L’aventure « Àma Gloria » au Cap-Vert

L’aventure « Àma Gloria » au Cap-Vert

30 août 2023
Cinéma
« Àma Gloria » de Marie Amachoukeli.
« Àma Gloria » de Marie Amachoukeli. Pyramide Distribution

Marie Amachoukeli, la coréalisatrice de Party Girl – Caméra d’or à Cannes en 2014 – raconte les coulisses de son premier long métrage solo, centré sur la relation entre une enfant de 6 ans et sa nounou cap-verdienne qui, décidant de rentrer dans son pays, y invite la petite fille pour passer un dernier été ensemble. 


Du trio de réalisateurs de Party Girl, vous êtes la dernière après Claire Burger (C’est ça l’amour) et Samuel Theis (Petite Nature) à vous lancer dans une aventure en solo. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?

Marie Amachoukeli : Après Party Girl qui avait été une aventure à la fois complètement folle et éprouvante, j’ai eu envie de me consacrer à mon premier métier de scénariste et consultante sur Les Fauves de Vincent Mariette, Une mère incroyable de Franco Lolli… Je me sentais totalement épanouie dans cet exercice et je ne voulais pas spécialement revenir à la réalisation, sauf pour trouver un sujet qui me tienne vraiment à cœur.

On ne vous l’a jamais proposé ?

J’ai travaillé comme consultante pour la productrice Bénédicte Couvreur alors que je venais de faire avec Vladimir Mavounia-Kouka un court métrage d’animation I want Pluto to be a planet again, une commande de Canal+. Bénédicte Couvreur avait vu et aimé ce court et m’a dit que si un jour j’avais une idée de réalisation de long, elle aimerait me produire. J’étais évidemment très flattée mais je n’avais alors absolument rien à lui proposer. Et puis, un an plus tard, il se trouve que j’ai revu totalement par hasard la nounou qui s’est occupée de moi quand j’étais enfant et à qui Àma Gloria est dédié…

Le déclic s’est-il produit à ce moment précis ?

Exactement. La première phrase qu’elle m’a dite, c’est : « Comment ça va ma fille ? » Et là, instantanément, plein de souvenirs sont remontés à la surface. J’ai alors essayé de comprendre quel était précisément ce lien toujours aussi absolu qui m’unissait à cette femme quarante ans après et ce qui se tramait derrière tout cela. Pour raconter aussi, au fond, un des plus vieux métiers du monde, rarement mis sous le feu des projecteurs du cinéma. J’ai donc commencé à me plonger tout à la fois dans mes souvenirs d’enfance et dans la problématique de ces femmes qui doivent quitter leur pays et leurs enfants, pour élever ceux des autres. Avec les tabous que cela peut engendrer. Du côté des parents qui peuvent être mal à l’aise par cet amour qui lie leur enfant à quelqu’un d’autre qu’eux comme de celui des nounous qui, en aimant ces enfants, peuvent avoir la sensation de trahir les leurs. Dans la nuit qui a suivi cette rencontre, j’ai écrit une page où je racontais le jour où ma nounou était partie de la maison, alors que j’avais 6 ans, comme l’héroïne d’Àma Gloria. Et je suis allée voir Bénédicte Couvreur avec cette page à la main. Dans la foulée, le projet était sur les rails.

Il n’existe aucune industrie cinématographique au Cap-Vert où même le courant électrique est intermittent, ce qui rend le fait de tourner avec des projecteurs très compliqué ! Il a donc fallu élaborer une stratégie pour envoyer le matériel sur place. Chaque membre de l’équipe – on était une douzaine – en a pris dans ses bagages. 30 kilos en tout, dont deux caméras car on savait que si l’une tombait en panne, on n’en trouverait aucune de secours sur place.

Le fait de développer un scénario que vous allez réaliser change-t-il votre manière d’écrire ?

Indéniablement mais j’ai pu compter sur la vision et l’expérience de productrice de Bénédicte Couvreur qui m’a tout de suite prévenue que lorsqu’on écrit un film pour un enfant, il faut avoir en tête que le tournage se limitera à quatre heures par jour et que le scénario ne doit donc pas dépasser les 70 pages. J’ai dû écrire cette histoire à l’os. Mais cette contrainte m’a donné de l’énergie.

