« Atlantique » : un mélange audacieux et harmonieux des genres

« Atlantique » : un mélange audacieux et harmonieux des genres

04 octobre 2019
Cinéma
Atlantique de Mati Diop
Atlantique de Mati Diop Les Films du Bal - Cinekap - FraKas Productions - Arte France Cinéma - Canal + International - Ad Vitam distribution
Grand Prix du dernier festival de Cannes, le premier long métrage de Mati Diop représentera le Sénégal dans la course aux Oscars. Décryptage d’une réussite saluée tout autour de la planète.

Un film social

Atlantique s’ouvre comme un documentaire sur une réalité quasi quotidienne : ces Africains qui quittent leurs pays sur des embarquements de fortune et voués à une mort certaine dans l’Océan en rêvant d’Europe. Avec ce premier long métrage, Mati Diop prolonge son court de 2009, Atlantiques, dont le héros racontait à ses amis sa traversée en mer. « C’était l’époque « Barcelone ou la mort » où des milliers de jeunes quittaient les côtes sénégalaises en tentant de rejoindre Barcelone », confie la réalisatrice dans le dossier de presse de son film. « Puis en 2012, un soulèvement citoyen advint dans ce pays à travers le mouvement « Y’en a marre ». La plupart des jeunes Sénégalais voulaient la démission du Président Abdoulaye Wade ». Pour Mati Diop, « Y en a marre » tournait la page tragique de « Barcelone ou la mort ». « Il n’y avait pas les morts en mer d’un côté et les jeunes en marche de l’autre. Les vivants portaient en eux les disparus qui, en partant, avaient emporté quelque chose de nous avec eux. Il s’agissait d’une seule et même histoire collective. » Celle politique et sociétale qu’elle a donc voulu exprimer dans Atlantique.

Un film fantastique

Mais Atlantique ne se résume pas à son sujet, aussi puissant soit-il. Il doit sa singularité au parti pris de son traitement. En l’occurrence un film fantastique à travers le parcours de Souleiman, un ouvrier disparu en mer qui revient du royaume des morts pour hanter et se venger de certains vivants. « Pour moi, faire un film n’est pas raconter une histoire. C’est avant tout trouver une forme à une histoire. Et j’avais été frappée en recueillant la parole en 2009 de jeunes gens qui avaient tenté de fuir le Sénégal par la mer. Leurs esprits, leurs rêves étaient ailleurs. Serigne, que je filmais dans Atlantiques, m’avait dit cette phrase qui résume tout : quand on décide de partir, c’est qu’on est déjà mort  ». Alors intuitivement, pour faire écho à la dimension mystique de cette réalité, Mati Diop opte pour le film de fantômes. Et, par ce biais, transcende son sujet.

Un film d’amour

Mais impossible de parler d’Atlantique sans évoquer une troisième dimension tout aussi prépondérante : l’amour. Car si Souleiman revient par l’esprit sur la terre sénégalaise, c’est aussi pour retrouver Ada, la jeune femme qu’il aime, promise à un autre. Et détruire par le feu la maison où se déroule ce mariage. « A travers ces deux personnages, j’ai voulu raconter une histoire d’amour impossible à l’ère du capitalisme sauvage. Un amour fauché par l’injustice, volé par l’océan ».

Un film plastique

Ancienne élève du Studio national des arts contemporains du Fresnoy, Mati Diop avait aussi l’ambition avec Atlantique de faire un film plastique et très incarné. « J’ai d’ailleurs choisi ma directrice de la photo, Claire Mathon (Portrait de la jeune fille en feu), parce que je savais qu’elle saurait s’inscrire dans une démarche documentaire sans pour autant perdre en ambition esthétique ». A l’écran, l’atmosphère à la fois enveloppante, envoûtante et inquiétante que le duo a réussi à créer rappelle l’univers d’un des cinéastes de prédilection de Mati Diop : Apichatpong Weerasethakul.

Un film féministe

Enfin, Atlantique est un film féministe. Pour le symbole qu’il représente - il s’agit du tout premier d’une réalisatrice noire à avoir été sélectionné dans la compétition cannoise -, mais aussi et avant tout pour la manière dont Mati Diop embrasse le personnage d’Ada dans ce récit initiatique. « Ada passe d’une phase de sa vie à une autre. D’adolescente à femme. Que veut dire « devenir une femme » ? Pour moi, c’est avant tout devenir soi-même, choisir sa vie » explique la cinéaste. « Inventer ce personnage était aussi une façon de faire l’expérience, à travers la fiction, de l’adolescence africaine que je n’ai pas vécue. » Sa manière de raconter la difficile émancipation de son personnage constitue l’une des nombreuses portes d’entrée de cet Atlantique, multiple donc et pourtant totalement cohérent.

Atlantique, en salles le 2 octobre, a bénéficié du soutien au scénario (aide à l’écriture), de l’aide au développement de projets de long métrage, de l’avance sur recettes avant réalisation, de l’aide sélective à la distribution (aide au programme), de l’aide sélective à l’édition vidéo, de l’aide à la musique de films et de l'aides à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son (CVS).