4 A 4 Productions : « Travailler avec Oliver Laxe, c’est du corps à corps »

4 A 4 Productions : « Travailler avec Oliver Laxe, c’est du corps à corps »

09 septembre 2025
Cinéma
« Sirat » réalisé par Oliver Laxe
« Sirat » réalisé par Oliver Laxe Pyramide

Via la société 4 A 4 Productions, Andrea Queralt et Mani Mortazavi ont supervisé la fabrication du nouveau film du cinéaste franco-espagnol Oliver Laxe, Prix du Jury lors du dernier Festival de Cannes. Entretien.


Quand avez-vous entendu parler pour la première fois d’Oliver Laxe ?

Andrea Queralt : J’ai rencontré Oliver quand il terminait son premier long métrage Vous êtes tous des capitaines (2010). C’était un film autoproduit avec l’aide de son frère. J’habitais alors à Barcelone où j’étais étudiante. Oliver faisait partie d’un groupe très soudé de cinéastes qui sont depuis devenus des amis et des collaborateurs, notamment Santiago Fillol, le coscénariste de tous les films d’Oliver depuis Mimosas, la voie de l’Atlas (2016), Mauro Herce, son chef opérateur ou encore Cristóbal Fernández au montage… Une vraie famille de cinéma. Je l’ai donc connu très jeune, je n’étais pas encore productrice. Notre rencontre n’avait rien de professionnel, il s’agissait plus d’une affinité humaine et artistique.

Mani Mortazavi : Andrea est venue en France il y a une dizaine d’années. Elle est d’abord entrée comme stagiaire chez 4 A 4 Productions avant de s’imposer très vite au sein de l’équipe. Peu de temps après, nous avons vu à la Semaine de la Critique Mimosas, la voie de l’Atlas, alors coproduit par Julie Gayet et Nadia Turincev en France, et le frère d’Oliver, Felipe Laxe, en Espagne. Le film était tourné au Maroc, avec un petit budget de 800 000 euros. C’était une production périlleuse, avec beaucoup de défis. Andrea et moi avons eu un vrai coup de cœur et notre rencontre avec Oliver fut élective. Nous parlions le même langage cinématographique, nous avions les mêmes aspirations. Nous nous sommes immédiatement dit : « Nous produirons son prochain film ! »

C’est la singularité du travail d’Oliver qui nous a plu. Il ne fallait surtout pas l’abîmer au nom d’une quelconque pression commerciale.
Andréa Queralt


Justement pouvez-vous nous parler de Viendra le feu, en 2019, tourné dans les montagnes de la Galice…

A.Q : Après Mimosas et son très long processus de fabrication, Oliver voulait réaliser un petit film, le tourner rapidement et revenir ainsi à quelque chose de plus modeste, plus intime. Il avait d’abord confié le projet à une jeune société espagnole qui n’avait jamais produit de long métrage. Finalement, ce « petit film » est devenu Viendra le feu, un projet bien plus ambitieux qu’il ne devait l’être au départ.

M.M : Notre arrivée dans la production a permis de structurer le travail à un niveau plus européen avec des partenaires luxembourgeois, belges ou encore français. Le film a ainsi vu son budget considérablement augmenter. Notre implication allait bien au-delà du rôle classique de « coproducteur minoritaire ». Travailler avec Oliver, c’est du corps à corps. Le film, nous le portons littéralement, de la première ébauche du scénario à la postproduction.

A.Q : Le film parle de choses universelles : le monde rural qui disparaît, les liens entre une mère et son fils, les traditions, la solitude… Ces thématiques touchent tout le monde. Viendra le feu a été extrêmement bien accueilli par les commissions de financement, y compris à l’étranger, parce qu’il avait cette force-là. Même s’il est très galicien, Oliver n’est pas un cinéaste « espagnol » au sens classique. Il est né à Paris, a vécu au Maroc, il refuse les étiquettes.

Quand Sirāt est-il né dans son esprit ?

A.Q : Avant même Viendra le feu. À l’époque, Oliver savait que Sirāt allait être difficile à monter et voulait donc faire ce film « intermédiaire », plus simple à produire. Mais il nous en parlait déjà. Il nous avait envoyé un traitement. Le projet ne s’appelait pas encore Sirāt, mais il y avait déjà cette énergie, ces visions…

M.M : C’était en 2017. Je me souviens que nous étions alors en déplacement au Vietnam. Nous avons lu les premières pages, c’était déjà très fort. Nous retrouvions ce que nous avions vu et aimé dans Mimosas : la rudesse des éléments, la route, la quête… Deux semaines plus tard, nous signions la cession de droits d’auteur avec Oliver et Santiago Fillol.

 

Au-delà d’un récit, Oliver Laxe a donc d’abord des images matricielles en tête ?

