Boubacar Sangaré : « Or de vie était l’occasion de redonner vie aux orpailleurs »

Boubacar Sangaré : « Or de vie était l’occasion de redonner vie aux orpailleurs »

Or de vie
« Or de vie » réalisé par Boubacar Sangaré Les Films de la caravane

Pour son premier long métrage documentaire pour le cinéma, le réalisateur et juriste, spécialisé en droit du cinéma, filme sur trois ans le quotidien du jeune Rasmané alors que celui-ci risque chaque jour sa vie dans les mines d’or du Burkina Faso. Un film accompagné par le CNC à travers l’Aide aux cinémas du monde et le Fonds pour la jeune création francophone.


Comment est venue l’idée d’un documentaire sur l’orpaillage ?

Boubacar Sangaré : En 2012, alors que j’étais en école de cinéma, je suis rentré voir mes parents dans le sud-ouest du Burkina Faso. Un après-midi avec des amis, j’ai aperçu une dame sur un scooter qui se dirigeait vers un site d’orpaillage, un bébé dans le dos. Soudainement, je me suis interrogé sur l’avenir de cet enfant. Je connais moi-même assez bien l’exploitation de l’or, et je sais que ceux qui en vivent se déportent de site en site et peuvent parfois passer des décennies à migrer. C’est une spirale sans fin. Ce moment de réflexion m’a donné envie de suivre, sur plusieurs années, un adolescent qui passe son temps sur un site d’orpaillage.

Étiez-vous familier de l’orpaillage ?

J’ai découvert cette pratique pour la première fois en 1996. Il y avait une exploitation pas loin de chez moi, à une trentaine de kilomètres. Beaucoup d’amis y allaient et nous emmenaient parfois, mon frère et moi. Je n’ai personnellement jamais travaillé dans les tunnels, mais je vendais de l’eau. Grâce à cette expérience, je connaissais déjà les bases du fonctionnement des sites d’orpaillage, ce qui m’a facilité la tâche. J’ai pu alors me focaliser sur l’évolution d’un enfant dans ce milieu si particulier, sans tomber dans le voyeurisme ou dans un récit de la misère : je raconte, à travers un boulot, le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Au Burkina Faso, les orpailleurs sont considérés comme des hommes à part, dont l’existence s’annule à mesure qu’ils s’enfouissent dans les profondeurs des mines. Mon documentaire était l’occasion de leur offrir la liberté d’exister devant ma caméra.

Le sujet est difficile, et pourtant, il y a une forme de légèreté…

Pour le documentaire de cinéma auquel j’aspirais, je ne trouvais pas d’intérêt à expliquer ce qu’était l’orpaillage ou d’accentuer une dureté déjà existante. Je n’avais pas besoin de rajouter du pathos. Au Burkina Faso, les orpailleurs sont considérés comme des hommes à part, dont l’existence s’annule à mesure qu’ils s’enfouissent dans les profondeurs des mines. Mon documentaire était l’occasion de leur redonner vie, de leur offrir la liberté d’exister devant ma caméra.

Vous suivez un jeune homme en particulier, Rasmané, et filmez son quotidien. Pourquoi lui ?

Je suis allé sur le site de Galgouli pour la première fois en 2013. En 2017, j’ai rencontré un adolescent que j’ai essayé de filmer, mais pour des raisons de production j’ai dû arrêter le tournage car il grandissait très vite et je n’avais pas les moyens de le suivre sans relâche. J’ai rencontré Rasmané en 2019 : j’étais en train de déjeuner et je l’ai vu là, assis, naturellement charismatique. J’ai commencé à discuter avec lui et j’ai senti qu’il pouvait être intéressant à filmer. J’ai expliqué aux hommes plus âgés avec qui il travaillait que je voulais passer du temps avec eux pour réaliser un documentaire sur leur quotidien. Ils ont tout de suite été partants. De là, j’ai filmé Rasmané pendant trois ans.

 

Pourquoi avoir choisi ce site en particulier ?

Il est vrai que l’environnement a une place importante et devient ici une sorte de métaphore : le changement que subit le lieu est le même que celui subi par le personnage lorsque son innocence s’effrite. Mais c’est véritablement la rencontre avec Rasmané qui a impliqué de filmer Galgouli, et non l’inverse. Si j’avais trouvé un autre garçon sur un site différent, je l’aurais filmé là-bas.

Quelle était la ligne directrice, au montage, de votre travail ?