Votre nounou était-elle cap-verdienne comme celle de votre film ?

Non, elle était portugaise. Mais en décidant d’adapter le récit à notre époque, il m’est tout de suite apparu évident que je devais changer de nationalité car les femmes portugaises ne font plus ce métier. Je devais m’appuyer sur une autre immigration économique. Pour cela, je suis allée interviewer des nounous mexicaines, chiliennes, péruviennes, thaïlandaises… Et c’est à cette occasion que j’ai rencontré Ilça Moreno Zego, cette Cap-Verdienne qui a effectivement laissé ses trois enfants et sa mère au Cap-Vert pour venir travailler en France et subvenir à leurs besoins. J’ai décidé de lui confier le rôle-titre d’Àma Gloria car tout ce qu’elle me racontait de sa vie se rapprochait de ce que j’étais en train d’écrire. J’ai tout de suite eu envie de la filmer. Donc, avec Bénédicte Couvreur, on a fait ce pari un peu fou de réorienter l’écriture du scénario du côté du Cap-Vert pour s’adapter à elle. Il n’y avait jamais eu de tournage de fiction en créole sur cette île. Seul Chris Marker, qui était très proche des mouvements indépendantistes pendant sa libération, y a fait des incursions documentaires.


Ilça Moreno Zego a-t-elle accepté immédiatement votre proposition ? N’est-elle jamais revenue sur son engagement ?

Elle a dit oui tout de suite. Mais vous avez raison, il existe toujours ce risque que des personnes qui ont de vrais métiers vous lâchent en cours de route. Un risque de production comme de réalisation. Et là encore Bénédicte Couvreur m’a suivie. Ilça Moreno Zego a vu, je crois, l’investissement que je mettais dans ce film. Tant dans mon écoute que dans le fait que je prenais des cours de créole. Elle a pu constater ma sincérité et le sérieux de l’entreprise et comprendre très vite qu’il était évident qu’on n’allait pas la lâcher en plein milieu.

Il se trouve – sans que ce soit une décision préméditée – que la plupart des chefs de poste étaient des femmes. Sur place, on s’est senties immédiatement protégées par les femmes du Cap-Vert qui nous ont permis de rentrer en contact avec tout le monde. Elles furent la porte d’entrée pour organiser un casting sur place avec tout le village.

Avez-vous eu besoin de faire des essais avec elle ?

Oui, mais un seul m’a suffi. Avant d’en refaire un autre après avoir trouvé Louise Mauroy-Panzani [qui joue la petite fille de 6 ans dont elle incarne la nounou, NDLR] pour voir si le duo fonctionnait. Et cela a été de nouveau une évidence.

Pour nourrir la réécriture du scénario, êtes-vous partie au Cap-Vert ?

Oui, ce voyage nous a aussi permis de faire des repérages. On était en pleine pandémie de Covid, mais on a pu aller dans l’île de Santiago. La seule de l’archipel qui était alors desservie en avion, ce qui explique qu’on y a finalement entièrement tourné le film. La ville de Tarrafal se situant juste à côté du village d’où est originaire Ilça Moreno Zego, ce lieu de tournage nous paraissait cohérent avec l’histoire qu’on voulait raconter. Mais il faut savoir qu’il n’existe aucune industrie cinématographique au Cap-Vert où même le courant électrique est intermittent, ce qui rend le fait de tourner avec des projecteurs très compliqué ! Il a donc fallu élaborer une stratégie pour envoyer le matériel sur place. Chaque membre de l’équipe – on était une douzaine – en a pris dans ses bagages. 30 kilos en tout, dont deux caméras car on savait que si l’une tombait en panne, on n’en trouverait aucune de secours sur place. Heureusement d’ailleurs qu’on a pris cette décision-là car si, en parallèle, on a aussi envoyé par fret du matériel supplémentaire, le bateau en question n’est jamais arrivé à temps pour le tournage. La capitainerie du port nous a même indiqué un temps que sa localisation était perdue. On a donc dû faire en urgence fabriquer sur place par les Cap-Verdiens tout le matériel de machinerie, à partir des plans du chef machino, et faire coudre par des Cap-Verdiennes des bouts de borniol ! Pour l’anecdote, le bateau est arrivé à bon port… le dernier jour du tournage !