A.Q : Oliver travaille à partir d’images fortes, de visions. Il tisse ensuite un récit autour avec Santiago. Mais ces visions restent les piliers du film. À la base Sirāt devait être un film tourné en France et en français. L’univers des « teufeurs » dont parle le film est, en effet, plus lié à la France qu’à l’Espagne. Nous avions donc envisagé de le financer comme un film d’expression française.

M.M : Le scénario était entièrement en français, et nous avons lancé le développement du film en ce sens…

A.Q : Mais la réalité du financement nous a poussés à inclure davantage de partenaires espagnols. Le scénario était déjà abouti quand les frères Pedro et Augustín Almodóvar sont arrivés sur le projet via leur société El Deseo. Il y a une logique presque organique dans le financement d’un film. Le film avait besoin de ce financement espagnol.

M.M : Nous n’avons jamais été mis de côté. Nous avons été là tout au long du processus : scénario, casting, montage… Nous avons vu toutes les versions, accompagné Oliver du début à la fin. Artistiquement et financièrement, notre place est claire. Aujourd’hui, nous sommes en discussion pour son prochain film.

Étiez-vous présents sur le tournage ?

M.M : Oui, à plusieurs reprises. 30 % du tournage a eu lieu en Espagne et le reste au Maroc. L’Instituto de la Cinematografía y de las Artes Audiovisuales [l’équivalent du CNC en Espagne, Ndlr] a énormément investi dans le projet.  Viendra le feu a très bien fonctionné au box-office espagnol, près de 100 000 entrées, ce qui pour leur marché est un très bon score. De son côté, la France est un marché très porteur, notamment via le Festival de Cannes, par exemple, qui donne aux films une visibilité incroyable. C’est une chance.

A.Q : Je tiens à mentionner ici le précieux travail de Saïd Hamich pour la partie marocaine… Via sa société au Maroc [Mont Fleuri Productions, Ndlr], il a supervisé tout le tournage sur place. Sans son travail de producteur exécutif, le film n’existerait pas.

Le film, nous le portons littéralement, de la première ébauche du scénario à la postproduction.
Mani Mortazavi


Quel est l’apport du budget français de Sirāt ?

M.M : 12 % du budget global, notamment à travers l’Aide aux cinémas du monde, Eurimages, Arte, ZDF… Les droits d’auteur relatifs au scénario sont français, les effets spéciaux ont été réalisés en postproduction en France. Ils représentaient une part très importante du budget. Outre les comédiens qui sont majoritairement français, certains chefs de poste le sont aussi : la cheffe costumière, le responsable du casting ou encore le superviseur des effets spéciaux.

Pouvez-vous nous parler du casting ?

A.Q : Le casting a été très long. Nous avons d’abord choisi les comédiens non professionnels. C’est naturel pour Oliver. Il fallait préserver cette capacité qu’il a de révéler des corps devant la caméra. Toutefois, il savait dès le départ qu’il voulait inclure un professionnel au sein du groupe. Une façon de traduire concrètement l’énergie différente entre ces teufeurs qui sillonnent les routes très librement et ce père à la recherche de sa fille. Sergi Lopez bien qu’à la tête d’une filmographie impressionnante reste quelqu’un de très naturel. Ce naturel, cette rusticité, n’ont pas été altérés par le métier. Oliver a tout de suite ressenti ça chez lui. Il y a eu une forme d’évidence.  

M.M : C’est la première fois qu’Oliver tournait avec un acteur professionnel.

Comment avez-vous vécu la sélection au Festival de Cannes et le succès du film ?

A.Q : J’ai été personnellement impressionnée et très étonnée de ce succès tonitruant, surtout après tant d’années de travail. Finalement, il y a la joie – presque la fierté – de ne pas avoir fait de concessions, de ne jamais avoir dénaturé le film en préservant sa singularité. Nous avons toujours soigné sa radicalité, comme une façon de le protéger. C’est la singularité du travail d’Oliver qui nous a plu. Il ne fallait surtout pas l’abîmer au nom d’une quelconque pression commerciale. Ce travail a été récompensé, c’est très beau et encourageant. Le chemin pour y arriver n’a pas été rectiligne, ce n’était pas une autoroute, nous avons pris des routes rocailleuses…

M.M : … À l’image des camions dans le désert du film ! Ça a l’air d’être une vision romantique des choses mais c’était vraiment ça.

A.Q : Le fait d’avoir cru à cette route plus qu’à une autre fait que le film ne nous caresse pas mais, au contraire, nous électrise.
 

SirAt 

Affiche de « Sirāt »
Sirāt Pyramide

Réalisation : Oliver Laxe
Scénario : Oliver Laxe et Santiago Fillol
Production française : Andrea Queralt & Mani Mortazavi (4 A 4 Productions)
Distribution : Pyramide
Ventes internationales : The Match Factory
Sortie le 10 septembre 2025

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