Baya Kasmi : « Avec Michel [Leclerc], notre méthode de travail est restée inchangée jusqu’à aujourd’hui »

Baya Kasmi : « Avec Michel [Leclerc], notre méthode de travail est restée inchangée jusqu’à aujourd’hui »

18 janvier 2023
Cinéma
Ramzy Bedia dans « Youssef Salem a du succès ».
Ramzy Bedia dans « Youssef Salem a du succès ». Stéphanie Branchu/Domino Films/France 2 cinéma

À l’occasion de la sortie de son deuxième long métrage, Youssef Salem a du succès, comédie sur les mésaventures d’un écrivain piégé par le succès d’un livre inspiré par sa famille, Baya Kasmi revient sur ses expériences d’écriture avec son complice Michel Leclerc depuis leur premier film, Le Nom des gens, il y a douze ans.


Le Nom des gens de Michel Leclerc (2010)

Le portrait d’une pasionaria des temps modernes qui se fait une haute idée de l’engagement politique puisqu’elle n’hésite pas à coucher avec ses ennemis pour les convertir ! Acclamée à la Semaine de la critique, cette comédie cartonne en salles avant d’être couronnée par deux César : meilleure actrice (Sara Forestier) et meilleur scénario. Un premier travail en duo qui donne joyeusement le « la » d’une aventure en commun.

« Le fait de vivre ensemble et toutes les obsessions politiques autour de l’identité – dont on parlait beaucoup à ce moment-là avec la création du ministère de l’Identité sous la présidence de Nicolas Sarkozy – nous a amenés, Michel et moi, vers ce Nom des gens. Écrire sur l’histoire de nos familles pour parler d’identité de manière à la fois intime et singulière. On est donc partis sur l’idée d’un film à deux voix. À ce moment-là, nous n’avions aucun producteur mais on a pris un plaisir fou à écrire. Une fois le script terminé, on a déposé notre scénario à l’Association Beaumarchais – SACD et on a décroché une aide. Dans la foulée, plusieurs producteurs nous ont exprimé leur envie de financer le film, puis on a gagné le Prix Sopadin du meilleur scénario. Tout s’est accéléré dans une forme d’inconscience jusqu’à la sélection à la Semaine de la critique que nous n’aurions jamais imaginé décrocher. Nos histoires ont rencontré les préoccupations de la société française de l’époque. À partir du moment où on a lâché les chevaux, on a utilisé tous nos souvenirs en poussant les curseurs. (Rires.) À l’image de ce personnage de jeune femme qui couche pour convaincre de voter à gauche, inspiré par ce que j’avais vécu à 18 ans avec un garçon qui me draguait et dont j’avais appris qu’il votait FN : je suis sortie sciemment avec lui pour le larguer le lendemain et lui faire « payer » son engagement pour l’extrême droite. Un vrai truc de gamine révoltée ! (Rires.) Avec Le Nom des gens, Michel et moi nous nous sommes découvert un style commun dans l’écriture à deux, à rebours d’une certaine obsession française du réalisme. On a pu le voir avec la scène où notre héroïne déambule nue dans le métro : on nous a régulièrement assuré que ça ne marcherait pas à l’écran alors qu’elle reste aujourd’hui la scène la plus célèbre du film avec celle mettant en scène Lionel Jospin. Celle-là, on l’avait vraiment écrite pour lui. On avait le regret d’avoir voté Christiane Taubira en 2002 et donc involontairement empêché son accession au second tour. Sa présence nous a permis de traiter d’un de nos thèmes favoris : la culpabilité. »

 

Je suis à vous tout de suite de Baya Kasmi (2015)

Après un court primé à Clermont, Je suis une pute, Baya Kasmi passe au format long en mettant en scène une héroïne (campée par Vimala Pons) atteinte de la névrose de la gentillesse.

« Je garde un souvenir plus contrasté de ce film, sans doute parce qu’il n’a pas trouvé son public. Comme dans Le Nom des gens, j’y ai glissé des choses très intimes. Des éléments que je n’avais pas pu traiter dans le film de Michel. On a écrit de nouveau ensemble et j’ai le sentiment que ce cousinage a desservi le film, qui a été vu comme une suite du Nom des gens moins convaincante que l’original. Mais moi j’ai adoré le processus de fabrication, le fait d’expérimenter des trucs un peu fous. Un face-à-face entre deux mondes, encore plus radical que Le Nom des gens. Le film a été vendu de façon mensongère comme une comédie familiale alors qu’il s’agissait d’une comédie d’auteur un peu provoc’ avec des scènes de sexe et de nu. C’est avec ce film qu’on a trouvé notre méthode de travail avec Michel, restée inchangée jusqu’à aujourd’hui. Celui ou celle qui va réaliser le film commence par écrire seul de son côté une dizaine de pages et y conçoit l’idée centrale du film et des pistes pour les personnages avant que débute le travail à deux où on reprend tout, où on construit ensemble la structure, où les dialogues naissent d’un ping-pong permanent, avant que celui ou celle qui réalise se réempare du matériel commun une fois sur le plateau. »

 

La Vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc (2015)

Dans cette adaptation du roman de Jonathan Coe, Jean-Pierre Bacri campe un homme au fond du trou après avoir perdu son boulot et s’être fait larguer par sa femme. Son nouveau job de représentant commercial pour une marque écologique de brosses à dents l’entraîne dans une traversée de la France qui va lui permettre de faire le point sur sa vie.

