Karole Rocher : « En sortant du Covid, j’avais envie de légèreté, de rires, de sourires… »

Karole Rocher : « En sortant du Covid, j’avais envie de légèreté, de rires, de sourires… »

15 juin 2022
Cinéma
Thomas Ngijol et Samir Guesmi dans « Fratè » de Karole Rocher et Barbara Biancardini.
Thomas Ngijol et Samir Guesmi dans « Fratè » de Karole Rocher et Barbara Biancardini. Le Pacte

Après Black Snake coréalisé avec Thomas Ngijol en 2019, Karole Rocher revient à la réalisation avec Fratè. Une comédie qu’elle cosigne avec sa fille Barbara Biancardini, et dont l’intrigue se situe dans le village corse de Vezzani, où elle est née. Rencontre.


Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer derrière la caméra pour ce qu’on envisage spontanément comme votre « vrai » premier long métrage ?

Ce village corse de Vezzani. C’est là où je suis née, là où mes grands-parents ont vécu. C’est le lieu où, perpétuant une tradition familiale, je me rends tous les étés avec mes enfants et mon compagnon. L’idée de passer à la réalisation est vraiment venue du souhait de faire quelque chose sur place, en impliquant les habitants du village. On a commencé à réfléchir à une histoire avec Thomas [Ngijol], et les choses sont devenues concrètes à l’été 2019. Le 15 août, avec une petite équipe, j’ai filmé tous les événements de la journée à Vezzani, de la procession au bal, mais aussi une scène avec Thomas. Le but était de montrer à de potentiels financiers ce qu’on voulait raconter avec ce film, mais aussi la manière dont spontanément les habitants du village se prêtaient au jeu… Malheureusement, on n’a pas trouvé l’argent et le projet est tombé à l’eau. 

Qu’est-ce qui l’a relancé ?

Si Thomas et moi étions évidemment très déçus, le village l’était encore plus. Nous avons donc tout fait pour que Fratè finisse par voir le jour. Avec le recul, je pense que le fait de ne pas avoir pu tourner en 2019 a été un mal pour un bien. Au fond de moi, à cette époque, j’avais une sorte d’angoisse d’exposer mon village et, par-delà, une part de mon intimité. Et puis, le Covid-19 est passé. Ma fille Barbara – avec qui j’adore discuter cinéma et en qui je crois beaucoup comme réalisatrice – a eu trois ans de plus, ce qui est énorme à son âge. Alors, de manière très fluide, Fratè est devenu un film familial, coréalisé avec Barbara, écrit par Thomas et mon frère Patrick. 

L’idée de passer à la réalisation est vraiment venue du souhait de faire quelque chose sur place, en impliquant les habitants du village de Vezzani

Fratè met en scène Dumè, un habitant de Vezzani, qui se découvre un demi-frère à la mort de son père et qui va tout faire pour le dégoûter de la Corse, afin de ne pas partager son héritage. Vous avez choisi de raconter cette histoire par le prisme de la comédie. Pour quelle raison ?

Ce fut un geste spontané. On a tellement souffert durant la pandémie que j’avais envie de légèreté, de rires, de sourires. De m’amuser. En tant que comédienne, j’ai peu arpenté jusqu’ici ce terrain. La comédie, au fond, je ne la partageais qu’avec Thomas, à travers la mise en scène de ses one-man-shows ou notre collaboration sur Black Snake. Ce saut vers un certain inconnu a constitué un moteur pour moi, d’autant plus que je savais dès le départ que je ne voulais pas tourner de drame. Il n’était pas question d’apporter ma part d’ombre dans ce village qui représente pour moi tout l’inverse : la sérénité, la douceur. On est donc partis sur une comédie, mais une comédie qui allait embrasser certains sujets dits « sérieux », comme la carence affective de nos deux personnages quadragénaires, tout en jouant avec les clichés que l’on connaît sur la Corse. On peut raconter tellement de choses par le prisme de la comédie !

Comment s’est réparti le travail entre vous et votre fille ?

