savoir dire stop… pour réussir à faire d’autres films ! (Rires.)

THE WILD ONE

THE WILD ONE

Réalisation : Tessa Louise-Salomé
Scénario : Tessa Louise-Salomé, Sarah Contou-Terquem avec la collaboration d’Elizabeth Kamir Schub
Photographie : Boris Lévy
Montage : Simon Le Berre
Musique : Gaël Rakotondrabe
Production : Petite Maison Production
Distribution : New Story
Ventes internationales : The Party Film Sales
Sortie en salles le 10 mai 2023

Soutien du CNC : avance sur recettes après réalisation, aide à la création de musiques originales, soutien au scénario (aide à l'écriture), aide sélective à la distribution (aide au programme 2020)