Le film possède plusieurs couches de lecture. La première étape au montage a donc été de garder une continuité et de structurer le film à partir de chaque année de tournage. Puis dans chacune de ces temporalités, l’objectif était de reconstruire et d’appréhender le personnage. Je voulais montrer un jeune homme qui évolue psychologiquement, tout en vacillant constamment entre l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Le troisième aspect était de construire l’environnement du site d’orpaillage autour de Rasmané, avec ces machines qui l’accompagnent dans son évolution.

Des machines qui sont d’ailleurs audibles tout au long du film. De quelle manière avez-vous abordé le son ?

Dès le début du tournage, l’ingénieur du son m’a incité à y réfléchir car il s’est rendu compte que le bruit était une partie intégrante de cet environnement. Donc nous avons intégré la machine comme un personnage à part entière du film, à la fois sur le terrain mais aussi en postproduction. Il y a eu un très beau travail de montage permettant au son de prendre plus de place. La machine avait vraiment toute sa place dans le film : la fumée qu’elle dégage au quotidien est aussi toxique que celles des cigarettes fumées par Rasmané.

Vous accordez également une grande importance à la mise en scène…

Oui, mais dans le sens de l’utilisation et non d’une manipulation du réel. C’est très vilain de le dire, mais il y a une certaine beauté rattachée à cet endroit. Je me suis dit qu’il fallait que je me la réapproprie grâce à diverses techniques cinématographiques pour pouvoir donner une profondeur à la narration, afin de ne pas se limiter à une simple observation descriptive des personnages. Dans chaque séquence, il y a toujours une triple lecture qui se dégage et qui donne la possibilité de voir autre chose que l’image superficielle.

Or de vie emmène le spectateur à plusieurs reprises dans les tunnels. Était-ce important pour vous de plonger au cœur même de votre sujet ?

Le premier engouffrement est une caméra embarquée par Rasmané : je voulais une séquence qui puisse rompre avec le quotidien. Les autres séquences ont été filmées par mon chef opérateur, Emmanuel Bationo, qui est descendu dans les galeries à plusieurs reprises. C’était un vrai défi ! Lors des premières tentatives, l’objectif de la caméra se recouvrait de buée et nous empêchait de tourner, la température n’étant pas la même dans les mines. J’ai dû fouiller sur internet pour trouver une astuce : il fallait enfermer l’objectif dans un sac plastique hermétique et attendre quinze minutes avant de le sortir, afin qu’il s’adapte à la température interne.

J’accorde une grande importance à la mise en scène, dans le sens de l’utilisation et non d’une manipulation du réel […] Dans chaque séquence, il y a toujours une triple lecture qui se dégage et qui donne la possibilité de voir autre chose que l’image superficielle.

Vous avez bénéficié à la fois de l’Aide aux cinémas du monde avant réalisation et du dispositif du Fonds pour la jeune création francophone. Quel a été l’apport de ces soutiens dans le processus de production ?

Il a été crucial. J’avais déjà obtenu les aides à l’écriture et au développement documentaires du FAIA (Fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle) du CNC, qui m’ont permis de commencer à tourner. Mais le projet avait du mal à décoller, et j’étais bloqué par manque de fonds. L’arrivée de l’Aide aux cinémas du monde, puis celle du Fonds pour la Jeune création francophone, a vraiment permis à la situation de se décanter.

Vous aviez déjà coréalisé un long métrage documentaire pour la télévision (Une révolution africaine, les dix jours qui ont fait chuter Blaise Compaoré), mais Or de vie est votre premier documentaire pour le cinéma. Quel a été le principal défi ?

Le temps. Au départ, mes producteurs ont eu du mal à cerner pourquoi j’avais besoin de filmer sur une période aussi longue, alors que j’aurais pu terminer le film plus rapidement. Je suis parvenu à leur faire comprendre que j’étais dans une démarche de cinéma : je n’explique rien, je vis les choses.
 

OR DE VIE

Affiche de « Or de vie » réalisé par Boubacar Sangaré
Or de vie Les Films de la caravane

Réalisation : Boubacar Sangaré
Photographie : Isso Emmanuel Bationo
Son : Seydou Porgo
Montage : Gladys Joujou
Production : Les Films de la caravane, Merveilles Production, Imedia
Distribution : Les Films de la caravane
Sortie le 5 juin 2024

Soutiens du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide à la production et à la post-production du Fonds Jeune création francophone