J'ai appris avec tristesse le décès d'Ousmane Sembène, écrivain, acteur, et l'un des plus grands réalisateurs sénégalais.
Figure incontournable et emblématique du cinéma africain, Ousmane Sembène était un artiste engagé et très profondément attaché à ses racines africaines. Cet autodidacte de génie qui s'est essayé à beaucoup de métiers - mécanicien, charpentier, maçon, docker, ouvrier - a, très tôt, été animé par ce besoin irrépressible de témoigner, d'interroger l'identité et l'histoire de son continent d'origine pour rassembler son " beau peuple " autour d'une mémoire commune. Une tâche qu'Ousmane Sembène, pour qui le silence rime avec la résignation voire même le suicide, commence avec l'écriture. Mais c'est avec le cinéma qu'il trouve " la meilleure école pour raconter des histoires " au plus grand nombre.
Extraordinaire conteur, posant un regard attendri et touchant sur l'Afrique, Ousmane Sembène était donc un militant acharné, épris de liberté, qui n'a eu de cesse de dénoncer les injustices du monde et les souffrances du peuple africain. Dans " Le camp de Thiaroye ", il s'attaque ainsi au sort des tirailleurs sénégalais pendant la seconde guerre mondiale, dont il avait été, enrôlé contre son gré. Le film reçoit en 1988 le prix spécial du jury au festival de Venise. Même acuité, même justesse, dans "Mooladé ", témoignage poignant et sans concession sur l'excision des femmes. Soutenu par le CNC grâce au Fonds Sud "Mooladé" lui vaut le prix d'Un certain regard à Cannes en 2004.
Je veux rendre un hommage particulièrement ému à cet homme éminemment visionnaire et progressiste, pour qui la liberté de l'artiste se confond avec celle du peuple, ne concevant son art que mis au service des plus démunis. Une œuvre cinématographique qui a été récompensée dans les festivals les plus prestigieux mais qu'Ousmane Sembène destinait d'abord et avant tout aux populations africaines où qu'elles se trouvent. Fidèle à ses convictions, il a été l'un des fondateurs du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) offrant une vitrine internationale à la création cinématographique africaine. " La jeunesse n'a pas d'âge " disait Picasso, adage merveilleusement idoine pour évoquer Ousmane Sembène, qui a su conserver intacte sa faculté d'émerveillement, de créativité et de combativité.
Véronique Cayla.