« On l’a écrit en parallèle de Je suis à vous tout de suite et lui non plus n’a pas trouvé son public. Mais pour une raison inverse : il était, par sa mélancolie, trop éloigné du Nom des gens ! J’ai acheté le livre de Jonathan Coe le jour où j’ai accouché de notre deuxième enfant. (Rires.) Je l’ai terminé pendant que Michel réalisait Télé gaucho et comme j’ai adoré, j’ai voulu absolument qu’il le lise. Quand il l’a fait, un an plus tard, il a décidé de l’adapter avant d’apprendre par l’éditeur de Jonathan Coe que la vente des droits était en cours et qu’on s’y prenait trop tard. C’était le jour de son anniversaire. J’avais organisé une soirée avec quelques-uns de nos proches, dont la comédienne Carole Franck. Elle nous a appris que Jonathan Coe était en France et qu’une de ses amies travaillait avec lui. Grâce à elle, Michel a pu rencontrer Jonathan Coe le lendemain et obtenir les droits du roman. J’adore ce film. Le rythme est plus lent que dans les autres films de Michel, mais l’écriture a été plus simple parce qu’il s’agit d’une adaptation et que Jonathan Coe nous a laissé une liberté totale – jusqu’à une conclusion totalement différente de son roman – et a accompagné notre travail de ses remarques enthousiastes. Ce fut vraiment une aventure joyeuse.

 

La Lutte des classes de Michel Leclerc (2019)

Leïla Bekhti et Édouard Baer campent une avocate et un batteur anar, couple de bobos confronté pour l’éducation de leur fils à un dilemme entre le respect de la carte scolaire au nom de leurs idéaux et le choix du privé. Un feel good movie espiègle sur la mixité.

« C’est la première fois qu’on a vécu une écriture aussi conflictuelle, épousant un moment très tendu en France puisqu’on a commencé à écrire au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. On a eu envie de raconter cette époque plus sombre tout en développant une comédie capable de créer du lien alors que nous étions plus angoissés. Beaucoup d’injonctions contradictoires ! Pendant longtemps, les attentats ont été présents dans le scénario, ce que ne souhaitaient pas nos producteurs. Le débat a duré un an et on a fini par perdre le bras de fer. Finalement, on s’est dit qu’ils avaient sans doute raison. On aurait été incapables, en parlant des attentats, de donner naissance à la comédie lumineuse qu’on souhaitait. Il y a dans La Lutte des classes, comme souvent chez nous, beaucoup d’autodérision dans ces personnages inspirés par nos vies en mode “faites ce que je dis, pas ce que je fais”, mais sans l’assumer. Cela raconte un point commun à tous nos films : le jeu avec le sentiment de honte. Un ressort de comédie passionnant. »

 

Youssef Salem a du succès de Baya Kasmi (2023)

L’histoire d’un écrivain piégé par le succès de son nouveau roman écornant l’image de sa famille, dont il s’est largement inspiré. Une comédie sociale autour des aléas de la notoriété, portée par Ramzy Bedia.

« Tous nos films ont en commun d’être d’abord des films de scénario et de dialogues. Ce projet ne fait pas exception. J’avais envie de faire un film sur l’autobiographie… mais pas autobiographique ! De travailler sur l’expérience que nous avions vécue, Michel et moi, avec nos proches quand Le Nom des gens et Je suis à vous tout de suite sont sortis. Mais aussi essayer de raconter comment on est en permanence ramené à son identité quand on raconte des histoires avec un personnage d’origine maghrébine. Et par ricochet, la manière dont il est difficile d’échapper à un regard “sociétal” sur votre film et comment parler toujours plus de politique que de cinéma vous dépasse. Je suis une grande fan de Philip Roth, de son Portnoy et son complexe comme de son Zuckerman délivré où il raconte l’histoire de la sortie de Portnoy. C’est ce vers quoi on a eu l’ambition de tendre, dans une recherche d’équilibre entre la comédie pure et le récit plus sociétal. Michel et moi avons ancré en nous ce désir de mêler expérience personnelle et expérience sociale à l’échelle d’un pays. Le Nom des gens a posé les bases de ce travail qui nous passionne toujours autant. Mais si mêler politique et intime nous est naturel, on vit cependant un combat permanent pour que tout reste fluide, pour ne pas verser dans quelque chose de trop purement théorique. Et ce, alors que la question sociétale est plus crispée qu’à nos débuts et qu’on pourrait être spontanément amené à la mettre davantage sur le devant de la scène, au détriment de la comédie pure. Aller vers la légèreté quand on parle d’identité est plus complexe qu’avant. »

 

YOUSSEF SALEM A DU SUCCÈS

Réalisation : Baya Kasmi
Scénario : Baya Kasmi et Michel Leclerc
Photographie : Julien Roux
Montage : Monica Coleman
Musique : Alexandre Saada
Production : Domino Films
Distribution : Tandem
Ventes internationales : Charades
Sortie en salles : 18 janvier 2022

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Fonds Images de la diversité,
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