Pourquoi Stanley Kubrick revient à la Cinémathèque française

Pourquoi Stanley Kubrick revient à la Cinémathèque française

« Eyes Wide Shut », dernier long métrage de Stanley Kubrick.
« Eyes Wide Shut », dernier long métrage de Stanley Kubrick. Warner Bros.

Il est l’un des cinéastes les plus commentés du XXe siècle, dont l’œuvre semble avoir été vue, étudiée et disséquée sous tous les angles. Pourquoi organiser de nouveau une rétrospective Stanley Kubrick en 2022 ? Réponse de Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque française.


Après l’œuvre d’Howard Hawks en mars dernier, la Cinémathèque programme ces jours-ci tout Stanley Kubrick. On a l’impression qu’il y a une volonté de votre part de revenir aux fondamentaux… 

Les fondamentaux n’ont jamais disparu de la Cinémathèque ! Si vous regardez la programmation, les grands noms de l’histoire du cinéma ont été montrés et remontrés depuis des décennies, simplement car il faut tout le temps les remontrer ! De nouvelles générations n’ont pas vu les grands films et doivent les voir. La Cinémathèque, c’est comme le Louvre : on expose des chefs-d’œuvre. Alors, oui, on remontre les films d’Howard Hawks, de Stanley Kubrick, de Jean Renoir… Par ailleurs, la Cinémathèque est aussi un lieu où l’on découvre des choses. En ce moment, nous consacrons une rétrospective à Damiano Damiani, un cinéaste italien peu connu. On peut donc voir en parallèle ses films et ceux de Stanley Kubrick. Ces derniers mois, nous avons programmé de nombreux cinéastes majeurs comme Joseph Losey, Jacques Rivette, Friedrich Wilhelm Murnau, Dino Risi ou encore Alain Resnais

Le nom de Stanley Kubrick se distingue parce que c’est un cinéaste dont l’œuvre est plus souvent citée, plus facilement accessible… 

Nous sommes attentifs à l’idée de montrer systématiquement des chefs-d’œuvre et des classiques de l’histoire du cinéma. Mais nous le sommes peut-être encore plus aujourd’hui, au moment où nous observons que beaucoup de spectateurs s’éloignent des salles de cinéma, voire, pour certains, ne s’en sont même jamais approchés. Comment les intéresser autrement qu’en leur montrant de grands films ? Nous voulons faire venir un public plus jeune, avide de découvrir l’histoire du cinéma. Quand on est cinéphile, qu’on baigne dans le cinéma, on a parfois l’impression que tout le monde a tout vu, mais ce n’est pas vrai ! Il faut montrer les films, encore et encore, ne serait-ce que pour constater qu’il ne s’agit pas de classiques pour rien. Cette tradition continue. 


On imagine que Kubrick peut attirer une génération passionnée par Christopher Nolan ou David Fincher, eux-mêmes admirateurs du cinéaste… 

Oui, Kubrick est un réalisateur très apprécié par un public jeune. C’est un cinéaste qui a influencé une partie du cinéma commercial américain contemporain. Et puis, Kubrick, c’est fait pour être vu dans une grande salle. Il n’y a qu’à la Cinémathèque qu’il est possible de voir 2001, l’Odyssée de l’espace en 70 mm. Shining aussi est fait pour être vu dans une grande salle – d’ailleurs, l’autre jour, elle était pleine… Dans le public de Kubrick, beaucoup connaissent déjà ses films. C’est un cinéaste qu’on revoit. Et qu’on revoit dans le dispositif pour lequel ses films ont été conçus : la salle de cinéma. 

« En nos temps envahis par la théologie marvelienne, le cinéma de Kubrick offre évidemment un salutaire dégrisement. Il y a aussi les outrances consacrées dans les festivals du tarantinisme et de Ducournau. » Le texte de Philippe Fraisse (Le cinéma au bord du monde : une approche de Stanley Kubrick, 2010) qui accompagne la rétrospective a presque valeur de manifeste… 

Je laisse à l’auteur la responsabilité de son texte. Mais il est vrai que le cinéma de Kubrick est d’une subtilité perdue par les blockbusters américains contemporains. Et, pour réagir à la deuxième partie du texte, oui Kubrick fait un cinéma sans ironie. On peut reprocher à Tarantino son ironie – ce n’est pas mon cas, d’ailleurs, et je trouve un peu facile cette opposition. Mais on voit bien à travers cette rhétorique, l’idée de singulariser l’œuvre de Kubrick, de l’opposer à ce qu’un public jeune consomme tous les jours dans les salles de cinéma. C’est la singularité de Kubrick : voilà quelqu’un qui a réalisé des films expérimentaux avec des millions de dollars, en totale liberté. C’est assez unique. Kubrick a réussi là où Orson Welles a échoué. 

Rétrospective Stanley Kubrick, du 4 au 29 mai 2022, à la Cinémathèque française