Retour sur les dix Palmes d’or françaises

Retour sur les dix Palmes d’or françaises

30 mai 2023
Cinéma
Justine Triet Palme d'or pour « Anatomie d’une chute »
Justine Triet Palme d'or pour « Anatomie d’une chute » Eric Bonté / CNC

En plus de soixante-quinze ans de Festival de Cannes, dix films français ont été récompensés d’une Palme d’or. Des fonds marins de Jacques-Yves Cousteau au drame familial de Justine Triet cette année, en passant par les amours mécaniques de Julia Ducournau, retour sur ces lauréats emblématiques.


Le Monde du silence (Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, 1956)

Le commandant Cousteau, accompagné de son équipe, explore les fonds marins à bord de la Calypso. Co-réalisé par Louis Malle, qui n’en est encore qu’aux prémices de sa carrière, ce documentaire aquatique s’est vite imposé comme un modèle pour des générations de documentaristes. Le Monde du silence sera pourtant, après quelques années, vivement critiqué en raison de ses méthodes peu regardantes (explosions de barrière de corail à la dynamite) et de certaines scènes cruelles envers les animaux (massacre de requins, rodéos sur des tortues). Si le documentaire a perdu de sa puissance, il reste néanmoins un moment charnière du cinéma et de notre rapport à l’écologie : Cousteau a ouvert l’Océan et sensibilisé des générations à la beauté de la nature. Accessoirement, cette Palme d’or de 1956 a également inspiré la comédie de Wes Anderson, La Vie aquatique, des années plus tard.

Orfeu negro (Marcel Camus, 1959)

La fin des années 50 marque l’arrivée de la Nouvelle Vague. Les projecteurs sont dès lors braqués sur ces films qui explosent les barrières du cinéma traditionnel. Et Cannes n’y échappe pas. Lors de l’édition 59, deux films manifestes, Les 400 coups de François Truffaut et Hiroshima, mon amour d’Alain Resnais secouent la Croisette. Personne ne voit alors arriver l'œuvre anticolonialiste du quasi-inconnu Marcel Camus. Orfeu negro, relecture brésilienne du mythe d’Orphée et Eurydice électrise le Jury. Et contre toute attente, Les 400 coups, jusque-là favori des festivaliers, est relégué au second plan et obtient finalement le Grand Prix du Jury. Orfeu negro, second long métrage de son auteur, remporte lui la Palme d’or. 

Les Parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964)

Couleurs vives, chansons entêtantes, ascension irrésistible d’une future reine du cinéma français : Les Parapluies de Cherbourg s’impose comme une révolution dans le genre de la comédie musicale, et plus largement du cinéma. Signé Jacques Demy, ce long métrage “en-chanté” transforme un roman de gare en tragédie où chanter est aussi naturel que respirer. Ici, il est question d’un couple séparé par la guerre, d’adieux déchirants sur un quai de gare, et d’un amour impossible… La puissance des Parapluies de Cherbourg tient d’abord à la mise en scène technicolor de Demy (ses couleurs chatoyantes cachent une tristesse sourde), à la partition du génial Michel Legrand, et aux acteurs, tous extraordinaires. Le Grand Prix du jury (on ne parle plus de Palme d’or depuis l’année précédente) remis par Fritz Lang n’est que mérité. 

Un homme et une femme (Claude Lelouch, 1966)

Un homme, une femme, couple iconique incarné par des acteurs flamboyants. D’un côté, Anouk Aimée joue la scripte Anne Gauthier. De l’autre, Jean-Louis Trintignant qui est le pilote automobile Jean-Louis Duros. Un homme et une femme est la pierre angulaire du cinéma de Lelouch et montre au plus près les sentiments amoureux. Alors en proie aux doutes et aux critiques de plus en plus vives, Lelouch fut stupéfait par l’accueil cannois. Festivaliers et critiques furent immédiatement conquis par sa romance intemporelle - ce qui ne fut pas le cas du jury. Présidé par Sophia Loren, il n’est qu’à moitié convaincu, et Lelouch doit partager le Grand Prix du Jury avec Pietro Germi pour son film Ces messieurs dames. Néanmoins, l’impact du film sera tel qu’Un homme et une femme aura deux suites qui formeront une trilogie. Présentés tous deux hors compétition à Cannes, respectivement en 1986 et 2019, Un homme et une femme : vingt ans déjà et Les plus belles années d’une vie, viennent conclure une oeuvre intemporelle, l'œuvre d’une vie.

Sous le soleil de Satan (Maurice Pialat, 1987)

Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus.” Lapidaire et provocante, cette déclaration est signée Maurice Pialat, venu récupérer sa Palme d’or sous les huées d’un auditoire hostile. Pendant tout le festival, le film Les Yeux noirs de Nikita Mikhalkov était resté largement favori des festivaliers. Mais le cinéaste russe membre du jury Elem Klimov est, pour des raisons d’ordre idéologique, farouchement opposé à ce que Mikhalkov remporte la Palme. Le président Yves Montand cède et la Palme d'or est décernée au film de Pialat. Ce dernier n’essaiera pas d’évacuer la polémique, levant le poing et se lançant dans une diatribe virulente sur scène. Cette œuvre sombre raconte le parcours d’un prêtre, incarné par un Gérard Depardieu phénoménal, rongé par la culpabilité et essayant d'échapper à la tentation. Consciemment, ou non, Sous le soleil de Satan s’inscrit dans la longue lignée des scandales cannois. Mais celui-ci repartira avec la Palme d’or.

