Comment Amine Bouhafa a composé la musique des « Harkis »

Comment Amine Bouhafa a composé la musique des « Harkis »

13 octobre 2022
Cinéma
« Les Harkis », la troisième collaboration musicale d’Amine Bouhafa avec Philippe Faucon
Jacques Reboud Istiqlal Films

Le compositeur franco-tunisien, que l'on retrouve également au générique musical de la série Le Monde de demain sur ARTE, revient sur la manière dont il a imaginé la bande son du dernier film de Philippe Faucon. Un travail qui interroge le rôle de la musique au cinéma et la façon dont elle peut servir au mieux le propos d’un film.


Les Harkis signe votre troisième collaboration avec Philippe Faucon après Amin (2018) et le téléfilm La Petite femelle (2021). Comment avez-vous abordé la musique du film ?

Le cinéma de Philippe Faucon est minimaliste, toujours dans la retenue. La musique est quasi absente de ses films. Elle apparaît souvent au début et à la fin. Son cinéma est une grande école, un apprentissage de l'humilité par rapport à l'image. On apprend donc à s’interroger sur l’essence même de la musique. Comment déployer un discours avec une fenêtre aussi réduite ? Cette question pose un défi artistique. Dans Les Harkis, la bande son est conçue comme une ouverture d’opéra. Elle pose le décor, annonce le film sans trop en révéler, expose la scène aux acteurs. Finalement, elle donne le « temps » du film. Chaque œuvre dicte la façon dont il faut appréhender la musique, mais je ne me sens pas moins autorisé à expérimenter sur Les Harkis, qui traite de faits historiques, que sur un autre film. Il serait dommage de se priver de l'imaginaire dans la création artistique.

Quand avez-vous commencé à travailler sur le film ?

Je suis intervenu à la toute fin. J’ai commencé à composer après avoir vu le film terminé. Philippe Faucon m'a appelé avant le tournage. Je savais où j’allais en lisant le scénario. Simplement, je pensais qu'il y aurait eu plus de musique... En voyant le long métrage abouti, j'ai réalisé que ce n’était pas nécessaire. Le film est fort, vrai. J’ai d’abord travaillé sur le générique de fin. J'ai proposé à Philippe quatre versions de durées différentes. Une fois son « temps » choisi, j'ai planché sur plusieurs déclinaisons pour la musique du générique de début. Le style allait du moderne au classique. Je dirais que Philippe a choisi la musique la plus recueillie, la plus minimaliste.

Dans Les Harkis, la bande son est conçue comme une ouverture d’opéra

Quels instruments avez-vous utilisé ? 

Quatre ouds, des percussions iraniennes, une contrebasse, mais aussi une trompette. Cette dernière rappelle la guerre dans un registre plutôt de lamentation. Le dispositif est finalement assez réduit. J'aime quand la musique capte le côté secret d’un film. Certains aspects comme le trauma d’un personnage, le passé, le futur, ne se voient pas à l’écran. La musique apporte une autre lecture, un hors-champ ou une profondeur supplémentaire.

De Timbuktu à La Belle et la Meute, de Nos frangins aux Harkis, votre travail de compositeur accompagne souvent des films engagés…

J'aime servir ou être associé à ce genre de cinéma. Mes choix de films et de collaborations doivent me toucher, m’inspirer. Comment la musique sert-elle ce propos ? Elle parle à une partie du cerveau qui ne sert pas à analyser directement les faits. C’est la différence avec l’image. Je ne travaille pas pour l'intelligence cérébrale mais pour l'intelligence émotionnelle. En résumé, je veux accompagner le discours d’un film de façon sensible et non pas de manière frontale. L'engagement d'un film est lié à un endroit, un pays, un moment précis, une cause, un contexte... Il faut essayer de tisser des lignes entre tous ces aspects.

Comment travaille-t-on sur des sujets si différents ?

Il faut se laisser guider à la fois par le metteur en scène et le film. Parfois, celui-ci échappe à tout le monde... et l'une des meilleures façons de l'apprivoiser est de se nourrir des lumières, des couleurs, des mouvements de caméra... Il vaut mieux être dans l’évocation que dans la démonstration frontale. Je déteste quand la musique fait tapisserie ou se dissimule derrière des facilités. J'aime quand elle ose des choses différentes.

Les Harkis

Réalisation : Philippe Faucon
Scénario : Philippe Faucon, Yasmina Nini-Faucon, Samir Benyala
Avec : Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok, Pierre Lottin, Yannick Choirat,…
Musique : Amine Bouhafa
Image : Laurent Fénart
Montage : Sophie Mandorret
Production : Les Films Pelléas, Nord-Ouest Films, ARTE France Cinéma, Barney Production, Tanit Films, Les Films du Fleuve, Istiqlal Films
Distribution et ventes internationales : Pyramide
En salles depuis le 12 octobre

Soutiens du CNC : Soutien au scénario - aide à la réécriture, Avance sur recettes avant réalisation, Fonds Images de la diversité (aide à la production)