Huit films français qui mettent en scène les arts martiaux

Huit films français qui mettent en scène les arts martiaux

24 décembre 2021
Cinéma
Image tirée de Lutteurs japonais
Image tirée de Lutteurs japonais (François-Constant Girel – 1897) Institut Lumière
On les associe à un imaginaire oriental et à la production cinématographique asiatique et pourtant, il existe bien aussi des films français mettant en scène les arts martiaux. À l’occasion de l’exposition « Ultime Combat. Arts martiaux d’Asie » au musée du Quai Branly, jusqu’au 16 janvier 2022, focus sur huit pépites (parfois) oubliées.

Vues n°926, Escrime au sabre japonais et n°925, Lutteurs japonais, François-Constant Girel (1897)

Et si les premiers films d’arts martiaux étaient français ? Cela peut paraître étonnant de prime abord, mais il faut se souvenir que dès les débuts de leur invention, le Cinématographe, les frères Lumière ont envoyé des opérateurs aux quatre coins du monde pour collecter des images. Ainsi, en 1897, Constant Girel, part pour Kyoto et parmi les sujets qu’il y filme, ces deux prises de vues, quarante-sept secondes chacune, de deux combats d’escrime au sabre japonais : le « kendo », art martial directement héritier du « kenjutsu », l’art du sabre que pratiquaient les samouraïs.

Un opérateur, pour deux façons très différentes de filmer les combats. Dans le premier, le parti pris est celui de la proximité et de la frontalité, la caméra est comme plongée au milieu de la turbulence des affrontements. Loin des chorégraphies soignées qui feront l’apanage des classiques du cinéma d’arts martiaux, la mêlée y est enregistrée dans tout son tumulte. Les adversaires sortent et rentrent dans le cadre, tombent au sol et se ruent l’un sur l’autre dans le désordre le plus total. Une violence qui n’est que renforcée par le rythme saccadé, dû au défilement à 16 images par secondes des prises de vues de l’époque.

Escrime au sabre japonais

 

Dans Lutteurs Japonais, au contraire, une forme de limpidité de l’action est transmise à la fois par la présence de seulement deux adversaires, en tenues traditionnelles, et par le cadrage d’ensemble et de biais, qui permet d’inscrire pleinement les corps et leurs mouvements dans leur environnement. Aux gestes brusques de la mêlée de la première prise de vues, celle-ci oppose les mouvements lents, maitrisés – à la limite de la chorégraphie - des deux lutteurs. Bien que le centre de l’action soit leur combat, l’image, par sa largeur et sa profondeur de champ, propose plusieurs niveaux de lecture en simultané. De la femme en kimono observant le « duel » tandis que son enfant se jette au sol, à l’homme en tenue d’officier se tenant près des colonnades d’un pavillon orné de drapeaux japonais, en passant par les badauds hâtant le pas ou s’arrêtant avec curiosité, la richesse des détails inscrits dans la profondeur de champ de ce plan fixe, de moins d’une minute, est saisissante. Un exemple de l’art de la composition du plan des opérateurs Lumière !


 

Lutteurs japonais

 

Escrime au sabre japonais a été sauvegardé par le laboratoire de la Direction du patrimoine du CNC.

La restauration de Lutteurs japonais a bénéficié de l’Aide sélective à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine.

Escrime au sabre japonais et Lutteurs japonais sont accessibles sur les postes de consultation multimédia (PCM) mis en œuvre par l’INA et le CNC.

Escrime au sabre japonais de François-Constant Girel (1897)
Escrime au sabre japonais (François-Constant Girel – 1897) Institut Lumière

 

Judo et jiu-jitsu, François Ardoin (1947)

Ce court métrage de dix-huit minutes a été écrit par l’un des premiers judokas ceinture noir de France, Georges London et met en scène plusieurs de ses élèves. Un homme (Roland Ducrot, judoka) victime d’un guet-apens vient à bout de ses agresseurs à l’aide de prises de judo. Cette situation initiale fictionnelle devient le prétexte à une exploration des origines de ce sport de combat et à un décryptage méthodique de ses pratiques et usages. Guidé par la figure du rescapé et sa voix off à travers un voyage temporel, on (re)découvre que l’ancêtre du judo était le jiu-jitsu, art martial pratiqué par les samouraïs pour se défendre lorsqu’ils étaient désarmés. Puis, qu’autour de 1880, le professeur Jigorô Kanô (Roland Ducrot, toujours) y ajoute un code de politesse et de respect et en retire les techniques les plus dangereuses, pour créer un sport ouvert à tous et toutes : le judo.