Comment avez-vous vécu le tournage sur place ?

Il se trouve – sans que ce soit une décision préméditée – que la plupart des chefs de poste étaient des femmes. Sur place, on s’est senties immédiatement protégées par les femmes du Cap-Vert qui nous ont permis de rentrer en contact avec tout le monde. Elles furent la porte d’entrée pour organiser un casting sur place avec tout le village. J’ai donc rencontré dès mon arrivée l’avocat, le chef de la police, le maire… qui tous ont auditionné. Et on a donc pu tisser très vite des liens tous ensemble.

Parmi les chefs de poste que vous évoquiez, Inès Tabarin signe ici son premier long métrage comme cheffe opératrice. Comment l’avez-vous choisie ?

Inès Tabarin a longtemps été l’assistante de Caroline Champetier. Je l’ai rencontrée grâce au producteur Dimitri Daniloff avec qui j’ai fait une installation pour l’Opéra de Paris. Pour Àma Gloria, j’avais envie de renouveler l’équipe de Party Girl, de me réinventer par ce biais, de partir avec des gens qui allaient m’offrir un regard différent de ce dont j’avais l’habitude. Inès Tabarin n’avait jamais été cheffe de poste donc c’était un pari. Mais son énergie et son désir de faire des films m’ont embarquée. Et j’ai trouvé très agréable de vivre cette aventure avec quelqu’un qui n’avait pas peur d’explorer des choses.

Quelle a été votre méthode de travail avec vos comédiens, non professionnels ?

Je n’ai pas eu le luxe de faire des répétitions. Mais mes comédiens avaient lu le scénario, ils connaissaient leur partition. De mon côté, je m’inspirais d’eux pour réécrire leurs scènes tous les matins, en fonction de ce qu’ils m’avaient raconté la veille ou de ce qu’ils avaient vécu. Une fois sur le plateau, le plus important pour moi, ce sont les acteurs. La technique doit s’adapter à eux et pas l’inverse. Voilà pourquoi, on cherche toujours ensemble, avant de tourner une séquence, comment mettre en mouvement la situation, sous le regard de l’équipe image et son. Et ce même si j’arrive avec un découpage ultra préparé qui, en général, ne tient pas la route au fil de la journée. (Rires.)

Une fois sur le plateau, le plus important pour moi, ce sont les acteurs. La technique doit s’adapter à eux et pas l’inverse. Voilà pourquoi, on cherche toujours ensemble, avant de tourner une séquence, comment mettre en mouvement la situation, sous le regard de l’équipe image et son.

Et la contrainte des quatre heures de tournage quotidien avec Louise Mauroy-Panzani s’est-elle confirmée ?

Oui ! On ne rigole pas avec la DDASS et encore moins quand on a à nos côtés sur le plateau ses parents, dont sa mère avocate ! (Rires.) Mais une fois les scènes avec Louise Mauroy-Panzani achevées, je continuais la journée en faisant des plans de coupe et en tournant les scènes où elle n’intervenait pas. Ce fut toute une stratégie à élaborer avec ma première assistante Caroline Rozon.

Vous avez aussi choisi une femme comme monteuse, Suzana Pedro…

J’avais repéré son nom au générique d’Olga d’Elie Grappe que j’avais été voir et dont j’avais adoré le montage. Je l’ai donc contactée. Or il se trouve que Suzana Pedro est portugaise. Un atout supplémentaire car elle comprenait dans les rushes le créole, une langue qui s’est en partie fondée sur le portugais, sans avoir besoin de sous-titres. Un gain de temps monumental.

Votre propre nounou a-t-elle vu Àma Gloria terminé ?

Au moment où je vous parle, elle est dans l’avion pour venir le découvrir à l’avant-première ! J’attends donc son avis avec impatience.

ÀMA GLORIA

ÀMA GLORIA

Réalisation et scénario : Marie Amachoukeli
Photographie : Inès Tabarin
Montage : Suzana Pedro
Musique : Fanny Martin
Production : Lilies Films
Distribution : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide International
Sortie en salles le 30 août 2023

Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide aux techniques d'animation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2023)