Ugo Bienvenu : « En France on a la capacité de faire un grand film d’aventure animé »

Ugo Bienvenu : « En France on a la capacité de faire un grand film d’aventure animé »

15 octobre 2025
Cinéma
« Arco » réalisé par Ugo Bienvenu
« Arco » réalisé par Ugo Bienvenu Remembers - MountainA

Récompensé du Cristal du long métrage au dernier festival d’Annecy, Arco met en scène un garçon qui voyage dans le temps, de 2932 à 2075, où il est recueilli par une petite fille qui va tout faire pour qu’il puisse rentrer chez lui. Le réalisateur nous décrit le processus de fabrication de ce film coproduit par MountainA, la société de Natalie Portman et Sophie Mas.


Vous êtes l’auteur d’une dizaine de bandes dessinées, du court métrage L’Entretien – coréalisé par Félix de Givry – pour La Troisième Scène de l’Opéra Garnier, ou encore de 6 épisodes de la minisérie d’animation Ant-Man pour Marvel. L’idée d’un long métrage vous taraudait-elle depuis longtemps ?

Ugo Bienvenu : J’en avais eu envie il y a plusieurs années mais j’y avais renoncé. J’avais même écrit la BD Paiement accepté pour dire au revoir au cinéma et accepter le fait de ne jamais réaliser de long métrage car le processus me paraissait trop compliqué et trop long. Sauf que deux ans plus tard, à la sortie d’une autre de mes BD, Préférence système, une vingtaine de studios – dont Universal – m’ont contacté pour l’adaptation cinéma. La possibilité de faire un film s’est donc de nouveau présentée à moi, mais je n’avais aucune envie que ce soit Préférence système.

Pour quelle raison ?

Je voulais débuter avec une histoire originale. Ce qui prend forcément du temps. Pendant deux ans, j’ai commencé à réfléchir aux films qui m’avaient touché plus jeune. Et je me suis rendu compte que les vrais objets de fascination que je vois et revois régulièrement sont des dessins animés. Ça m’a conforté dans l’idée que ça valait le coup de passer cinq ans sur un long métrage, à jouer avec des formes qui impactent aussi profondément l’inconscient. Les films d’animation sont des objets de partage, encore plus, à mes yeux, que le cinéma en prises de vues réelles.

Les films d’animation sont des objets de partage, encore plus, à mes yeux, que le cinéma en prises de vues réelles.

Comment avez-vous fini par trouver l’intrigue d’Arco ?

Chez moi, tout se développe de manière hyper organique, sans étapes très lisibles. Je griffonne plein de choses sans penser forcément « long métrage » car je travaille sur différents projets en parallèle. Et puis un jour, pendant le confinement, j’ai dessiné la tête du personnage qui deviendra Arco sortant du ciel avec une traînée arc-en-ciel derrière lui. J’ai commencé à imaginer l’histoire d’un enfant arc-en-ciel rencontrant une fille, Iris, qui va l’aider à rentrer chez lui. Je l’ai envoyée à Félix de Givry, avec qui je m’étais lié d’amitié sur le plateau d’Eden de Mia Hansen-Løve, dans lequel on a tous les deux joué. J’avais alors une société d’animation et lui un label de musique. On s’est mis au travail immédiatement puis on s’est associés pour créer la société de production Remembers.

Comment avait-il réagi à votre idée ?

Quand je lui ai dit que ça pourrait faire un bon clip ou un court métrage, il a pensé immédiatement long métrage. Tout comme un autre de mes meilleurs amis, Arnaud Toulon, qui signe la musique. Leurs réactions m’ont donné beaucoup d’énergie. Mais je ne me sentais pas légitime. Je n’avais jamais écrit de scénario de long. Je suis donc parti en tête d’un coauteur. J’en ai rencontré plusieurs mais aucun ne me renvoyait des idées qui appartenaient à mon champ créatif. Aucun… sauf Félix ! Parce qu’il a clairement en tête que dans « dessin animé », il y a « dessin ». Il fallait donc me laisser dessiner pour rebondir ensuite en questionnant le dessin. Notre collaboration a été très fluide et efficace. Félix m’a poussé à enlever tout ce qu’il y avait de cynique dans mon travail et à rajouter des personnages d’enfants. Car c’est un domaine dans lequel il est très fort.

 

Devant Arco, on pense aussi bien à l’univers de Hayao Miyazaki qu’à celui de René Laloux ou encore à E.T. Est-ce que certains de ces films vous ont influencé ?

Tout ça tient plutôt de l’inconscient. De la même manière que quand je fais une BD, je ne lis pas de BD, quand je fais un film, je ne regarde pas de film. Par crainte justement de me laisser influencer ou de m’autocensurer si quelqu’un a eu une idée proche de l’une des miennes. Mais forcément, je suis fait des films et des mangas qui m’ont marqué. Dragon Ball Z m’a mis au dessin. C’est lorsque j’ai découvert Princesse Mononoké, à 14 ans, que j’ai su que je ferai de l’animation. Parmi mes « chocs », il y a des œuvres aussi diverses que Peter Pan, Jumanji, Casper, Quand Harry rencontre Sally – j’adore les comédies romantiques – les films d’aventure à la Indiana Jones… Avec Arco, j’ai essayé de m’amuser avec tous ces codes-là. D’ailleurs, au départ, avec Félix, on a longtemps peiné car on pensait réaliser un pur film de science-fiction. C’est quand on a compris qu’on faisait un film de fantasy, où la science-fiction n’est qu’un décor sur lequel se déploient aussi de la romcom et de l’aventure, que tout s’est débloqué. Arco navigue entre tous ces genres.

