Rachel Lang : « Derrière la Légion étrangère, il y a un mythe, un fantasme, un monde... »

Rachel Lang : « Derrière la Légion étrangère, il y a un mythe, un fantasme, un monde... »

05 octobre 2021
Cinéma
Louis Garrel dans "Mon Légionnaire" de Rachel Lang. Bac Films

Dans « Mon légionnaire », son deuxième long métrage porté par Louis Garrel et Camille Cottin, la réalisatrice française interroge la solidité du couple à l’épreuve d’une vie militaire marquée par les absences, le manque et la violence du terrain. Rencontre.


Ce qui frappe dans Mon légionnaire, c’est votre gestion des territoires que vous filmez, au point que la sphère privée et le théâtre des opérations finissent par se confondre... 

Le désert malien où combattent les soldats et les montagnes corses où sont logées les familles partagent, en effet, une même dureté. C’était voulu. Les hommes qui reviennent de la guerre ramènent avec eux une humeur grave, une pesanteur. Je tenais à ce que cela se ressente dans les décors. Ainsi, le cadre d’abord très coloré de la Corse devient de plus en plus rocailleux, terne et renvoie directement au caractère du désert malien. La difficulté quand vous tournez dans le désert, c’est que rien n’excite l’œil, il n’y a pas de joie sensorielle, tout a un peu la même couleur. Ce côté monochrome devait contaminer tout le reste pour créer la porosité des frontières, terrestres et bien sûr mentales. 

C’est d’ailleurs la question centrale de votre film : comment un couple survit-il à une telle situation ?
La guerre oblige les hommes à combattre un ennemi le plus souvent invisible. Ils ne peuvent pas répliquer face à cette menace permanente. Pour les femmes, logées en Corse par la Légion étrangère, elles doivent s’adapter à un nouvel environnement. Beaucoup d’entre elles viennent de l’étranger et ne connaissent rien de la culture française. Cette adaptation est aussi très difficile. Dans les deux cas, il y a une forme de combat à mener. L’hostilité se retrouve à tous les niveaux.

Quand et comment est né ce projet ?
Le point de départ remonte à 2004, quand je me suis engagée dans l’armée comme réserviste. Je faisais des études de philosophie et parallèlement, je réalisais des petits films. Pour l’un d’entre eux, je devais me rendre au Brésil, à Porto Alegre. Or il me manquait plusieurs centaines d’euros pour boucler mon voyage. Un ami m’a alors lancé comme une boutade : « Si tu t’engages dans l’armée, tu vas toucher 700 euros ! » Naïvement, j’envisageais ça comme un job d’été. Je n’avais pas conscience que c’était un engagement sur deux ans. Bref, j’ai d’abord fait deux semaines de classes, rythmées par des manœuvres, des simulations, il fallait montrer une cohésion très forte. L’expérience a été tellement intense que je me suis demandé comment faisaient les soldats une fois de retour à la vie civile, au sein de leurs familles...

Comment des « frères d’armes » peuvent-ils se réadapter ? Est-ce que la vie à l’extérieur de l’armée sera à la hauteur de celle qu’ils ont vécu dans l’armée ?

Qu’est-ce qui était particulièrement « intense » ? 
L’armée vous oblige à sortir de votre milieu, quel qu’il soit. J’ai ainsi fait la connaissance de jeunes de mon âge qui ne savaient ni lire ni écrire, d’autres étaient fans d’armes blanches par exemple. Je ne les aurais jamais rencontrés en dehors de l’armée. Un monde s’est ouvert à moi. J’ai développé des relations inédites. Durant deux semaines, il fallait faire bloc, prendre soin de l’autre... 

La Légion étrangère est un univers encore à part, uniquement réservé aux hommes ?
Derrière ce nom, il y a un mythe, des fantasmes, un monde... La Légion, c’est plus de 150 nationalités, des parcours de vie très différents. Grâce à un ami commun, j’ai pu rencontrer un légionnaire qui m’a ensuite présenté sa femme... Si le film questionne la façon dont les soldats parviennent à se réadapter ou non, une fois rentrés à la maison, à l’inverse, je m’interroge aussi sur la place de ces femmes restées à l’arrière. Elles aussi sont en attente de quelque chose. Leur homme sera-t-il à la hauteur ?

Louis Garrel dans le rôle de cet officier propose un jeu inédit, tout en tension... 
Ce rôle impliquait un travail physique en amont et une formation avec des vrais militaires. Est-ce que Louis allait accepter de s’investir autant ? C’était tout l’enjeu. Nous avons d’abord fait une lecture du scénario ensemble. Le résultat était brillant. Louis s’est engagé à 200 %... J’aimais ce côté transfuge. Un corps « étranger » qui intègre un groupe, une institution.

Et Camille Cottin ?
Une fois que Louis s’est engagé, il a fallu lui adjoindre quelqu’un de charismatique, capable de lui renvoyer une même force. Camille s’est vite imposée. Cet équilibre qui pouvait aussi se retrouver dans l’humour, devait permettre de faire tenir ce couple debout : d’un côté Maxime, un officier responsable du bien-être de ses hommes sur le terrain, de l’autre, Céline, une avocate qui a sacrifié sa carrière pour lui.

Ce couple incarne, de fait, une certaine solidité... Il a une responsabilité vis-à-vis des plus fragiles ?
Un infirmier de la Légion m’a dit un jour : « Personne ne revient indemne d’un théâtre d’opérations, un soldat y laisse forcément un bout de son âme. » Cette phrase ne m’a jamais quittée. Les hommes, au-delà des blessures physiques, reviennent très impactés... Le personnage de Vlad, par exemple, a du mal à partager ses traumatismes. Or cette incapacité à se décharger entraîne un traumatisme... Son couple s’en retrouve fragilisé.

Aviez-vous des références en tête pour la préparation du film ?
J’ai essayé de me dégager de toute référence afin de rester concentrée sur ce que j’ai appris au contact des légionnaires. Bien sûr, il est difficile de ne pas penser à Beau Travail de Claire Denis qui reste un film incontournable sur le sujet. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai demandé à Grégoire Colin de participer à l’aventure.

Mon Légionnaire

Écrit et réalisé par : Rachel Lang
Avec Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité
Produit par Jérémy Forni et Benoît Roland
Distribué par Bac Films
Musique : Odezenne

Soutiens du CNC :