Entre les murs (Laurent Cantet, 2008)

Adapté du livre de François Bégaudeau, Entre les murs montre sans détour le fonctionnement montre le fonctionnement d’une classe d’un collège difficile pendant un an. C’est le lieu de la mixité sociale, une caisse de résonance des problèmes sociaux qui rongent la société. Mais le cœur du film reste la relation entre les élèves et leur professeur. Comme pour appuyer le réalisme des situations, Cantet a proposé à l’écrivain de jouer son propre rôle, le professeur de lettres. Le film montre ainsi comment François, en dépit de son talent à improviser, à converser d'égal à égal, se heurte à l'indiscipline, à l'insolence et au refus. Comment il dérape aussi, et comment son seuil de tolérance évolue. Jusqu’au dernier jour de cette édition cannoise, c’était Valse avec Bachir le beau film d’Ari Folman qui avait tous les suffrages (des festivaliers et du jury). Et puis quand arrive Entre les murs, le samedi matin, le jury de Sean Penn change d’avis et lui décerne une Palme d’or à l’unanimité.

La Vie d’Adèle - Chapitres 1 et 2 (Abdellatif Kechiche, 2013)

La Vie d’Adèle est une Palme qui aura fait couler beaucoup d’encre avant, pendant et après le Festival. Il y eut les scènes de sexe très crues, la polémique autour des méthodes du cinéaste (et la manière dont il traita ses deux actrices principales, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos). Il y eut la protestation de la part de l’équipe technique, le désaveu de l’auteure de la bande-dessinée originale… Mais le cinéma triompha. Steven Spielberg offrit une triple Palme d’or exceptionnelle décernée au film mais aussi à ses deux actrices. Il y a du Pialat, du Bresson et du Marivaux dans cette histoire d’amour lesbien. Mais cet apprentissage amoureux reste surtout la consécration d’un des plus grands cinéastes contemporains, lequel signait là son plus beau film. 

Dheepan (Jacques Audiard, 2015)

Jacques Audiard n’aura pas mis beaucoup de temps à s’imposer dans le circuit cannois. Prix du meilleur scénario à Cannes 1996 pour son second film, Un héros très discret, Prix du Jury en 2008 pour Un Prophète, Audiard a gravi les « marches » une à une pour finalement décrocher la Palme d’or, en 2015. Dans Dheepan, film social doublé d’un thriller politique, le cinéaste y narre l’itinéraire d’un ancien soldat Sri-lankais qui immigre à Paris avec une jeune femme et une petite fille avec lesquels il n’entretient aucun lien de parenté. A travers les destins ballotés de ces trois migrants tamouls, Jacques Audiard met en lumière “ces gens que l’on ne voit pas” alors qu’ils sont partout. Dans les cuisines des restaurants, dans les brasserie à faire la plonge ou au détour des terrasses de la capitale à essayer de fourguer leur camelote. A tenter de s’en sortir par tous les moyens comme tous les héros "audiardiens". Dans une sélection très impressionnante (Valley of Love, Sicario, Le Fils de Saul…), les frères Coen auront donc choisi de lui remettre cette Palme d’or tant attendue. 

Titane (Julia Ducournau, 2021) 

Forte de l’aura de Grave, prix FIPRESCI de la critique internationale en 2016 après sa présentation à la Semaine de la Critique, Julia Ducournau a électrisé la Croisette avec Titane, son second film audacieux et transgressif. Ce long métrage suit la trajectoire sanglante et troublante d’Alexia, interprétée par la révélation Agathe Roussel. Julia Ducournau ne ménage pas son spectateur entre accès de violence, rapports charnels avec une automobile, identités fluides et un père de substitution sous stéroïdes incarné par Vincent Lindon, président du jury de l’édition 2022 du Festival de Cannes.
En 2021, le jury dirigé par le cinéaste américain Spike Lee a choisi le choc mais aussi le changement en attribuant la récompense suprême à une réalisatrice pour la deuxième fois – après Jane Campion et sa Leçon de piano en 1993, ex-aequo avec Adieu ma concubine de Chen Kaige – et pour la première fois sans la partager avec un autre cinéaste.
Sous influence de l’œuvre de John Carpenter et de David Cronenberg, Titane est venu confirmer la fécondité d’un nouveau cinéma de genre français, incarné par des films aussi variés que Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma, La Nuée de Just Philippot ou encore Ogre d’Arnaud Malherbe.

Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023)

Deux ans après Julia Ducournau, Justine Triet devient la deuxième réalisatrice française – et la troisième femme à obtenir la Palme d’or pour son long métrage Anatomie d’une chute. Porté par l’actrice allemande Sandra Hüller, ce drame relate le procès de Sandra, accusée d’avoir tué son mari. Le film s’intéresse aux rapports de domination au sein d’un couple dont les relations se dégradent, le tout sous le regard de leur fils. « L’idée, c’était de raconter la chute d’un corps et d’en faire l’image de la chute du couple, d’une histoire d’amour », a expliqué la cinéaste qui a fait le choix d’une réalisation brute, sans musique additionnelle. Il s’agit du quatrième long métrage de Justine Triet qui n’en est pas à son premier séjour cannois. En 2013 déjà, son film La Bataille de Solférino faisait partie de la sélection de l’ACID. Trois ans plus tard, Victoria, avec Virginie Efira en tête d’affiche, était présenté lors de la 55e Semaine de la Critique. En 2019, Sybil est son premier film sélectionné en compétition officielle avant la consécration de cette année.