Passé ce point historique, le film décortique positions, techniques et parades du judo avec une utilisation abondante de ralentis (procédé qui deviendra la marque de fabrique de certains films d’arts martiaux) à visée « documentaires », récapitulant, entre autres, tous les types de chutes, de clés de jambes, clés de bras, etc…. Avant de présenter des combats de ceintures noires où, comme le dit la voix off, « le sport atteint au niveau de l’art ».

En plus de sa dimension didactique et de ses trouvailles de mise en scène, on peut regarder ce film comme le témoignage d’une époque où la pratique du judo n’était pas aussi naturelle en France qu’aujourd’hui. En témoigne l’échange où l’inspecteur, interprété par René Stern, demande « qu’est-ce que c’est que ça ? » lorsque l’homme lui répond qu’il n’est pas « boxeur professionnel », mais bien « judoka ».

Ce court métrage se veut une réponse concise et précise à cette interrogation : entre fiction, documentaire et film pédagogique, il n’est pas absurde d’y voir aussi un précurseur des tutoriels vidéo. Constat renforcé par la conclusion du film, après des images de citoyens lambdas se défendant d’attaques armées à l’aide des enseignements de la vidéo : « libre à vous, maintenant, d’imiter un de ces hommes, vêtus de blanc ».

Film restauré par le laboratoire de la Direction du patrimoine du CNC et consultable sur les Poste de consultation multimédia (PCM) mis en œuvre par l’INA et le CNC.

 

La dialectique peut-elle casser des briques ?  de René Viénet (1973)

Objet filmique atypique, annoncé comme « le premier film entièrement détourné de l’histoire du cinéma » par la voix off introductive (en réalité, Woody Allen avait la primeur, avec Lily la tigresse (1966) détournant un film de série B japonais). Ce long métrage se place dans le mouvement de l’Internationale Situationniste, auquel se rattachait notamment Guy Debord, en détournant par le doublage un film de kung-fu chinois, Crush (Tangshou taiquan dao, 1972) de Tu Kuang-chi, dans lequel des pratiquants de taekwondo coréens s'opposent à des oppresseurs japonais, durant la période de l’invasion du Japon de la Corée, au début du XXème siècle. L’idée étant, comme Chris Marker dans Lettre de Sibérie (1957), de faire dire aux images autre chose que leur but initial. Ainsi, ce film d’arts martiaux devient un traité politique, où le récit spécifique des conflits entre colonisateurs japonais et colonisés coréens est transformé en récit « universel » de lutte des classes entre riches « bureaucrates » et « prolétaires » exploités. Cette superposition entre les discours idéologiques du doublage (réalisé par Patrick Dewaere et Roland Giraud, entre autres) et les images d’un film de kung-fu peut donner lieu à des séquences insolites qui ne sont pas dénuées d’un certain comique, comme lorsqu’un combattant se lamente : « et alors, à quoi ça nous a servi de lire Marx et Lautréamont ? ». Un autre se prépare à l’affrontement en déclarant que « pour pendre les propriétaires et couper les curées en deux, je vais aiguiser ma dialectique sur des situations ». Les combats, quant à eux, sont commentés par une voix off proclamant des leçons telles que « voilà comment la subjectivité radicale peut devenir une force pratique ». Le film ne se prend évidemment pas totalement au sérieux mais transmet les idéaux de son metteur en scène, de manière divertissante.

Aide obtenue auprès du CNC :
Aide sélective à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine

 

 

La Capoeira, art martial au Brésil (1987) de Jean-Claude Cécile

Prouvant à nouveau la réduction à laquelle on se livre, en limitant les arts martiaux, à une origine uniquement asiatique, ce court métrage documentaire de quatre minutes s’intéresse à la capoeira, art martial originaire du Brésil.

Le réalisateur y suit les pas de Cobra Sábia (« serpent sage » en portugais), mestre capoeiriste habitant d’une favela aux abords de Salvador, grande ville portuaire brésilienne.