Là encore, je parlerais de spontanéité. À la fois naturelle et de circonstances. Car Fratè s’est fait avec très peu de moyens. On a eu seulement quatre semaines pour le préparer. L’instinct a donc été notre principale ligne de conduite. Et rien de tout cela n’aurait été possible si nous n’avions pas été à ce point complémentaires : Barbara avec sa formation de première assistante et moi avec mon expérience d’actrice. Sans doute aussi parce que le fait d’être mère et fille aide à ce que les choses fonctionnent sans que l’on ait à se parler. Par exemple, comme je suis obsédée par les costumes, je m’en suis occupée. Barbara, elle, avait spontanément plus d’échanges avec le chef opérateur. Cela nous a permis d’aller vite et de tenir les délais des 19 jours impartis pour le tournage.

Cette comédie embrasse certains sujets dits « sérieux », comme la carence affective de nos deux personnages quadragénaires, tout en jouant avec les clichés que l’on connaît sur la Corse.

 

Fratè a quelque chose d’un buddy movie et s’appuie sur le duo que forment à l’écran Thomas Ngijol et Samir Guesmi. Comment les avez-vous dirigés ?

L’improvisation a été d’emblée la colonne vertébrale de mon travail. Je voulais que Thomas et Samir aillent au-delà des dialogues, qu’ils vivent les situations pour les emmener ailleurs. Mon rôle consistait d’abord et avant tout à les accompagner, bien plus que de leur dire quoi faire et quoi dire. Le scénario n’était qu’un guide. Je ne voulais pas de dialogues sus par cœur. Le but était de s’amuser ensemble, dans cette idée d’un choc des cultures entre ces deux personnages aux antipodes. 

Comment s’est faite l’intégration des villageois dans ce processus de travail ?

Avec eux non plus, on n’a pas répété. Je dirais que je les ai simplement mis en confiance... Ils avaient tellement envie de participer à ce projet qu’il s’agissait juste pour nous de les placer dans la meilleure situation possible afin qu’ils puissent revivre le plus naturellement du monde dans la fiction des moments qu’ils vivent au quotidien.

Vous tenez aussi un petit rôle dans Fratè. Qu’est-ce qui change quand on joue dans son propre film ?

On se néglige totalement ! Dans les scènes de groupe, j’étais tellement concentrée sur les autres que je m’oubliais. Je voulais aller au plus vite pour passer plus de temps derrière la caméra. À ceci près que lorsque je jouais, Barbara me dirigeait. Et, pour la mère que je suis, c’était un cadeau qui a donné à ces moments un caractère forcément singulier.

Fratè a été monté en un temps record : seulement cinq semaines

Sur quelles références vous êtes-vous appuyée avec votre directeur de la photo Guillaume Dreujou pour construire l’atmosphère visuelle de Fratè ?

Des références très éloignées de la comédie. Les films de Ken Loach et ceux de John Cassavetes. J’adore quand la caméra bouge. J’adore quand c’est le bordel. C’est cette ambiance que j’ai tenue à faire vivre sur le plateau et à l’écran.

S’appuyer sur l’improvisation comme vous l’avez choisi, c’est aussi multiplier les heures de rushes – 85 au total – pour arriver à un film de 85 minutes. Comment s’est déroulé le travail avec le monteur Christophe Pinel ?

J’ai choisi Christophe car j’adore son travail sur les films d’Albert Dupontel. Son apport a été essentiel. Il a commencé à travailler seul de son côté sur ces 85 heures de rushes pour parvenir à un premier montage. Il me semblait essentiel qu’il puisse s’approprier à son rythme nos images, arriver à une connaissance du film proche de la nôtre pour échanger ensuite sur un pied d’égalité. Christophe a eu le recul que Barbara et moi n’avions plus, sans rien casser de notre dynamique. Il a su prolonger nos envies et le faire en un temps record : Fratè a été monté en seulement cinq semaines. Cela symbolise ce qui a été pour moi le plus dur dans toute cette aventure : ne jamais avoir les moyens de prendre le temps. À aucun moment.

FRATÈ

Réalisation : Karole Rocher et Barbara Biancardini
Scénario : Thomas Ngijol et Thomas Rocher
Photographie : Guillaume Dreujou
Montage : Christophe Pinel
Musique : Ange-Marie Biasgambliglia
Production : Kallouche Cinéma
Distribution : Le Pacte

Soutien du CNC : Aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial).