Maïmouna Doucouré : « Mon enfance me parle encore. Je peux l’entendre ! »

Maïmouna Doucouré : « Mon enfance me parle encore. Je peux l’entendre ! »

26 mars 2021
Cinéma
Mignonnes
Mignonnes Bien ou Bien Productions - France 3 Cinema - Bac Films - Jean-Michel Papazian

Récompensée d’un César pour son court métrage Maman(s) en 2017, la réalisatrice de 35 ans signe aujourd’hui son premier long métrage, Mignonnes. Avec ce film, qui vient de remporter le prix Alice Guy 2021, elle explore le thème de l’adolescence à travers le parcours d’une jeune fille à la croisée de plusieurs mondes. Entretien.


Quel est votre parcours?

Maïmounna Doucouré DR/Bac Films

Je suis née à Paris dans le dix-neuvième arrondissement. Le cinéma m’a toujours fascinée, même s’il m’a également toujours paru inaccessible, comme un monde lointain auquel je n’étais pas destinée. C’est pour cela que j’ai entamé des études de biologie. En parallèle, je prenais des cours de théâtre tout en écrivant des scénarios dans mon coin. C’est une amie qui m’a poussée, il y a six ans, à participer à un concours de scénario, « HLM sur cour(t) ». L’idée était de montrer la vie dans les cités tout en déjouant certains clichés. Deux mois après avoir déposé mon dossier, je reçois un appel : « Bravo vous faites partie des lauréates ! ». J’étais évidemment très heureuse même si je ne savais pas du tout comment m’y prendre pour tourner un film. Je me souviens être allée sur internet pour trouver une méthode sur la manière de présenter un découpage technique. J’ai également appelé des amis réalisateurs. Vu l’urgence, je n’ai pas eu le temps de me poser la question de ma légitimité à réaliser un film. Et tant mieux. Je me suis jetée dans le vide. Ce film baptisé Cache-cache s’inspirait directement de mon enfance. Il a d’ailleurs été tourné dans la cité où j’ai grandi. Je me souviens de l’effet quand j’ai vu mes images pour la première fois sur un grand écran. J’ai vraiment pris confiance en moi à ce moment-là. « Moi aussi, je suis capable de raconter des histoires avec une caméra ! »

De plus, j’avais réussi à diriger une dizaine d’enfants. C’était très éprouvant. Mais plus rien ne me faisait peur après ça. Dans la foulée, j’ai écrit le scénario d’un autre court métrage, cette fois développé dans des conditions professionnelles avec l’appui d’une société de production. Ce film, c’est Maman(s) qui a eu la chance d’être remarqué en France et à l’international.

Le lien qui unit votre travail, c’est l’enfance. Une enfance qui est aussi un peu la vôtre…

Mignonnes s’inscrit en effet dans la continuité de mes deux premiers courts métrages. Oui, il y a une vraie part autobiographique dans mon travail. Ma propre enfance me parle encore. Je peux l’entendre. C’est à travers elle que j’avance.

En quoi cette enfance rejaillit aujourd’hui dans Mignonnes ?

Comme Amy, mon héroïne, j’ai grandi au sein d’une famille sénégalaise, polygame, avec deux mamans, dix frères et sœurs… Petite fille, j’étais tiraillée entre deux modèles de femme, l’un issu de la culture sénégalaise, celle de mes parents, et l’autre issu de la culture française donc occidentale.

La question de savoir comment devenir une femme dans cette société s’est posée très tôt. Elle a même été fondamentale. J’ai essayé et j’essaie encore, de tirer le meilleur des deux cultures, d’être la plus libre possible dans mes choix. Mignonnes raconte ça.

Quel costume revêtir pour exister ?  A-t-on le droit de choisir le costume que l’on veut porter ou nous est-il forcément imposé ?  Amy va comprendre au fur et à mesure que cette décision lui appartient.  

La place de la femme est centrale dans le film, avec notamment la question de la polygamie…

Amy absorbe la douleur de sa mère et n’a qu’une seule envie, se révolter à sa place.  Elle voit cette mère, victime d’une forme d’oppression sociale. La polygamie fait souffrir les femmes, les enfants…  J’ai vu cette injustice dans les yeux de ma mère, mes tantes, mes voisines. Enfant, je voulais entrer dans le corps des gens pour agir à leur place. Faire un film me donne ce pouvoir-là. Je peux réparer cette injustice, essayer de comprendre ce qu’elle renferme.

Comment est née précisément la trame de votre film ?