Tout en filmant la chorégraphie des corps s’agitant et s’esquivant, au présent, une voix-off retrace les origines de cet art de la lutte si singulier. On y apprend qu’à l’origine, la capoeira était une méthode de combat créée par les esclaves noirs des plantations de tabac ou de cannes à sucre du Brésil. Si les esclavagistes ont vite cherché à l’interdire, pris de peur qu’elle ne soit utilisée contre eux, les esclaves l’ont alors transformé en danse. Une ambivalence qui se retrouve dans sa pratique contemporaine, entre « art martial et ballet », selon les mots de Jean-Claude Cécile.

Les images des combats sont rythmées par une ronde de musiciens maitrisant les percussions traditionnelles, tels l’atabaque et le pandeiro, instruments qui donnent à la capoeira sa musicalité propre. Le documentaire définit cet art martial comme « une philosophie, un art de vie », mais surtout, un « art de l’esquive, de la défense », ce qui n’est que trop prouvé à l’image où on ne voit jamais les corps s’entrechoquer mais s’entrecroiser et se superposer sans collision. Ce sont toutes ces tensions et oppositions au sein de la capoeira, à la fois danse et lutte, méthode de combat et d’esquive, sport et philosophie de vie qui en font, comme le conclut JC. Cécile, « une discipline ambiguë, contrastée, à l’image du pays et des hommes dont elle est issue ».

Film collecté par le CNC au titre du dépôt légal et consultable sur les Postes de consultation multimédia (PCM) mis en œuvre par l’INA et le CNC.

 

Matti Ke Lal, fils de la terre d'Elisabeth Leuvrey (1998)

Guru Hanuman
Guru Hanuman Ji dans Matti Ke Lal, fils de la terre Grec - Elisabeth Leuvrey - 1998

Après le Japon, la Corée, le Brésil et la France… Cap sur l’Inde, avec ce court métrage documentaire produit par le GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques), faisant le portrait de Guru Hanuman Ji, sage de 98 ans qui, depuis soixante-dix années, recueille des orphelins dans son akhara (camp d’entrainement), école où il enseigne le « kushti », une lutte traditionnelle indienne.

La réalisatrice laisse la parole à cet homme vénérable, à travers le récit duquel c’est aussi l’histoire de l’Inde du XXème siècle qui se raconte. Ce dernier se remémore, ainsi, la période coloniale de l’Inde où son akhara « servait de refuge » à ceux s’opposant au pouvoir britannique, tel Chandra Shekhar, grand résistant et indépendantiste, et où, afin de les protéger, il a dû subir des interrogatoires violents de la part des autorités.

Mais, surtout, la conception des arts martiaux comme « philosophie de vie », n’est nulle part plus évidente que dans ce film-témoignage où les paroles de G. Hanuman Ji et les images mettent en avant un rapport à la fois mystique et charnel de l’homme avec la terre, qui ne s’exprimerait pleinement que par la lutte.

Le montage du film s’organise autour d’une certaine logique narrative, commençant par suivre les entrainements et se concluant sur les combats. Accompagnés d’instruments percussifs, on voit les jeunes lutteurs courir entre les automobiles des quartiers du vieux Delhi ou effectuer des échauffements qui, rythmés par le séquençage des plans, deviennent des pas de danse synchronisée, martelant le sol. Les plans de lutte, quant à eux, prennent les allures de véritables communions avec la terre : les lutteurs la labourent de leurs pieds, l’étreignent de leurs bras, se roulent dans un corps-à-corps passionnel avec elle. E. Leuvrey propose une véritable mise en scène de la rencontre entre les corps et leur milieu. En variant les échelles de plans et les rythmes de défilement (usant même du ralenti), elle crée une chorégraphie où les individus ne font plus qu’un avec la terre, gagnant ainsi le droit de porter fièrement le titre du film sur leurs épaules.

Scène de lutte
Scène de lutte  Grec - Elisabeth Leuvrey – 1998.