À quel moment et comment se fait la rencontre avec MountainA, la société de Sophie Mas et Natalie Portman, qui va coproduire Arco avec vous ?

Avec Félix, comme nous n’avions jamais produit de longs métrages, nous ne pouvions pas demander seuls l’Aide au développement du CNC. On nous avait conseillé de nous associer avec quelqu’un. On est allés voir plusieurs producteurs mais ça n’a pas fonctionné. On n’avait aucun plan B. On a alors décidé d’investir tout l’argent de la société – et le nôtre ! – pour fabriquer une animatique de quarante minutes, où l’on décompose au maximum les mouvements par des dessins en noir et blanc un peu brouillons mais qui permettent de mieux comprendre le film. On a investi 300 000 euros et ça a tout changé. Il se trouve que notre agent, Jamil Shamasdin, est aussi celui de Natalie Portman. Elle venait de créer MountainA avec Sophie Mas et était à la recherche de projets. Dès lors, tout a été très vite. Elles ont vu l’animatique et dès le lendemain, elles étaient partantes. C’est aussi grâce à cette animatique que nous ont rejoints la Fondation Gan, le CNC, puis Diaphana, notre distributeur, Goodfellas, notre vendeur international, Netflix et France Télévisions.

Vous avez entièrement créé Arco en France. Une évidence pour vous ?

Oui, c’était un élément essentiel ! Je l’avais déjà fait pour la minisérie d’animation Ant-Man. Avec Félix, on savait que cette décision de tout faire en France nous coûterait moins cher car on maîtriserait tout. Par ailleurs, comme je donne des cours, je sais qu’on a ici les meilleurs techniciens d’animation ! Avec Arco, je voulais qu’on puisse se dire qu’en France on a la capacité de faire un grand film d’aventure. Il faut protéger cet artisanat et ce savoir-faire qui est le nôtre, alors que plein de dangers menacent, à commencer par l’IA. Mais j’ai bien conscience que ça passe par un succès en salles pour pouvoir servir d’exemple.

La 2D est la technique qui m’émeut le plus, car elle passe entièrement par le corps du dessinateur dont on reconnaît la voix à travers le trait.

Le choix de l’animation en 2D, y compris dans une scène spectaculaire d’incendie qu’on imagine plutôt en 3D, était-il aussi présent dès le départ ?

Oui, parce que la 2D est la seule technique qui permet de véhiculer une réalité sensible. En tout cas c’est celle qui m’émeut le plus, car elle passe entièrement par le corps du dessinateur dont on reconnaît la voix à travers le trait. Or mon identité vient du dessin ; ma manière de raconter des histoires vient du dessin. J’ai un dessin identifiable. Et ce que je fais en 2D dans Arco a toujours été possible. Vous savez, la technologie peut aussi être une sorte de miroir aux alouettes. Choisir des solutions techniques conduit souvent à ce qu’une idée artistique finisse par ne générer que des problématiques techniques et qu’on s’ennuie à périr devant le résultat. Il ne faut jamais être prisonnier de la technique.

Votre film montre d’ailleurs que la technologie n’est ni bien ni mal en elle-même. Qu’elle dépend de ce qu’on en fait…

Mon rôle n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser. Mais de donner du plaisir dans un monde de plus en plus chaotique. Faire ce travail de divertissement ne m’empêche cependant pas de poser des questions, mais sans donner de réponses toutes faites et en laissant la place au spectateur de se faire son avis.

Comment vous avez construit l’univers musical d’Arco avec Arnaud Toulon ?

Arnaud a travaillé cinq ans sur ce film, et n’est donc pas, comme souvent, arrivé dans la dernière ligne droite. La vérité du film passe aussi par la musique. Je pense à une scène particulière où Arco essaye de sortir Iris de l’époque où elle vit et de l’emmener avec lui. On l’avait spontanément accompagnée par une musique victorieuse. Comme si c’était un soulagement. Mais ça ne marchait pas sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Et puis, une semaine avant l’enregistrement, Arnaud m’appelle et m’explique qu’il a trouvé la solution : la musique doit être dramatique. Parce que si Iris s’en va, si Iris fuit, le monde est foutu. Il n’y a plus de futur. Alors que si elle reste et se confronte au réel, la possibilité d’un monde meilleur reste entière. En creux, c’est ce qui dit le film : il faut supporter la réalité au lieu de fuir dans des lubies ou vers des mirages. Et c’est grâce à Arnaud que ça m’a sauté aux yeux.
 

ARCO

Affiche de « Arco »
Arco Diaphana

Réalisation : Ugo Bienvenu
Scénario : Ugo Bienvenu et Félix de Givry
Production : MountainA, Remembers
Distribution : Diaphana
Ventes internationales : Goodfellas Animation
Sortie le 22 octobre 2025

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