L’idée m’est venue en assistant à une fête de quartier. Sur une scène, plusieurs groupes de danseuses se succédaient. D’un coup, des jeunes filles de 11 ans se sont mises à danser de façon très sensuelle et suggestive. J’ai été choquée par ce que je voyais. J’ai donc essayé de comprendre leur démarche. Pendant un an, je suis allée à la rencontre de jeunes danseuses croisées au hasard dans des parcs ou des associations. J’écoutais leur récit, je prenais des notes, parfois je les filmais. Tout ce qui est montré dans le film s’inspire directement de ce que j’ai vu ou entendu.

La danse a bien sûr une vertu émancipatrice, elle permet à vos héroïnes de s’exprimer…

La danse est un bon vecteur pour comprendre cet âge complexe qu’est l’adolescence. Un âge où l’on tient une poupée dans une main, une cigarette dans l’autre. C’est schizophrène.

Il y a aussi ce corps qui change, vite ou pas assez selon les cas. Or la danse, c’est l’expression du corps par excellence. La liberté passe à travers lui. Selon sa façon de l’exposer, de le faire bouger, on exprime des choses différentes.
 

Mignonnes Bien ou Bien Productions/France 3 Cinéma/Bac Films/DR

Comment avez-vous réussi à trouver le bon langage pour diriger vos interprètes ?

J’ai  inventé des techniques de direction d’acteur spécialement pour elles. L’une d’entre elles consistait à attribuer à chaque actrice un animal totem. Cet animal était censé se rapprocher de la personnalité de leur personnage et leur permettre ainsi de trouver la bonne posture, la façon de respirer, de danser, de s’exprimer, d’évoluer dans l’espace. Prenez le personnage d’Angelica avec ses longs cheveux, c’était un serpent. Elle devait être suave, mais agressive si quelqu’un cherchait à la bousculer. Le personnage d’Amy, lui, évolue tout au long du film. Au début c’est un chaton qui va peu à peu devenir un chat et enfin, une panthère noire. J’employais également des termes culinaires pour les diriger. De cette manière, je créais une sorte de monde à nous, avec nos propres codes et langage. Ce côté ludique et léger permettait de désacraliser les choses. Un tournage peut, en effet, être pesant. Le making of du film sera d’ailleurs baptisé : La réalisatrice qui murmurait à l’oreille des enfants.

Toutes les séquences dans l’appartement des parents d’Amy sont filmées de façon oppressante, comme un thriller. C’était voulu ?

J’ai été biberonnée au cinéma de genre. Nous étions tellement nombreux à la maison qu’il n’y avait pas de restrictions particulières. Je regardais les films avec mes grands frères. A  six ans, j’avais déjà vu Les Griffes de la nuit, Candyman, ou encore Carrie qui m’avait profondément marquée. La notion de Dieu et du Diable était aussi très présente. On me disait par exemple que le diable se logeait dans les endroits sales donc je redoutais l’idée d’aller aux toilettes. Dieu, au contraire, nous observait d’en haut. Je me figurais qu’il était sur le toit de mon immeuble. Toute cette imagerie, ces croyances font partie intégrante de mon enfance et se retrouvent dans le film. Pour aborder l’enfance et sa représentation, il fallait que je parvienne à retranscrire en images le développement d’un imaginaire.

Mignonnes décrit un monde à part où la notion de bien et de mal n’appartient qu’à celles et ceux qui en font partie…

L’intrigue de Mignonnes est vue à travers les yeux de mon personnage principal. C’est sa perception du monde qui nous guide. Un monde dans lequel elle se sent presque menacée. Pour exprimer cela,  la texture de l’image et l’utilisation des couleurs m’ont beaucoup aidée. Les couleurs sont très vives lorsqu’Amy observe le groupe de danseuses. En revanche, chez elle,  au sein d’une cellule familiale en plein bouleversement, tout apparaît plus sombre. Quant aux sons, ils  deviennent soudain plus sourds, les couloirs semblent rétrécir.  D’où cette impression d’être dans un film d’angoisse. Je ne juge pas les comportements de mes héroïnes, j’essaie simplement de les comprendre. Je demande au spectateur de prendre la place d’une petite fille de 11 ans pendant une heure et demie.

Mignonnes, qui sort ce mercredi 19 août, a reçu l’Avance sur recettes avant réalisation, le Fonds Images de la diversité, l'Aide au développement de projets de longs métrages et l'Aide sélective à la distribution du CNC.