Aide obtenue auprès du CNC :
Aide sélective à la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine

 

Douches froides d'Antony Cordier (2005)

Filmer les troubles du désir et les prises de conscience du passage à l’âge adulte à travers la mise en scène du judo, c’est le projet d’Antony Cordier dans son premier long métrage. On y suit Mickael (Johan Libéreau), lycéen en terminale et ceinture noire de judo, qui sort avec Vanessa (Salomé Stévenin) depuis déjà plusieurs années, un équilibre qui va être perturbé par l’irruption du fils du sponsor de son club de judo, Clément (Pierre Perrier), dans leurs vies. Ce dernier, issu d’un milieu bien plus favorisé que le sien, va commencer à exercer une fascination malsaine sur lui et sa petite amie.

Un drame romantique et social où tout se règle sur le tatami : des conflits sentimentaux aux tensions sexuelles en passant par les rivalités de classe. Le dojo de judo est ainsi le terrain des corps-à-corps passionnels ou violents entre les personnages. À ce titre, les combats de Douches froides portent à son summum la turbulence des corps que capturait déjà François-Constant Girel dans Escrime au sabre japonais (1898) : les gros plans fragmentent, découpent les protagonistes tandis que le montage rapide et haché témoigne du tumulte de leurs affrontements.

On est loin de la dimension spirituelle des arts martiaux, mise en avant dans Matti Ke Lal, entre autres. Ici, le judo est d’autant plus réduit à sa dimension physique que, durant tout le film, on va suivre la transformation du corps de Mickael, devant perdre huit kilogrammes, en six semaines, pour participer à une compétition. Une quête de dépassement de ses limites qui va le faire mettre en danger sa santé, ses nerfs et ses relations personnelles.

Pour éclairer la personnalité de ce personnage déterminé, un détail est tout sauf anodin : sa chambre tapissée d’affiches de films de Bruce Lee, incarnation d’une maîtrise totale de son corps que Mickael va chercher à atteindre envers et contre tous.

Aides obtenues auprès du CNC :
Avance sur recettes avant réalisation, Aide sélective à l'édition vidéo et majoration VàD

Bande annonce de Douches froides 

 

 

Le Petit Dragon de Bruno Collet (2009)

Ressusciter l’étoile filante du cinéma de kung-fu, Bruce Lee, décédé à seulement 32 ans, c’est d’ailleurs le pari fou de Bruno Collet dans ce court métrage mêlant animation en volume, stop-motion et prises de vues réelles. On y voit une figurine en caoutchouc de l’acteur mythique prendre vie durant la nuit et parcourir l’espace hostile et plein d’obstacles d’une chambre d’adolescent.

Dès le générique, l’hommage à l’imaginaire des films d’arts martiaux de Bruce Lee est évident, avec des silhouettes découpées en ombres colorées défilant et pratiquant des figures de « jeet kune do », l’art martial créé par l’acteur lui-même. L’inscription de la « légende » du kung-fu dans un univers quotidien est, elle, déjà mise en avant par des éléments visuels tels qu’un bouchon de soda ou une pizza. Le court métrage lancé, les péripéties s’enchainent, pleines d’inventivité, pour ce petit combattant en caoutchouc qui saute de meuble en meuble, affronte une silhouette en carton de Chuck Norris et un jouet robot, explore les dessous d’un lit à l’aide d’une torche en plastique ou se sert d’une bougie d’anniversaire comme « nunchaku ».

En redonnant vie à cette star à la carrière aussi courte que fulgurante, Bruno Collet propose une réflexion sur l’immortalité et la fragilité des icônes. Car, si la figure de Bruce Lee y est déclinée à l’infini à travers les produits dérivés (s’y succèdent la figurine en action, un mug et un t-shirt à son effigie ou encore, pour conclure, un Bruce Lee virtuel de jeu vidéo), la menace de l’oubli et de la déliquescence pèse aussi sur lui. Ainsi, au cours de son parcours du combattant, son corps se décompose progressivement et il découvre, lors de son exploration du monde souterrain du dessous de lit, les figurines démembrées, couvertes de poussière et de toiles d’araignées, d’autres icônes célèbres : de Marilyn Monroe à Rita Hayworth, donnant à ce court métrage une forme de « memento mori » qui n’enlève rien au plaisir de son visionnage.

Aides obtenues auprès du CNC :
Aide au programme d’entreprise de production de films de courts métrages, Aide aux nouvelles technologies en production

Un film produit par Vivement Lundi !