Cinéma

Rencontre croisée : Yasmina Khadra - Zabou Breitman

Rencontre croisée : Yasmina Khadra - Zabou Breitman

02 septembre 2019
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Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Elea Gobbé-Mévellec, film adapté du roman de Yasmina Khadra sélectionné au Festival de Cannes (Un Certain Regard)
Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Elea Gobbé-Mévellec, film adapté du roman de Yasmina Khadra sélectionné au Festival de Cannes (Un Certain Regard) Memento Films Distribution
L’auteur des Hirondelles de Kaboul, Yasmina Khadra, et la co-réalisatrice du film d’animation inspiré du roman, Zabou Breitman, ont accepté d’échanger sur l’adaptation d’une œuvre. Une discussion à bâtons rompus sur ce film présenté à Cannes (Un Certain regard) qui sort en salles ce mercredi 4 septembre.

Votre livre, Yasmina Khadra, est publié en 2002. Vous avez dû avoir dès lors, comme pour vos autres romans, des propositions d’adaptation. Aviez-vous dessiné un (ou une) candidat idéal ?

Yasmina Khadra : Le premier que j’ai rencontré c’est Sébastien Tavel. Il est venu me rassurer avec l’ancien ambassadeur d’Afghanistan à Bruxelles. C’était un projet d’adaptation en film « live ». On a attendu, attendu, mais finalement le projet n’a pas abouti. J’ai presqu’été soulagé quand on m’a dit que cela devenait un projet de film d’animation. Surtout sous la direction de Zabou Breitman, une femme pour laquelle j’ai un immense respect.

Zabou Breitman : Respect partagé !

Yasmina Khadra : Je fonctionne à l’affectif. J’étais ravi. J’étais convaincu qu’elle allait percevoir toute la symbolique que représente la femme dans mon roman pour mieux la transmettre au spectateur.

Le choix du film d’animation - habituellement associé à l’enfance - pour un roman au propos aussi grave ne vous est-il pas apparu comme paradoxal ?

Yasmina Khadra et Zabou Breitman (ensemble) : Au contraire !

Zabou Breitman : Je trouvais que c’était une merveilleuse idée de faire de votre roman un film d’animation. Les talibans interdisent la représentation de l’être humain et j’ai vu comme un paradoxe formidable que cette histoire soit racontée par le dessin. L’avantage du dessin, c’est aussi qu’il laisse une place à l’imagination et ne fige pas des personnages sur les traits d’un acteur. Cela donne de l’espace au spectateur et leur permet de se projeter.

Yasmina Khadra : On est dans une sorte de liberté. Le dessin n’impose rien, il propose, il suggère.

Zabou Breitman : C’est une erreur d’associer le film d’animation au film d’enfant. Le dessin va bien au-delà. Le dessin met une distance et peut provoquer une émotion incroyable. Surtout quand ce sont les aquarelles magnifiques d’Éléa Gobbé-Mévellec, ma co-réalisatrice. Le son, sur un film d’animation, est aussi un peu plus puissant que sur un film « live ». La musique occupe une place prépondérante.

Avez-vous fait passer des consignes sur votre adaptation ?

Yasmina Khadra : J’ai toujours respecté l’artiste. Il faut que l’adaptation passe par l’émotion, la sensibilité d’un artiste. C’est intéressant de voir le regard d’un autre sur son œuvre. Je n’interviens jamais. La majorité de mes romans ont été adaptés au théâtre, au cinéma [Ce que le jour doit à la nuit a été réalisé par Alexandre Arcady, L’Attentat par Ziad Doueiri et La Voie de l’ennemi par Rachid Bouchareb]. Il y a même une de mes pièces qui va devenir une comédie musicale ! Moi, je veux être surpris. Même si je ne suis pas d’accord, je ne suis jamais hostile.

Zabou Breitman : C’est super d’être comme ça. J’ai adapté plusieurs romans précédemment, dont deux fois Lydie Salvayre pour le théâtre. Comme je la connaissais, je n’arrêtais pas de l’appeler pendant mon travail d’écriture sur La Compagnie des spectres. Au bout de trois fois, elle me dit très gentiment : « Si je suis sur ton épaule pendant que tu écris, tu ne feras jamais quelque chose qui te ressemble ». Les auteurs qui veulent se mêler des choses empêchent l’adaptation. On se sent menottés ; ça casse l’envie. Adapter, c’est trahir un peu. On va mélanger deux couleurs, celle de l’auteur et celle de celui qui adapte. Et après on espère que ça va plaire à l’auteur.

Yasmina Khadra : C’est la première fois qu’on se rencontre aujourd’hui ! Et j’étais très content qu’il y ait ce silence.

Zabou Breitman : C’est classe de faire ça. Moi, j’étais inquiète.

Votre écriture est-elle passée par une phase documentaire ?

Yasmina Khadra : Non, je n’avais pas besoin de le faire. L’Afghanistan que je décris n’est pas un site géographique ou un repaire historique mais une mentalité. Et en Algérie, j’ai directement eu affaire à des intégristes, des gens qui venaient de Peshawar. J’avais bien compris comment ils réfléchissaient et quel était leur projet de société. Je n’ai pas fait de recherches, c’est ma colère et mon indignation qui m’ont dicté ce récit. Je suis féministe forcené. J’ai toujours défendu la femme et la voir chosifiée, voilée, néantisée, je ne peux pas supporter.

Zabou Breitman : Nous avons, en revanche, énormément travaillé sur le documentaire parce que dans l’image, il faut être au plus près de la réalité. Un de nos monteurs son a même mixé des ambiances qui proviennent d’Afghanistan. Il a fallu être au plus près de la couleur, de la ville, de la poussière… Éléa Gobbé-Mévellec s’est appuyée sur des images, des vidéos. J’ai demandé à une troupe d’acteurs afghans, en résidence au Théâtre du Soleil, de venir faire des voix.

On peut tout montrer dans le cinéma d’animation, même une lapidation ?

Zabou Breitman : Cette scène est fondamentale. Elle ouvre le roman. Toute l’intrigue part de là.

Yasmina Khadra : Et qui finit aussi le roman !

En quoi l’adaptation d’un film d’animation diffère de celle d’un film « live » ?

Zabou Breitman : Ça dépend de comment on le fait. Moi, j’aime les acteurs, les incarnations. J’ai filmé des comédiens en train de jouer le film, avec le vrai texte. Cela a donné une base aux animateurs. Je voulais que l’animation soit au plus près du jeu réaliste d’un acteur, qu’elle capte ces petits gestes qui font la vérité d’une situation. J’ai pris des comédiens que j’aurais pris pour le rôle : Simon Abkarian, Hiam Abbass, mon papa Jean-Claude Deret - qui est mort depuis, donc c’est très émouvant pour moi -, Swann Arlaud et Zita Hanrot.

Yasmina Khadra : Vous me donnez envie. J’ai hâte de voir le film.

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